Une véritable catastrophe. Elle a eu lieu, mardi 16 juin, tôt le matin, dans la zone rurale d’El Amaimia à 10 km d’El Fahs (gouvernorat de Zaghouan). Un train de voyageurs se dirigeant vers Tunis en provenance de Gaafour a heurté de plein fouet un camion semi-remorque. Le bilan est très lourd. Aux dernières nouvelles, on signale 18 morts et 98 blessés et des dégâts matériels énormes.
Une enquête est ouverte pour déterminer les responsabilités, mais on peut les imaginer facilement. Trois parties les assument a priori.
Le chauffard, un spécimen d’une grenade dégoupillée
Sur le plan pénal, dans ce genre d’accident, c’est le chauffeur du camion qui est entièrement responsable. Outre une signalisation verticale permanente annonçant le passage d’un train, ce chauffard criminel bénéficiait d’une excellente visibilité. A preuve, il a trouvé le temps matériel de voir le train arriver, de sortir du camion et d’échapper à la mort.
Il faut reconnaître qu’à défaut de lois dissuasives, ces chauffards hors la loi, voire ces grenades dégoupillées, sont en grand nombre en Tunisie. Ils sillonnent les routes tunisiennes du nord au sud du pays.
Ce qui a fait dire au ministre du Transport, Mahmoud Ben Romdhane, que «la Tunisie fait aujourd’hui partie des pays les moins sûrs en matière de sécurité routière».
Le ministre, qui intervenait sur les ondes de radio Shems Fm, a ajouté que «le pays a connu depuis la Révolution une dégradation majeure en matière de sécurité routière et qu’il serait maintenant temps d’optimiser les ressources pour assurer la sécurité des passagers».
Les voyageurs étaient sous la responsabilité du conducteur du train
Le deuxième responsable de cet accident, le plus meurtrier qu’ait connu la Tunisie depuis l’indépendance, ne serait que le conducteur du train décédé sur le coup, tout autant que son convoyeur. Selon des témoignages de voyageurs, le train était bondé et roulait à une grande vitesse. C’est ce qui explique la puissance du choc, le déraillement du train et le renversement d’une voiture de passagers. Le conducteur voulait peut-être rentrer vite. Mais ce n’est pas la seule raison.
Les récents bras de fer entre les conducteurs et la direction générale de la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT) ne seraient pas étrangers au stress et à la nervosité des conducteurs du train.
D’ailleurs, il y a deux mois, plus exactement le 2 avril 2015, un train avait déraillé, à 5 heures du matin au SERS (nord-ouest) et causé la mort de deux personnes. L’accident n’a pas été assez médiatisé.
Pour les conducteurs de train, ces déraillements sont dus au mauvais état de la voie (Tunis-Kalaat Khasba) et des trains, accusant la direction de la SNCFT de n’avoir rien fait, des décennies durant, en matière de maintenance et d’entretien et des trains et des voies, particulièrement de la ligne 6 réputée pour être la ligne la plus meurtrière.
Ces mêmes conducteurs ont commis, toutefois, une grave erreur en décidant un débrayage de deux heures après l’accident d’El Fahs en signe de solidarité avec leurs collègues décédés, omettant que dans l’attente de détermination des responsabilités, les 18 voyageurs décédés étaient les principales victimes en ce sens où leur vie était sous la responsabilité directe de leurs camarades.
Encore une fois, ces conducteurs, par leur corporatisme et égoïsme primaires, font ternir leur image auprès de l’opinion publique.
La SNCFT, une entreprise publique gangrenée par la corruption
La SNCFT est aussi responsable de cette tragédie. Voyageurs, conducteurs, médias et autres observateurs de la chose ferroviaire ont été unanimes pour attirer l’attention sur le délabrement des trains (portes qui ne ferment pas, absence de climatisation, surcharge…) et sur la vétusté des voies ferroviaires (affaissements fréquents…).
Pour eux, ce délabrement se justifie par l’absence, au sein de la SNCFT, d’une stratégie de maintenance et d’une autre pour le renouvellement du matériel. Les conducteurs ont été particulièrement virulents à l’endroit de leur société, l’accusant de «société corrompue jusqu’à l’os».
Il faut reconnaître que l’absence de maintenance des voies et des trains est une chose déplorable à tous les points de vue.
Est-il indispensable de rappeler que la maintenance, le levier le mieux indiqué pour améliorer la productivité, consiste en l’effort de fournir aux fins de comprimer les coûts, de produire mieux, plus et en toute sécurité, avec le même investissement, le même nombre de travailleurs et les mêmes équipements.
Cet effort, pour peu qu’il soit bien mené, peut se traduire, selon les experts du FMI, par trois points de croissance par an et aurait pu résoudre les problèmes de financements dans lesquels se débat actuellement la SNCFT.
Hélas, tout comme le reste des entreprises publiques, la société est passée à côté de ce levier de productivité par l’effet du laxisme, du clientélisme et de l’absence de contrôle sérieux au temps des anciennes dictatures, y compris celle de la Troïka.
Concernant la corruption qui gangrène la SNCFT, la chaîne islamiste Zeitouna lui a consacré, vendredi 12 juin 2015, c’est-à-dire quatre jours avant le tragique accident du mardi 16 juin, toute une émission, celle de «Bil mirsad» (à l’affût).
Durant plus de deux heures, les invités se sont donnés à cœur joie pour évoquer les dérapages qui ont prévalu au sein de cette société: cession d’actifs fonciers à des prix dérisoires, abandon arbitraire de lignes ferroviaires, achats de matériel portant des défauts de production auprès de fournisseurs louches… Autant d’abus qui étaient et qui sont encore à l’origine de la situation délétère que connaît actuellement la SNCFT.
Par-delà ce fait divers, la Tunisie est un pays sous-développé
Abstraction faite de la responsabilité des uns et des autres, cet accident douloureux, voire ce fait divers, était prévisible. Il vient sanctionner tous les dérapages et dysfonctionnements qui prévalent au sein des entreprises publiques sans distinction aucune.
Cet accident dont on a pris l’habitude de ne voir que dans des pays sous-développés comme le Népal, la Somalie…, vient nous apprendre par le choc que nous sommes, nous aussi, encore un pays sous-développés et arriéré. Les signes véhiculés par cet accident en sont: un chauffard génétiquement anti-règlement, un conducteur de train peu respectueux des centaines de vies humaines qu’il transporte et une SNCFT corrompue dont les cadres s’étaient employés, depuis l’indépendance, à se servir et non pas à servir.
Sans commentaire.