La campagne «Winou El Petrol» (Où est le pétrole?), en dépit de ses relents populistes et politiques, a eu le grand mérite de dépoussiérer le dossier de la corruption dans le secteur des hydrocarbures et de débusquer les véritables responsables de la corruption qui gangrène ce secteur, en l’occurrence les gouvernements qui se sont succédé depuis des décennies y compris celui en place.
Lorsque Ahmed Zarrouk, secrétaire général du gouvernement, tout autant que Zakaria Hamad, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, et Mohamed Akrout, PDG de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (ETAP), déclarent avec «agressivité» sur les plateaux des radios et télévision que «contrairement à ce qui se dit, les contrats de forage en Tunisie sont tous en parfaite conformité avec la loi et la réglementation en vigueur», personne ne peut les démentir. Oui, tout est conforme à la loi.
Néanmoins, le non-dit dans leurs déclarations est manifestement leur fâcheuse tendance à remettre en question les rapports des structures de contrôle de l’Etat, à cacher la vérité au peuple et à jouer, à cet effet, sur les mots.
Les institutions de contrôle sont de loin plus crédibles
Pour mémoire, avant la campagne «Winou El Petrol», au moins trois prestigieuses institutions de contrôle de l’Etat se sont penchées sur les abus commis dans le secteur des hydrocarbures et ont publié des rapports fort instructifs sur ce sujet.
Le premier rapport a été établi, au lendemain du soulèvement du 14 janvier 2011, par une institution révolutionnaire, en l’occurrence la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation. Le second a été concocté et publié, en 2012, par une institution républicaine, la Cour des comptes. Le troisième est récent, il a été élaboré, en 2015 à la demande du Fonds monétaire international, par la direction du Contrôle général des finances (CGF) en collaboration avec le Contrôle général des services publics (CGSP) et le Contrôle général des domaines de l’Etat et des affaires foncières (CGDEAF).
Ces trois rapports ont fait état de défaillances criminelles au quadruple plan de la gouvernance, de la négociation des contrats, de la production et de l’exportation.
Au nombre de celles-ci figurent:
– l’absence, à tous les niveaux, de stratégies cohérentes pour le développement du secteur,
– l’absence de coordination entre les structures chargées de la gestion du secteur (Office des mines, direction générale de l’énergie, ETAP, STEG, STIR…),
– l’absence de répertoire des contrats et conventions conclues avec les opérateurs étrangers,
– l’absence d’un système d’information fiable accessible à tous et dissuadant toute manipulation mal intentionnée,
– l’absence de contrôle a posteriori.
Ces rapports ont également mis le doigt sur la faible capacité de négociation des acteurs publics évoluant dans le secteur. La plupart des contrats conclus jusque-là ont profité aux opérateurs étrangers. L’ETAP, qui porte tantôt la casquette de partenaire et tantôt de représentant de l’Etat, ne participe bizarrement qu’aux gisements à faible rentabilité et à faible revenu. Et la liste des insuffisances énumérées par ses rapports est loin d’être finie.
La question qui se pose dès lors est la suivant: faut-il croire ces rapports accablants élaborés par des institutions républicaines ou croire ces fonctionnaires provisoires promus “hauts cadres“ par un caprice de l’histoire et dont la crédibilité laisse à désirer?
La réponse ne peut être que logique. Les révélations de ces rapports républicains sont de loin plus crédibles que les déclarations intempestives et irresponsables de ces soi-disant responsables lesquels doivent apprendre, dorénavant, à se taire quand ils parlent aux médias.
Une réglementation faible et réversible
Ces mêmes responsables qui jouent sur les mots pour cacher la vérité. Ainsi, quand ils disent que tous les contrats ont été signés conformément à la réglementation en vigueur et dans une totale transparence entre l’État et les sociétés de forage étrangères, ces responsables omettent que le code des hydrocarbures, promulgué par une mafia politico-financière au temps du dictateur Ben Ali, est trop faible et ne serait en aucune manière crédible.
C’est cette même loi qui favoriserait la corruption. Les experts lui reprochent d’être réversible en ce sens où les investisseurs étrangers peuvent l’utiliser et y recourir selon leurs propres intérêts, et ce avec la complicité de cadres pourris.
Pis, en dépit de sa faiblesse, cette réglementation n’a jamais été respectée. A preuve, cette loi n’a pas abrogé les textes antérieurs. L’administration a continué à accorder des permis et à les renouveler conformément à des lois antérieures, celles de 1948, 1958, 1985, 1987, 1990…
Témoignages d’experts
Mohamed Ghazi Ben Jemia, docteur en géologie et consultant dans le domaine des hydrocarbures, s’est longuement attardé, lors d’une conférence, sur le renouvellement des permis d’exploration non conformes au cadre légal existant ou passé. Il a cité deux exemples, celui des compagnies non soumises à la loi des hydrocarbures de 1999 et qui ont bénéficié du 3ème et 4ème et même pour certaines compagnies d’un 5ème renouvellement avec des extensions associées alors qu’elles n’y ont pas droit légalement, et celui des compagnies soumises à la loi 1999 qui ont bénéficié du 4ème renouvellement avec les extensions associées alors qu’elles n’y ont pas droit légalement.
Moralité: le mal réside dans la faiblesse et la réversibilité du code des hydrocarbures. D’où tout l’enjeu de le réviser dans les meilleurs délais en mettant à contribution la société civile, les universitaires et les députés.
Solutions à explorer
En attendant et au regard du manque de confiance qui règne entre le département des hydrocarbures et le contribuable qui ne voit pas ce secteur contribuer à l’amélioration de son vécu, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) se doit de prendre en charge le dossier et de confier à une commission la mission d’évaluer le rendement et la gouvernance de ce secteur.
Au rayon des solutions, les experts proposent, dans cette même optique, un audit technique et financier de toutes les compagnies de recherche et de production des hydrocarbures, y compris les compagnies publiques et semi-publiques (compagnies mixtes). Ces audits doivent être confiés à une commission de spécialistes pluridisciplinaires sous la tutelle du Parlement et ayant des prérogatives très larges pour recommander des réformes ou des pénalités contre les éventuels contrevenants et peut-être transmettre les dossiers irréguliers aux poursuites légales en vigueur.
Et pour ne rien oublier, il faut reconnaître que la campagne «Winou el Petrol» a atteint ses objectifs. On en redemande pour d’autres secteurs gangrenés par la corruption (banques, fiscalité, industrie…). .