Tunisie-femmes dans l’économie : Ignorées par les médias

femmes-entrepreneurs-2015.jpgEn Tunisie, nous avons une femme deuxième vice-président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP); nous avons une femme à la tête du premier patronat du pays; une autre vice-présidente de la deuxième institution patronale; deux autres femmes qui président le Syndicat et l’Association des magistrats; une femme présidente du Syndicat des dirigeants de la presse audiovisuelle et électronique; une femme présidente de l’Association des jeunes avocats et d’autres. Beaucoup d’autres femmes qui président des centaines d’associations et d’institutions.

Les femmes sont très présentes et très actives aussi bien sur le terrain politique que socioéconomique. Les femmes ont été les première à tirer la sonnette d’alarme et à envahir les rues lorsqu’on avait, à l’époque de la Constituante à majorité islamiste, parlé de complémentarité hommes/femmes et non d’égalité dans les droits et devoirs et encore!

La participation des Tunisiennes dans la vie économique a connu un développement rapide au cours des trente dernières années. Grâce à la relance économique du pays à la fin des années 80, à une libéralisation économique de plus en plus affirmée et des mesures incitatives comprenant des lignes de financement mises en place par l’Etat en direction des jeunes promoteurs, les femmes ont pu intégrer la sphère productive. Un grand nombre d’entre elles sont des universitaires. Elles fréquentent de plus en plus les écoles supérieures, instituts et universités. C’était le moyen le plus sûr pour développer un leadership féminin.

A titre d’exemple, la Chambre des femmes chefs d’entreprise, qui comptait au début de sa création moins de 200 adhérentes, a atteint aux années 2008/2009 les 18.000 toutes catégories confondues pour reculer à 10.000 aujourd’hui. Changements de régime et difficultés économiques obligent.

Raoudha Saber, présidente du CNFCE qui planche en partenariat avec d’autres organisation sur les femmes entrepreneures, a précisé que 40% d’entre elles opèrent dans le secteur des services, 35% dans l’artisanat, 20% dans le commerce et seulement 5% dans l’industrie.

En 1984, elles représentaient uniquement 0,4% du nombre total des patrons, elles étaient pratiquement inexistantes, comparées aux hommes.

Des médias férus de buzz et de sensationnalisme

Où est la visibilité des femmes dans les médias malgré leur présence accrue sur terrain et toutes leurs réalisations depuis l’indépendance? Réalisations, reconnaissons-le, menacées ces dernières années, dans un pays comme la Tunisie, par un retour en arrière perceptible y compris dans les médias à cause de la montée du courant islamiste.

Depuis 2011, la Tunisie a gagné du terrain en matière de liberté d’expression, mais nous en avons aussi perdu en matière d’éthique. Le sensationnalisme et le buzz ont très fréquemment pris le pas sur les informations crédibles et constructives dans un pays où les médias devraient jouer un rôle central dans le changement des mentalités, car il n’y a pas eu de révolution culturelle qui a précédé le soulèvement des jeunes en Tunisie, appelé communément “le pays des printemps arabes“.

Les femmes sont rarement les productrices des émissions politiques car il n’y a presque pas d’émissions dédiées à l’économie dans les supports audiovisuels. Elles sont également rarement invitées sur les plateaux des télévisions ou radiophoniques en tant qu’expertes ou actrices dans la vie économique. La plupart du temps c’est la gente masculine qui invite la gente masculine. Ce qui est surprenant est que les femmes journalistes sont plus nombreuses que les hommes et que dans les équipes qui planchent sur la préparation des émissions les plus suivies, le nombre des femmes est beaucoup plus important que celui des hommes.

Qu’est-ce qui bloque alors une présence accrue des femmes? L’obstacle est éminemment culturel. Au-delà des lois, il y a cette réticence inconsciente ou délibérée de la part des animateurs vedettes et des producteurs d’inviter des femmes sur leurs plateaux, et si d’aventure certains d’entre eux expriment leur intérêt pour une présence féminine sur leurs plateaux, c’est alors le parti politique qui oppose un niet systématique, si le débat se rapporte à une thématique politique en proposant tout de suite un remplaçant mâle ou des fois, comme en témoignent certains confrères et consœurs, les concernées elles-mêmes qui déclinent leur invitation.

En Tunisie, aucune étude n’a été faite sur la présence des femmes leaders économiques dans les médias, par contre cela a été fait s’agissant des femmes politiques, et le résultat a été très décevant. Selon une étude faite par la HAICA (Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle) à propos du pluralisme politique dans les médias audiovisuels dans la campagne présidentielle, très peu de temps a été accordé aux femmes dans les médias tunisiens pendant la campagne du premier tour.

Sur l’ensemble du temps de diffusion qui était consacré aux acteurs politiques (candidats exceptés) dans 12 chaînes de télévision entre le 1er et le 21 novembre, seul 9,1% a été accordé aux femmes, contre 90,9% pour les hommes. Les femmes sont très actives mais n’ont aucune visibilité, elles sont dans le back office, ce qui nous rappelle des coutumes millénaires de ces femmes qui n’élèvent pas leurs voix publiquement et lesquelles, quand elles le font, aussi érudites soient-elles, s’expriment séparées des hommes par un rideau.

Dans la sphère économique, outre la présidente du patronat dont les apparitions ne sont pas très fréquentes, il n’est pas évident de voir des femmes exposer leurs points de vue dans les médias les plus suivis. Elles sont sollicitées par des médias spécialisés orientés vers l’économie. Mis à part les supports spécialisés, vous n’entendrez parler des femmes qu’à l’occasion du 8 mars -Fête internationale des femmes- ou encore en Tunisie le 13 août -Fête nationale célébrant la parution du CSP.

Ces toutes dernières années, nous avons réalisé à quel point les idées répandues par les courants islamistes toutes tendances confondues tendent de cantonner les femmes dans le rôle de mères au foyer qui doivent tout d’abord s’occuper du bien-être de leurs maris et de leurs progénitures. On les a même accusées d’être la cause du chômage en Tunisie. Cela veut tout dire …

Même les télévisions privées s’y sont mises, en témoigne une étude réalisée par l’UNESCO et intitulée “Femmes et Télévision au Maghreb“ dans les télévisions du Maghreb francophone par Sahbi Ben Nablia, expert en communication et médias arabes (Etudes UNESCO).

On y lit: «Les créateurs et producteurs des émissions tiennent compte de ces données au moment de la conception des produits télévisuels. Leur but ultime est la satisfaction du téléspectateur pour qu’il ne zappe pas. Pour y arriver, les créateurs font appel aux codes culturels et à l’imaginaire collectif du public cible… Le monitoring des médias montre que la femme politique tunisienne souffre d’un manque de visibilité dans les médias traditionnels et les médias sociaux et son image est affectée par des stéréotypes de genre qui influent sur la reconnaissance de son statut d’actrice politique. Cette invisibilité est généralement interprétée comme une forme de discrimination due à une exclusion des femmes politiques de la scène médiatique par les professionnels des médias».

Que faire pour imposer plus les femmes actives aussi bien dans la sphère politique que dans celle socioéconomique? Il faudrait travailler sur le changement des mentalités en formant les femmes à l’art de la communication et à celui aussi de s’imposer dans les sphères de décisions dans les médias. Il faudrait aussi soutenir les femmes qui ont osé créer leurs propres radios, télévision ou journaux.

En Tunisie, nous avons deux exemples édifiants, celui de la radio Cap Fm (Olfa) -fondée par une femme et qui s’impose de plus en plus en tant que radio de référence) et d’Ecojournal -fondé aussi par une femme (Amel Mzabi) et spécialisé dans l’économie. Ces deux femmes bataillent tous les jours pour gagner du terrain dans l’espace médiatique. Se limiter à changer les lois? Ce n’est pas la seule et unique solution. Il faut surtout révolutionner les mentalités.