Jamais on n’a autant parlé d’islam en Tunisie. Jamais les Tunisiens n’ont été autant nombreux dans les mosquées. Jamais on n’a autant parlé des valeurs de l’islam. Jamais on n’a vu autant de barbes pousser comme des champignons. Jamais on n’a vu autant de femmes porter le voile. Jamais on n’a vu autant de gens se réclamer “salafistes“, mais aussi “djihadistes“. Mais jamais non plus les violences et la barbarie n’ont été autant nombreuses. Jamais les agressions n’ont été si nombreuses dans notre pays. Jamais les actes incivils n’ont autant envahi nos rues.
Alors comment expliquer ces comportements contradictoires? Quel sociologue ou psychologue est en mesure, aujourd’hui, de nous éclairer sur le fait religieux en Tunisie? Vous aurez compris, beaucoup d’interrogations sans réponses.
Certains disent que s’il est ainsi depuis le 14 janvier 2011, c’est parce qu’avant cette date, personne n’osait montrer sa foi. Mais est-ce que cette explication tient la route? Pas vraiment, car on peut apporter plein de contre-exemples: les moquées étaient remplies de fidèles, on rencontrait des femmes voilées dans les administrations, ils étaient également nombreux à effectuer les rites de Hajj, etc. Donc, cet argument ne tient pas.
Maintenant, regardons du côté de ce qu’on appelle “islam politique“.
Islam politique, facteur déclencheur des dérives…
En faveur de la révolution ou plutôt de la chute et de la fuite de Ben Ali, mais surtout la sortie du mouvement Ennahdha des ténèbres, la Tunisie est entrée de plain-pied –et sans doute pour longtemps- dans l’ère de l’islam politique. Comme l’ont montré du reste l’élection de la Constituante de 2011, mais également les élections législatives et la présidentielle de 2014.
Or l’islam –plus que toute autre religion- est un ensemble de valeurs sociales, un savoir-vivre ensemble… Et par conséquent, dès qu’on lui adjoint l’adjectif “politique“ elle perd ses valeurs originelles.
Mais c’est curieux de voir comment beaucoup de nos compatriotes ne semblent avoir découvert l’islam que depuis l’entrée en scène du parti Ennahdha. Cela dit au passage, un ami me racontait qu’en 2011, pendant la campagne pour les élections de la Constituante, alors qu’il faisait la prière dans la mosquée de son quartier, l’imam s’est permis de dire «tous ceux qui ne voteront pas pour Ennahdha sont des incroyants»…
Ensuite, reconnaissons bien que nous Tunisiens sommes des champions imitateurs de ce qui se fait ailleurs. Y compris dans le fait religieux. En effet, en faveur de la prise du pouvoir en Afghanistan par les talibans en 1994, certains Tunisiens se sont rendu compte, en ce moment, qu’avoir des statuettes dans leur maison était proscrit par la religion musulmane. Ensuite, dès la chute de Ben Ali, on s’est soudainement rendu compte que se laisser pousser la barbe ou se voiler la tête (niquab) sont une obligation de l’islam. On a même vu certaines personnes porter des pantalons courts, soi-disant que le Prophète s’habillait ainsi.
A la limite, jusque-là c’est acceptable. Mais là où il l’est moins –voire condamnable-, c’est la présence de nos compatriotes dans les terrains de guerres un peu partout dans le monde: en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Irak, au Mali, peut-être même auprès de la secte Boko Haram…
Rappelez-vous qu’un Tunisien est impliqué dans l’assassinat du Commandant Massoud surnommé le “Lion de Panchir“, alors que les Russes, avec tout leur arsenal militaire et d’espions, en 20 ans d’occupations de l’Afghanistan, n’avaient pas réussi à l’éliminer. Ainsi, le 9 septembre 2001, soit deux jours avant les attentats du 11 Septembre, l’Algérien Abderammane Ameuroude et le Franco-tunisien Mehrez Azouz, étaient parvenus, à l’aide d’une caméra vidéo volée à Grenoble, en France, à éliminer Ahmed Shah Massoud.
L’hypocrisie ambiante…
L’attentat du Musée du Bardo est venu montrer une fois de plus qu’on n’est jamais assez à l’abri du terrorisme, quelle que soit notre vigilance. Mais tout de même, l’impression qui se dégage c’est qu’il y a une sorte d’hypocrisie ambiante dans notre société. Dans les familles, dans les entreprises et/ou autres lieux de travail, dans les moyens de transport, autour des amis, etc., il est difficile de ne pas remarquer un comportement “suspect“. Mais chacun se dit: «il ou elle est libre de changer», «ce son droit d’avoir sa propre maçon de vivre», «ce n’est pas grave»…
Autre fait qu’on ne signale pas: dans certains quartiers, on trouve certaines personnes qui ne travaillent pas mais qui mènent une vie plus que décente. D’où trouvent-elles l’argent pour vivre ainsi?
Mais le véritable problème de la Tunisie réside dans le corps des forces de sécurité qui, selon toute vraisemblance, a été infiltré, au cours de la période de la Troïka, par des éléments salafistes. Or, beaucoup de têtes pensantes appellent de leurs vœux à nettoyer le ministère de l’Intérieur de ces éléments. Oui, c’est l’idéal, sauf qu’on ne bâtit pas un corps de sécurité et de renseignements en claquant les doigts. Il faut beaucoup de temps et d’argent.
Aujourd’hui, la tâche peut être moins difficile si l’on tient compte du fait que le chef de l’Etat et le Premier ministre connaissent la maison –le ministère de l’Intérieur. Mais est-ce suffisant? Pas si sûr, car il est impossible de revenir aux années Ben Ali, avec tout ce que cela comporte comme violations des droits de l’Homme, de privation de liberté…
L’attaque du Musée du Bardo aura des impacts néfastes sur la Tunisie, socialement mais surtout économiquement. D’ailleurs, il suffit juste de rappeler un autre attentat, celui perpétré devant la Synagogue de Djerba en 2002, pour imaginer qu’un attentat terroriste laisse toujours des séquelles difficiles à cicatriser.
L’impact sur le secteur touristique est d’autant plus dramatique que la situation économique des Tunisiens fait que ces derniers ne sont pas capables de remplacer les touristes étrangers. En fait, nos hôteliers n’ont jamais eu une stratégie de tourisme intérieur. Pour eux, les Tunisiens qui séjournent de temps en temps dans les hôtels ne constituent que des appoints, ni plus ni moins. Ce qui est incompréhensible.
L’attaque de Sousse… et ce sont nos espoirs de reprise qui s’envolent
Avec l’attaque de l’hôtel Impérial de Sousse, vendredi 26 juin 2015, ayant causé la mort d’une quarantaine de touristes (au moment où écrivons ces lignes), on se demande si la Tunisie pourra un jour s’en sortir.Il faut pas désespérer, même si la tâche sera difficile.
Pour l’heure, inutile de pointer du doigt accusateur ni sur le gouvernement ni sur les forces de sécurité. Toutefois, la responsabilité d’une bonne partie de ces actes terroristes et criminels commis sur des Tunisiens et/ou sur le sol tunisien revient à la Troïka –principalement Ennahdha qui a trop laissé faire “ses enfants de coeur”. Ceci dit, Habib Essid doit être ferme et intraitable dans ses décisions, dynamique dans ses actions. Tolérance zéro pour tout auteur d’un acte terroriste sur le territoire national.
Mais Sihem Ben Sedrine et Farhat Rajhi porteraient, eux aussi, une lourde responsabilité dans le “démantèlement“ de l’appareil sécuritaire invisible de la Tunisie, en l’occurrence les services de renseignement. Ils ont oublié qu’aucun pays ne peut venir à bout du terrorisme sans un service de renseignement efficace, omniscient. Or, Ben Sedrine et Rajhi, avec leurs scrupules de droits de l’Homme, auraient tout bonnement estimé et décidé que la Tunisie n’avait pas besoin de service de renseignement…
L’histoire les jugera pour haute trahison envers la Tunisie et les Tunisiens si toutefois leur responsabilité dans le démantèlement des renseignements généraux tunisiens est établie!
Pour leur part, les différents syndicats du pays devraient désormais, par décence, cesser de mettre la pression sur le gouvernement pour des augmentations de salaires. Désormais, l’heure doit être à la mobilisation générale et à l’unité nationale pour sortir le pays des crises qu’il traverse.
Nous avons nommé cela “mobilisation patriotique” (au sens noble du terme) pour une Tunisie solidaire, solide et engagée. Et on espère que tout le monde y apportera son grain de sel.