égique, à Londres le 1er juin 2015 (Photo : LEON NEAL) |
[07/06/2015 17:59:50] Londres (AFP) Dans un bureau anonyme du centre de Londres, Mélanie Smith, chercheuse au King’s College, fixe l’écran de son ordinateur portable, parcourant les tweets d’une adolescente de 17 ans partie rejoindre les jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
“Ici c’est le moment où elle a annoncé la mort de son mari”, explique la chercheuse de 23 ans en pointant un tweet datant de quelques mois où l’on peut lire: “Puisse Allah accepter mon mari”.
Sur ce compte figurent également des quantités de messages retweetés, de captures d’écran de vidéos de propagande diffusées par l’EI et d’articles de presse, notamment à l’époque de l’attaque contre Charlie Hebdo à Paris, en janvier.
Ce compte est l’un de ceux ouverts par Salma Halane, une lycéenne de Manchester qui s’est enfuie en juillet 2014 avec sa soeur Zahra pour rejoindre l’EI en Syrie.
Les jumelles figurent parmi les quelques 550 femmes occidentales recensées ayant rejoint le groupe en Syrie et en Irak.
Mélanie Smith et sa collègue Erin Saltman, de l’Institut pour le dialogue stratégique, ont répertorié 108 de ces femmes en scrutant leur présence sur les réseaux sociaux dans le cadre d’un projet visant à mieux comprendre le rôle des femmes jihadistes.
“C’est grosso modo devenu ma vie, c’est une sorte d’obsession”, confie Mélanie Smith, une petite blonde qui a l’âge des personnes qu’elle étudie.
émisme violent. (Photo : LEON NEAL) |
Les chercheuses ne rentrent pas en contact avec elles mais se contentent de suivre leur activité sur internet.
“Nous sommes des voyeuses”, dit en riant Erin Saltman, experte de la radicalisation et de l’extrémisme violent.
Les heures peuvent cependant être longues à surfer sur Twitter, Facebook, Ask.fm ou Tumblr, à la recherche d’informations.
“Vous pouvez voir des images vraiment dérangeantes, il y a de tout, des décapitations aux enfants morts. Ce n’est pas toujours facile”, explique Erin Saltman, 30 ans.
– Pas si naïves –
Certains chercheurs travaillant sur ces questions ont souffert de stress post-traumatique et ont pu devenir eux-mêmes des cibles.
“J’ai personnellement reçu quelques menaces de mort”, reconnaît Erin Saltman.
Melanie Smith a commencé à travailler il y a un an à la constitution de cette base de données en archivant les messages postés par ces femmes, la plus jeune d’entre elles n’ayant que 14 ans.
“J’éprouve de la compassion pour les plus jeunes”, reconnaît la chercheuse, ajoutant que cela disparaît lorsque le discours se fait plus extrémiste.
Les recherches sont nécessairement limitées notamment parce qu’elles se concentrent sur les comptes rédigés en anglais.
Une étude américaine récente a identifié au moins 46.000 comptes Twitter liés à des partisans du groupe EI parmi lesquels les deux tiers étaient rédigés en arabe.
L’analyse des comptes de ces 108 femmes remet en question la notion de naïves “épouses” et montre qu’elles sont aussi engagées idéologiquement que leurs homologues masculins.
Si elles ne sont pas autorisées à combattre, elles se servent des réseaux sociaux pour diffuser la propagande du groupe et, à travers des messages ventant les soins médicaux prodigués ou la camaraderie “entre soeurs”, cherchent à attirer de nouvelles recrues.
Mais parfois, l’évocation de fausses couches et la souffrance d’avoir quitté leurs familles filtrent au travers de leurs messages.
Un mot-dièse #nobodycaresaboutthewidow (personne ne prend soin des veuves) est brièvement apparu, laissant entendre que certaines se sentaient seules après la mort de leur mari.
Beaucoup de femmes utilisent des “noms de guerre” pour dissimuler leur identité et voient régulièrement leurs comptes fermés pour violation des règles sur la diffusion de matériel extrémiste.
Les chercheuses signalent à Twitter ou Facebook quand certaines évoquent des attaques réelles et la police a récemment pris contact avec elles concernant un signalement.
Néanmoins, elles voient la censure comme essentiellement contreproductive.
“Si vous fermez un compte, trois autres surgissent”, rappelle Melanie Smith.
Conscientes que leur activité sur les réseaux sociaux est scrutée par des chercheurs et surtout par les services de sécurité, ces femmes basculent aussi sur des réseaux privés tels que Kik, Surespot, Wickr ou WhatsApp pour donner des détails notamment sur les itinéraires à suivre pour rejoindre la Syrie.