Les bailleurs de fonds, particulièrement les institutions de Bretton Woods, exercent, ces temps-ci, un véritable harcèlement sur le gouvernement tunisien dans l’objectif de le pousser à honorer les engagements pris en contrepartie de l’obtention de crédits et, partant, à accélérer la mise en œuvre des réformes structurelles convenues.
Pour mémoire, ces réformes portent sur la fiscalité, douane, restructuration/recapitalisation des banques, faillite des entreprises, code des investissements, environnement des affaires, concurrence, partenariat public/privé, intégration de l’économie parallèle dans le circuit formel.
Ce harcèlement est perceptible soit à travers des rapports subtils certes mais accablants sur l’ampleur des abus et de la corruption qui ronge les secteurs précités, soit à travers des avertissements directs et sans ambages.
La Banque mondiale épingle de nouveau la douane tunisienne
S’agissant des rapports sur les dérives qui prévalent dans les secteurs à réformer, le plus récent a été rédigé ces dernières semaines par la Banque mondiale sur la douane tunisienne. Pour Eileen Murray, représentante résidente de la Banque mondiale pour la Tunisie, «ce rapport, intitulé “Political Connections and Tariff Evasion: Evidence from Tunisia“, met à nu les pertes économiques causées par le non-paiement des droits à l’importation durant les dix dernières années, une situation qui a fait perdre à l’État des milliards de dollars».
Concrètement, «ce rapport rend compte de la pratique largement répandue du non acquittement des droits à l’importation par les entreprises qui entretenaient des relations privilégiées avec le régime de l’ancien président tunisien, Ben Ali. Selon les calculs présentés, ces entreprises ont pu éviter de payer, en déclarant des valeurs inférieures, pas moins de 1,2 milliard de dollars en droits entre 2002 et 2009. Pis,Bob Rijkers, économiste de la Banque mondiale et auteur principal du rapport, relève que«la révolution a entraîné une baisse de la déclaration de prix inférieurs par les entreprises protégées, mais s’est accompagnée d’une augmentation de la fraude à l’importation de plus (+5,7%) par les entreprises ordinaires et d’une intensification du commerce informel».
A noter que le même expert de la Banque mondiale s’était penché dans une étude antérieure sur la corruption de la douane tunisienne et avait proposé sa réforme comme une conditionnalité pour l’octroi de crédits à la Tunisie. L’expert avait montré dans cette étude «des écarts énormes dans le volume des marchandises exportées par les pays européens vers la Tunisie et celles déclarées, à l’importation, aux ports et aux services de la douane tunisienne».
Ce rapport est du reste à l’honneur de la Banque mondiale que cela déplaise ou non au Front populaire et acolytes. Il est en tout cas en harmonie avec le mea culpa exprimé par cette institution dans son rapport sur la Tunisie «La révolution inachevée».
La Banque mondiale refuse d’être de nouveau flouée
Dans ce rapport, la Banque mondiale admet, en substance, qu’elle s’est laissée flouer par l’équipe des kleptocrates de Ben Ali et que ses apports financiers ont servi, hélas, à «soutenir un système basé sur les privilèges, un système qui appelle à la corruption et aboutit à l’exclusion sociale de ceux qui ne sont pas bien introduits dans les sphères politiques».
Elle relève dans ce même rapport qu’«avec du recul, la Banque a appris que dans le cadre de ses efforts pour demeurer engagée et pour aider les démunis, elle pouvait facilement oublier le fait que son engagement peut mener à perpétuer le type de systèmes économiques qui maintiennent les pauvres dans la pauvreté». Dont acte.
Le FMI menaçant
Concernant les avertissements, ils sont à l’actif du Fonds monétaire international (FMI). Le plus récent a été formulé par une délégation du Fonds qui a séjourné, du 28 mai au 10 juin 2015, à Tunis, dans le cadre des consultations traditionnelles prévues au titre de l’article IV des statuts de l’institution.
Conduite par Amine Maati, chef de mission pour la Tunisie au département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, pourtant un des artisans de l’Accord Stand-by conclu avec les autorités tunisiennes en juin 2013 (1,7 milliard de dollars), cette délégation, dont le séjour n’a pas été médiatisé comme le veut la tradition, s’est déclarée insatisfaite du retard monstre qu’accusent les réformes structurelles que le gouvernement tunisien s’était engagé à entreprendre.
Selon nos informations, la délégation aurait même brandi des menaces, et ce en conditionnant le déblocage du solde du crédit Stand-by par l’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) des réformes et par le démarrage de leur mise en œuvre. Il s’agit du 2ème avertissement que le FMI lance au gouvernement tunisien en l’espace de deux mois.
Au mois de mai dernier, le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) avait annoncé avoir accordé à la Tunisie un délai de 7 mois, plus exactement au 31 décembre 2015, pour permettre aux autorités tunisiennes «d’appliquer les réformes et les engagements pris dans le cadre de l’accord conclu avec le pays».
Ces invectives sont la bienvenue
Au-delà des menaces et critiques formulées par les bailleurs de fonds, il faut reconnaître que ces rapports et avertissements sont la bienvenue. Ils ont pour mérite de remettre en cause l’immobilisme aux louches desseins d’un gouvernement enclin à gagner du temps et à traîner trop les pieds avant d’entamer l’exécution des réformes souhaitées.
Par de telles initiatives, ces bailleurs de fonds donnent l’impression, en cette période de déprime générale, qu’ils font mieux que le gouvernement et l’opposition tunisiens en ce sens où ils se soucient de la stabilité du pays et de l’intérêt des Tunisiens et, partant, ne ratent aucune occasion pour critiquer l’immobilisme, la corruption et la mauvaise volonté politique du gouvernement en place, alors que les problèmes socioéconomiques ne cessent de s’intensifier. Ils ont compris qu’il y va de leur crédibilité.