L’Europe tend la main à ses voisins pour sonder les voies d’un partenariat viable. Aura-t-elle le cœur suffisamment bien accroché pour engager un deal économique franc et consistant à la vie, à la mort ? Elle balance entre un “peut’et ben que oui”, “peut’et ben que non”. L’Europe joue avec le feu.
Momentanément infructueuse, la politique de voisinage fait l’objet d’une tentative de révision. Federica Mogherini, Haute représentante de la politique extérieure, et Hahn, commissaire européen pour la politique de voisinage, montent au filet en lançant une consultation sur l’avenir de la politique de voisinage. Deux réunions des Ministres Affaires étrangères ont eu lieu, dans ce cadre, en avril et juin de cette année.
Le rendement de cette politique ayant été Peanuts, alors voici venu le moment d’associer, cette fois, les voisins dont la Tunisie, à un effort collectif de cogito. Ayant oublié de mettre un contenu à cette politique, pour l’avoir décrétée de manière unilatérale, l’Europe découvre, à ses dépens, qu’il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne connaît pas son port.
Conçue en 2005 par Romano PRODI, en rapport avec les seize voisins de l’UE* adossée à un slogan flambeur “More for More”, la politique de voisinage a été peu productive, probablement faute d’objectifs clairs et précis. L’initiative de Mme Mogherini est, certes, louable mais cette fois débouchera-t-elle sur des choses concrètes? C’était l’esprit qui a prévalu lors du dîner-débat organisé en prélude au Forum international de l’ASECTU (Association des économistes tunisiens).
Une attitude formelle
De voisins nous voilà partenaires, dira en substance Laura Baeza, ambassadeur de l’UE, désirant dépasser le sentiment de réprobation du bilan modeste de dix années de maigre voisinage. Cette offre fait miroiter la possibilité pour les voisins de plaider en direct afin d’inclure les nouveaux défis du contexte nouveau d’après janvier 2011. On l’aura compris, c’est une tentative de vendre de l’espoir en cherchant une consistance de fortune pour le cadre du voisinage. Vouloir mettre à profit le voisinage en valorisant notre potentiel de complémentarité ressemble à de l’incantation. Ce faisant, l’ambassadeur cherchait probablement à éluder deux éléments ravageurs. L’Europe est en panne économique structurelle depuis plus d’une décennie outre qu’elle apparaît vulnérable de l’intérieur au vu de l’évolution du dossier de la Grèce qui menace de détricoter l’Eurozone.
Autrefois puissante, elle dictait ses volontés. Actuellement vulnérable, elle est mieux disposée à écouter. De ce fait, en tant qu’interlocuteur, elle est moins audible. Sans cartes maîtresses en mains peut-elle mener le jeu?
La question cruciale : Donner une vision et des engagements ici et maintenant
Réaliste et pertinent, Pr Mohamed Haddar sera toutefois ferme et direct. Le triptyque prospérité, stabilité, attaché à la politique de voisinage ne s’est pas vérifié. La prospérité a fait défaut. Réviser la politique de voisinage, il est pour. Mais ce sera sous l’angle d’une nouvelle problématique. Reconfigurer le voisinage par des retouches c’est le condamner. Le refonder c’est l’adapter au contexte nouveau du printemps arabe et il existe une chance de le sauver. Les transitions démocratiques, pour se confirmer, ont un besoin immédiat de développement. Pour avoir manqué à cet objectif, l’Europe a laissé l’Egypte sacrifier la démocratie sur l’autel de la stabilité. Seule en ligne la Tunisie peut être sauvée, mais il faut agir vite! Il lui faut se mettre sur la voie du développement en temps réel, sous la tyrannie du chrono. Si tant est que l’Europe est intéressée à avoir un Etat de droit sécurisé en Tunisie, il lui faut s’engager tout de suite. C’est son dernier rempart contre la barbarie qui mettra en péril sa sécurité propre.
Attention: L’Europe se met en mode autiste
Pr René Leray indiquera la méthodologie appropriée pour sauver le processus. Il commencera par rappeler que si l’Europe est mieux disposée à l’attention de ses partenaires, c’est d’abord pour voir dans quelle mesure ils peuvent répondre à ses trois soucis majeurs. Momentanément elle sera autiste et branchée sur ses seuls problèmes. Alors ce n’est peut-être pas le moment pour la Tunisie de plaider son cas particulier.
L’Europe veut d’abord s’ausculter. Elle entend d’abord baliser des perspectives d’approvisionnement en énergie, de renforcement de sa sécurité face au péril terroriste et le renforcement de sa démographie avec une immigration sur mesure. Une fois apaisée sur ces questions, elle sera mieux disposée à se pencher sur les cas particuliers. Pr Leray rappelle que les voisins de l’Europe ne font pas un front uni mais constituent trois blocs. Certains sont intéressé par une intégration économique tel la Tunisie ou le Maroc, d’autres sont intéressés par une coopération sectorielle et d’autres cherchent une coopération énergétique comme la Libye. Il faudra donc patienter. Cependant, l’Europe et la région peuvent-elles ne pas réfléchir et agir dans l’urgence compte tenu de l’assaut du péril terroriste?
Capacity building et bargaining power
Modérant le débat, Hédi Arbi, ancien ministre de l’Equipement dans le gouvernement de Mehdi Jomaa, ira de sa touche conciliante. La seule façon de dribbler la lenteur du processus est d’aller vers un pari d’ouverture pour les services. Cela apporterait un boost qui renforcerait nos capacités institutionnelles et économiques. Plus intégré à l’Europe, on aurait plus d’audience pour faire aboutir nos exigences. La Tunisie a joué délibérément la carte de l’UE. Le Maghreb est en léthargie et l’Afrique nous est encore fermée alors il nous faut acquérir un bargaining power par nos propres moyens pour déverrouiller la forteresse Europe.
L’UE est plus vulnérable que la Tunisie
Le message d’ensemble de cette table ronde est que l’Europe, en défendant la Tunisie, s’auto-protégera. La nature du péril terroriste est perfide. On a tendance à voir la menace terroriste dans l’invasion des hordes des despérados de Daech. Or ce ne sont pas ces contingents, si violents qu’ils soient, qui menacent directement l’Europe. Ces commandos ne sont qu’un carburant pour un mal plus sournois, à savoir l’extrême droite. Celle-ci se servirait de Daech pour parvenir au pouvoir dans les pays européens. Et on peut compter sur elle pour faire le sale travail. Souverainiste et par conséquent anti européenne, l’extrême droite minera l’Europe en moins de temps qu’il ne faudra pour le dire. Ceci pour montrer que pour l’Europe sauver la Tunisie, en en faisant un rempart de démocratie, c’est s’auto-immuniser.
*Voisinage continental et pourtour sud de la Méditerranée