à une manifestation pro-européenne devant le parlement à Athènes le 22 juin 2015 (Photo : Louisa Gouliamaki) |
[25/06/2015 08:52:55] Athènes (AFP) Vous aviez cru mettre les pieds en Grèce ? Gare, c’est presque “la Corée du nord” qui vous accueille. Vous avez défilé sous le drapeau bleu étoilé pour rester dans l’Europe ? Vous êtes un “traître”, et bien sûr, de droite. Bienvenue dans un pays aux divisions exacerbées par les difficultés économiques.
Tous les matins, sur la populaire radio municipale d’Athènes, le présentateur Ilias Kanellis se lâche. Depuis l’arrivée au pouvoir du parti de gauche Syriza en janvier, il a alternativement comparé le gouvernement à la Russie soviétique, à la dictature des Colonels grecs, ou à une théocratie envoûtant le peuple.
Le tout sous le signe de la satire, à coup d’extraits des ch?urs de l’Armée rouge, de messes, ou de discours des militaires qui ont dirigé la Grèce de 1967 à 1974.
Les détracteurs de Syriza affectionnent aussi la métaphore de la Corée du nord, destin qui menacerait le pays en cas de sortie de l’euro brandi mardi au parlement par le député Nouvelle Démocratie (droite) Gerasimos Giakoumatos.
Excessif ? L’exagération est la qualité la mieux partagée dans une Grèce inquiète, fatiguée par cinq mois de négociations usantes avec ses créanciers et divisée sur les solutions pour sortir de la crise.
Lorsque jeudi puis lundi, deux manifestations ont rassemblé quelque 7.000 personnes devant le parlement sous le slogan “nous restons en Europe”, des supporters de Syriza ont voué aux gémonies, via les réseaux sociaux, des “traîtres, des “vendus”, soupçonnés d’être manipulés.
Les partisans de Syriza et adversaires de l’austérité avaient organisé des rassemblements distincts, la veille des “pro-euros”.
“C’est une fracture économique entre nous, une différence de classe, assénaient Eleni et Andreas Pataki, du côté des anti-austérité. Ici manifestent ceux qui n’ont plus grand chose à perdre”.
Eleni a fait partie des enseignants spécialisés -elle gagne 900 euros par mois dans le primaire- dont le poste a été supprimé sans préavis pour réduire des postes dans la fonction publique en 2013. Syriza a réembauché ces quelques milliers de fonctionnaires. A 62 ans, Andreas est au chômage et sans retraite avant 67 ans.
– café politique –
Nantis contre démunis ? L’opposition n’est pas aussi simple.
Au milieu des mises souvent très soignées, chemises élégantes et brushings impeccables des “pro-euros”, il y a aussi Dimitri -il souhaite rester anonyme-, 55 ans, dessinateur de presse au chômage, retourné habiter chez sa mère dont la retraite de 550 euros l’aide à survivre.
“Les nantis de la Grèce d’aujourd’hui, ce sont les fonctionnaires qui ont gardé leur emploi et leurs conditions de travail. Le secteur privé a été laminé, la politique de Syriza ne profite pas aux plus pauvres”, affirme-t-il sans animosité.
érité à Athènes le 23 juin 2015 (Photo : Louisa Gouliamaki) |
La Grèce doit payer ses dettes, insiste-t-il, parce qu’il n’y a “pas de raison qu’en Pologne, des gens qui gagnent 300 euros par mois payent pour nous”.
Loin des manifestations, Aliki Mouriki, sociologue au Centre national de la recherche (EKKE), s’inquiète de ces tensions à vif. “Même avec des amis récemment, nous avons eu des mots. Je critiquais un ministre du gouvernement et on m’a reproché avec véhémence de préférer un de ses prédécesseurs. Mais je ne suis ni pour l’un, ni pour l’autre, ce n’est pas si compliqué à comprendre !”
Dans un pays où les places de village comptent depuis plusieurs générations leurs cafés “de droite” ou bien “de gauche”, où les débats politiques télévisés tournent facilement à la bataille cacophonique rangée, la division n’est pas nouvelle.
Elle transcende aussi les partis, certains y voyant davantage une société écartelée entre valeurs “occidentales” et “orientales”.
éens à Athènes le 22 juin 2015 (Photo : Aris Messinis) |
“La division est notre état normal, et non l’exception”, constate Aristides Hatzis, professeur à l’Université de droit d’Athènes dans une tribune parue cette semaine sur le site d’opinions Protagon.gr., pour s’inquiéter d’une “nouvelle division nationale”.
Une guerre d’indépendance contre les Turcs après laquelle les insurgés se sont déchirés, des années de lutte entre libéraux et conservateurs (première moitié du 20e siècle), une guerre civile (1946-1949) ont jalonné l’histoire.
“La Grèce, relevait un manifestant lundi, a une longue histoire de résistance, une capacité à faire face, mais pas forcément à avancer”.