Tunisie – Afrique : Riadh Azaiez plaide pour la création d’un ministère de l’Intégration africaine

«Si vous voulez dompter un marché, il est important de savoir le conquérir». Basique, ce préalable en matière de développement des affaires n’a pas échappé au concepteur de plusieurs salons tunisiens en Afrique subsaharienne. L’objectif des événements qu’il conçoit est d’accompagner les entreprises tunisiennes dans leur volonté de s’exporter et le comment, se fait via des salons thématiques réguliers.

Sommes-nous en train de voir les prémices d’une nouvelle conquête tunisienne à un moment où les entreprises tunisiennes sont au plus mal?

Interview avec Riadh Azaïez, directeur général d’une agence de communication et d’événementiel économique en Afrique.

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WMC: SAYDALIYA, BATIVOIRE, CONSULTAFRIC et aujourd’hui CAMPUS TUNISIE sont des Salons tunisiens organisés par votre agence en Côte d’Ivoire. Dans quel but?

Riadh AZAIEZ : AZ COM est présente en Côte d’Ivoire et en Afrique subsaharienne depuis 2005, date depuis laquelle nous accompagnons de nombreuses entreprises tunisiennes dans leurs prospections.

Rapidement, nous avons noté que les entreprises tunisiennes tirent peu de profits de leurs participations aux salons multisectoriels et s’accommodent mal de la présence de concurrents venant de divers pays qui réservent aux marchés subsahariens des produits d’entrée de gamme, pas chers et de qualité modeste. C’est ce constat qui nous a amenés à lancer nos propres labels et à organiser des salons professionnels, sectoriels, dans des domaines où nos sociétés tunisiennes sont performantes et où elles apportent une véritable valeur ajoutée au marché ivoirien.

Combien coûte un Salon? Comment choisissez-vous les secteurs? Comment se prépare le terrain en Côte d’Ivoire?

C’est la partie la plus délicate de la mission. Il y a lieu d’identifier le secteur, les personnes et entreprises qui y sont influentes, lever les obstacles en rencontrant les concurrents ivoiriens du secteur afin de leur expliquer que la démarche est collaborative.

Il faut bien entendu rencontrer les autorités politiques ivoiriennes, organiser d’un point de vue logistique le Salon, organiser les relations publiques et la communication… C’est en fait un travail titanesque qui nécessite des relations, du temps, de l’expertise, des ressources humaines et financières conséquentes…

Quel a été le bilan du dernier Salon que vous avez organisé. Il s’agissait bien d’un Salon dédié aux TIC, CONSULTAFRIC? Combien d’entreprises tunisiennes ont fait affaire avec des entreprises ivoiriennes et atteint leurs objectifs?

CONSULTAFRIC a vu le ministre Nooman Fehri, ministre des TIC et de l’Economie numérique, conduire 77 opérateurs du secteur à Abidjan. Moins de deux mois après, c’est Bruno Koné, ministre ivoirien des TIC et porte-parole du gouvernement, qui a amené à son tour 29 opérateurs ivoiriens à Tunis. A la clé, de très nombreux contrats dont plusieurs dépassent le million d’euros ont été signés. Ils ont touché à la fois les entreprises publiques et privées.

Une troisième manche devrait avoir lieu à Abidjan en septembre 2015 afin de consolider tous les contacts réalisés.

Pensez-vous que les entreprises tunisiennes sont aujourd’hui dans une attitude conquérante? Sont-elles vraiment sensibilisées à l’Afrique et à son potentiel?

Il ne s’agit pas pour nos entreprises de conquérir un nouveau marché. Ce marché est le nôtre, le marché de tous les Africains.

Toutes les entreprises africaines doivent apprendre à mieux se déployer sur leur continent, à charger leurs gouvernements de lever, au plus vite et au maximum, tous les obstacles à la circulation indivisible des biens, des personnes et des capitaux. D’autres l’ont fait avec succès, pourquoi pas nous?

Mais l’Etat a-t-il cette vision? D’ailleurs, y a-t-il vraiment une stratégie africaine tunisienne?

Le président Bourguiba a été à côté des président Houphouët Boigny et Léopold Sédar Senghor un porte-drapeau de l’Africanité. Depuis une vingtaine d’années, la Tunisie est peu visible sur la scène africaine. Une véritable stratégie doit être tracée au plutôt.

Justement, comment voyez-vous cela?

A mon sens, cela passe par la reconnaissance solennelle de l’ancrage de la Tunisie dans son continent et par la création immédiate d’un “ministère de l’Intégration africaine“ dont la charge serait à la fois de définir une véritable stratégie et de la mettre en place. Il faut s’atteler à lever tous les obstacles qui réduisent les champs, et réduire aussi et surtout les obstacles culturels.

On observe depuis quelque temps de nombreuses mesures en faveur de l’Afrique comme la suppression de visas sur certains pays, le lancement de nouvelles destinations de Tunisair… Mais, tout ceci reste léger!

Concrètement et de par votre expérience, quelles sont les 5 mesures les plus vitales que devrait prendre le gouvernement pour amorcer un vrai début de plan d’action sur la sous-région?

Les mesures prises aujourd’hui sont timides. L’approche des suppressions de visas pays par pays est trop lente. Le redéploiement des lignes de Tunisair pose plus d’une question! S’il y a des mesures urgentes à prendre, je dirais:

– un ministère d’Etat chargé de l’Intégration africaine;

– l’accès au territoire tunisien devrait être déclaré libre pour tout ressortissant africain pouvant justifier de ressources suffisantes lors de son séjour;

– le ministre des Finances devrait réunir les dirigeants du secteur bancaire et des assurances pour entamer une stratégie efficace et sceller le retour des financiers tunisiens en Afrique subsaharienne ;

– le CEPEX devrait ouvrir et de suite deux nouvelles représentations à Kinshasa et à Addis-Abeba. Il aura, en plus de sa mission classique, la représentation de la FIPA, de l’API, de l’APIA, de l’ONTT et de l’UTICA. Il va de soi que ce bureau doit disposer de moyens conséquents en ressources humaines et financières.

Pour conclure, je dirai que les ambassades tunisiennes en Afrique doivent disposer de compétences et de moyens, au niveau local, dignes de l’image de la Tunisie et de son ambition. Leurs missions seront orientées davantage vers la diplomatie économique.

Pourquoi omettez-vous de citer Tunisair? Ne dit-on pas que le transport est le premier handicap à l’exportation tunisienne en Afrique?

Je ne cite pas Tunisair car il s’agit pour moi de stabiliser les lignes existantes et de respecter surtout les vols programmés sur les actuelles destinations.

Le Maroc est souvent cité comme l’exemple de pays qui a réussi dans la sous-région. Quelle a été leur stratégie?

Le Maroc est présent en Afrique subsaharienne depuis des siècles et déploie une stratégie africaine très ambitieuse depuis plus d’une vingtaine d’années. Aujourd’hui, cette stratégie est conduite personnellement par un monarque jeune et extrêmement impliqué.

Pour nous, il faut voir les choses autrement. Se dire que notre continent compte plus d’un milliard d’habitants aujourd’hui et que nous serons plus de deux milliards d’ici 2050. L’Afrique est immense et elle a besoin et peut nourrir tous ses enfants. Il y a de la place pour tous! Cependant, il faut savoir que plus on tarde à s’implanter, plus le billet d’entrée sera élevé!

Quelle approche adopter avec un Maroc super stratégique, des Libanais traditionnellement installés, des Français en perte de vitesse?

Les relations avec nos frères marocains doivent être repensées dans le cadre de la complémentarité et le respect.

Par ailleurs, nous sommes rarement en concurrence avec les opérateurs libanais qui sont surtout présents dans le négoce.

L’ensemble de l’Afrique connaît des mutations avec l’arrivée de nouveaux pays, particulièrement ceux des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Sachez que les Français seront amenés à corriger leur positionnement dans certains secteurs.

L’Afrique aujourd’hui, un choix ou une obligation de survie?

L’Afrique est aujourd’hui le seul choix possible.

Quels sont vos projets en 2016

Notre agence se développe fortement et maîtrise de mieux en mieux son environnement subsaharien. Toutefois, nous parions sur l’arrivée de Madame Aziza Htira comme PDG du CEPEX pour donner un nouvel élan au Partenariat Public/Privé en termes de prospection de nouveaux marchés. Le développement d’événements sur-mesure pour les opérateurs tunisiens implique des investissements qu’une agence privée ne peut assumer à elle seule. L’engagement du CEPEX est déterminant pour l’avenir de l’événementiel tunisien en Afrique subsaharienne et conditionnera nos actions à venir.

De notre part, en cas de soutien, nous élargirons en 2016 notre champ sur le plan sectoriel à l’agroalimentaire et sur le plan géographique aux deux Congo.

Pour finir, quels conseils donneriez-vous aux entreprises tunisiennes qui veulent s’installer en Côte d’Ivoire

Je leur dirais qu’il faut cesser d’hésiter. Chaque entreprise doit s’appuyer sur ses meilleurs produits et les services. Elle doit les mettre en avant, ce dans quoi elle est la plus performante pour parvenir à un meilleur positionnement possible à Abidjan. Aux entreprises tunisiennes, je dis aussi penser à l’ensemble du pays qui demeure peu connu pour la plupart des entreprises étrangères et pas qu’à Abidjan!