«Si la vie humaine n’a pas de prix, nous agissons comme si quelque chose dépassait en valeur la vie humaine … Mais quoi?». Cette interrogation existentielle formulée par l’écrivain, poète, aviateur et reporter français Antoine de Saint Exupéry dans son livre «Vol de nuit», m’est revenue le week-end dernier à l’esprit en regardant sur la chaîne El Watania une très belle émission «le pouls de la rue». L’émission était consacrée à la pénurie de certains médicaments dans les établissements hospitaliers publics et dans les polycliniques des Caisses de sécurité sociale.
Des reportages saisissants ont montré la souffrance et les désagréments subis par des malades cancérigènes et d’autres atteints par l’Hépatite C.
Des malades qui font le déplacement pour rien
Concernant les premiers, c’est-à-dire des malades du cancer originaires de régions de l’intérieur du pays, ils se sont plaints, documents à l’appui, de la centralisation de la gestion de médicaments, du coût élevé de leurs déplacements à la capitale et, surtout, de leur déception de ne pas trouver le médicament disponible.
Conséquence: en l’absence de médicaments, leur état de santé s’en est ressenti et s’est dégradé. Le témoignage d’un malade venu de la région du Kef et dépité de ne pas trouver le médicament qui lui était prescrit était particulièrement bouleversant et pathétique.
L’Etat refuse d’importer des médicaments moins chers et plus efficaces
S’agissant des seconds, ils ont réclamé, dans un état hystérique et affligeant (sit-in devant le ministère de la Santé), leur droit à la vie et à la nécessité pour l’Etat d’importer des médicaments moins chers et plus efficaces. Ils reprochent au ministère de la Santé de ne pas faire assez dans ce sens, ou plutôt de ne rien faire.
Moralité: les témoignages des malades étaient désespérants. Ils donnaient l’impression que la pénurie des médicaments était délibérée et voulue par les autorités sanitaires.
La vie n’a aucune valeur pour les bureaucrates de la santé
Interpellé sur cette question, un responsable chargé de la gestion des médicaments a imputé la pénurie des médicaments due à des ruptures de stocks à la complexité des procédures d’appels d’offres et aux dysfonctionnements de la chaîne d’importation et de distribution des médicaments. En clair, les premiers responsables sont désignés du doigt. Il s’agit du ministère de la Santé, de la Pharmacie centrale et de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM).
A titre indicatif, selon ce responsable, le ministère de la Santé ne peut lancer un appel d’offres qu’annuellement et que s’il y a pénurie, il faut attendre une année pour changer de laboratoire fournisseur.
En attendant, à défaut de médicaments disponibles, des malades peuvent mourir et les autorités sanitaires en seraient responsables. De manière encore plus précise, quelle que soit la raison invoquée (rupture de stock, lenteur administrative…), la tendance était de laisser mourir les malades.
Confronté à cette réalité, le responsable chargé de la gestion des médicaments au sein des polycliniques de la Caisse de sécurité sociale a refusé d’y adhérer et a reproché à l’animateur de le penser.
L’affaire est hélas grave
En dépit de cette réponse, la situation est très grave. La pénurie de médicaments et le refus d’importer des médicaments moins chers et efficaces est une très sale affaire. Elle est inexcusable en ce sens où des malades, incapables de suivre dans des conditions décentes leur traitement, sont, tout simplement, condamnés d’avance à une mort certaine.
Tout indique qu’au sein du ministère de la Santé publique, la vie humaine n’a aucune valeur. La question qui se pose dès lors: si la vie humaine n’a pas de prix, qu’est-ce qui est plus important pour les autorités sanitaires? D’où la pleine signification de la citation de Saint Exupéry qui a dit, également, dans “Vol de nuit“: «Nous ne demandons pas à être éternels, mais à ne pas voir les actes et les choses tout à coup perdre leur sens. Le vide qui nous entoure se montre alors…».
A méditer