«On ne sauve pas les vieilles maisons dans lesquelles on met la pioche, sous prétexte de les réparer. On ne fait qu’augmenter les lézardes», disait Emile Zola. Pour le Mouvement tunisien de l’Indépendance, pas de demi-mesures qui vaillent. Il faut qu’il y ait du changement. Un changement tous azimuts en Tunisie, sans compromis et sans compromissions.
Entretien Avec Rym Mourali, secrétaire générale du parti créé il y a moins d’un an.
WMC : Madame Mourali, vous avez déclaré dans l’un de vos statuts “L’heure est grave, j’espère que certains en sont conscients”. Que voulez-vous dire par cela?
Madame Mourali : Après toutes les épreuves subies, et ce depuis les événements de 2011, force est de constater que bon nombres d’acteurs sur la scène publique font preuve d’autisme face aux enjeux, aux dangers, des risques et surtout des conséquences que peut engendrer cette fascination qu’ils ont pour l’anarchie dite créatrice «El Faoudha el Khalléka».
Le statut auquel vous faites référence a trouvé confirmation dès le lendemain à travers les réactions de certains responsables politiques et une partie la société civile, inconscients de la gravité de la situation et emprisonnés dans ce qui est un combat d’arrière-garde hors de propos.
Qu’est-ce qui met le plus en danger les acquis politiques et sociaux, l’ordre ou le terrorisme?
Cinq ans de transition, c’est trop long, on s’attendait à une relève qui pouvait assurer, nous sommes aujourd’hui devant un État qu’on s’est acharné à détruire estimant qu’il incarnait la dictature. Est-ce que l’existence d’un État fort rime avec dictature d’après vous?
Cinq ans de transition, c’est l’appellation officielle donnée à 5 longues années de tâtonnement, d’erreurs, de mensonges et de manipulation. Le péché originel de ces 5 dernières années est d’avoir donné du crédit à la parole de R. Ghannouchi (ne s’était-il pas engagé sur une année pour la Constituante, pour finir avec 2 gouvernements Troïka et un gouvernement dit technocrate qui fut d’ailleurs imposé par la rue).
«N’avons-nous pas assisté à une déferlante de populisme sans pareille réduisant à néant les valeurs normatives de la société?»
Tout au long des deux gouvernements Jebali et Laarayedh, n’avons-nous pas été les spectateurs de la décomposition des institutions de l’État et de l’autorité publique? N’avons-nous pas vu les intérêts de l’État dévoyés au profit d’intérêts partisans? La République n’a-t-elle pas subit tous les outrages possibles et inimaginables? N’avons-nous pas assisté à une déferlante de populisme sans pareille réduisant à néant les valeurs normatives de la société? Ne se sont-ils pas acharnés à détruire l’État non pas parce qu’il incarnait la dictature mais parce qu’il symbolise tout ce qu’ils ont toujours rejeté: l’ouverture, le progrès humain et le modernisme sans, oublier que l’Etat moderne est assimilé à un héritage de Bourguiba et que dans le projet islamiste il faut détruire l’Etat existant pour en construire un autre?
La volonté d’imposer leur modèle de société à la Tunisie ne s’est-elle pas exprimée dernièrement par la proposition d’un dialogue national à tous les niveaux de l’Etat, calqué sur l’organisation de la «Choura»?
Quant à la gouvernance de Mehdi Jomaa, elle s’est limitée à la gestion des affaires courantes occultant les recommandations de la feuille de route ne serait-ce que la révision des nominations partisanes. Un Etat fort est tout d’abord un Etat libre et souverain, avec des institutions sereines et capables maintenir l’ordre tout en appliquant égalitairement la loi.
Sans oublier qu’une démocratie se construit avec un Etat fort.
Pourquoi la Tunisie après 4 gouvernements peine encore à se relever de ses blessures?
Il est très vrai que la Tunisie peine à se remettre de ses blessures parce que justement les gouvernements qui se sont succédé n’avaient nullement pour agenda le redressement de la Tunisie, bien au contraire, les objectifs étaient autres, sans oublier que même si volonté il y avait, ces hommes politiques sont démunis de toute expérience et ont une méconnaissance totale de la gestion des affaires publiques -les résultats et les chiffres en sont le meilleur témoignage.
Pourquoi, d’après vous, la Tunisie que nous pensions unie paraît-elle aussi désunie?
Ne dit-on pas diviser pour mieux régner? Cette situation est voulue et préméditée; on nous y a mené à force de discours, de prêches et de plateaux tv durant ces 5 longues années on a œuvré à séparer les Tunisiens en croyants et mécréants, en révolutionnaires et antirévolutionnaires, sans oublier le levier du régionalisme qui a été exploité d’une manière criminelle d’ailleurs, après la phase Est/Ouest il y a le clivage Nord/Sud.
Qu’est-il advenu ces dernières années pour que nous ne nous reconnaissions plus dans notre pays?
Le pays a profondément régressé durant ces 5 dernières années, aucun de nous ne pouvait penser que nos enfants puissent être une majorité chez Daech ou qu’un jeune puisse prendre une kalachnikov et abattre froidement 38 personnes; personne ne pouvait imaginer que l’on puisse égorger nos soldats ; aucun de nous ne pouvait croire que l’on baisserait le drapeau national pour hisser à sa place un torchon noir …
«… aucun de nous ne pouvait penser que nos enfants puissent être une majorité chez Daech »
Suite à tous ces bouleversements et à toutes ces épreuves, il est naïf de croire que la Tunisie puisse revenir comme avant. Par conséquent, il faut arrêter de chercher le reflet de ce que la Tunisie a été et se concentrer sérieusement et rapidement sur un nouvel idéal tunisien.
Pensez-vous que les partis aussi bien au pouvoir que dans l’opposition peuvent relever les défis d’un pays fragilisé économiquement, socialement et politiquement?
L’essence même de la politique est de relever les défis dans le but de répondre aux besoins et aux attentes du peuple. Pour cela, le choix de l’offshoring politique a montré ses limites ces 4 dernières années, et je ne reviendrai pas sur les promesses non tenues faites par le G7, les US, la FRANCE et l’Europe.
Les réussites en Tunisie ont toujours été le produit de nos choix souverains. Il est temps de sortir de l’assistanat et de trouver des vraies solutions.
Quelle alternative pour la Tunisie aujourd’hui?
Nos hommes politiques ont voulu négocier une nouvelle Constitution, pensant que son élaboration permettrait d’obtenir les soutiens financiers tant convoités, omettant que les solutions pour la Tunisie n’émaneront pas d’une politique attentiste.
L’alternative est pourtant simple. Durant 5 ans, nous avons regardé du côté des pays étrangers, nous avons quémandé de l’aide, tendu la main pour finalement obtenir quoi? Des condoléances pré-formatées après chaque attentat, des visites éclair et des promesses creuses, sans oublier une ô combien belle standing ovation!
Mais nous avons négligé la chose la plus importante, c’est que le problème est fondamentalement tunisien, l’alternative ou la solution ne peut être que tunisienne et répondre aux besoins de la Tunisie et aux ambitions tunisiennes et non dictée de l’étranger.
Au vu de la situation actuelle, le meilleur investissement pour le pays est d’abord de rétablir l’ordre et la sécurité, sans sécurité aucun investisseur ni national ni étranger ne pourra se permettre de prendre des risques.
Quelle vision pour la renaissance de la Tunisie?
Consciente qu’aucune construction de l’avenir ne peut se réaliser en dehors du cadre maghrébin, il est impératif de mettre en application un programme d’intérêt commun avec les composantes économiques, politiques et culturelles en tenant compte des dimensions africaines et méditerranéennes. La Tunisie fait partie d’une région qui montre aujourd’hui sa capacité à devenir un acteur important au niveau économique, politique et géostratégique.
Les réalisations de l’Algérie, du Maroc et de l’Égypte sont à ces titres remarquables.
«Pendant que… les BRICS organisent leur propre système financier, nos politiques restent accrochés à la chimère de la sous-traitance des pays occidentaux ».
L’intégration de cette région par étapes permettra à la Tunisie de conforter son modèle de développement et de construire avec ses partenaires une région dont on devra tenir compte.
Pendant que des régions au niveau mondial s’intègrent économiquement et politiquement afin de préserver les intérêts de leur population, que les BRICS organisent leur propre système financier, nos politiques actuellement restent accrochés à la chimère de la sous-traitance des pays occidentaux.
Quel projet sociétal proposez-vous en tant que Mouvement tunisien pour l’Indépendance?
Notre projet repose sur un socle de principes :
– enraciner davantage notre modèle de société qui puise ses références dans le mouvement réformateur;
– préserver la cohésion sociale en sauvegardant des Caisses de sécurité nationale;
– atteindre un niveau d’enseignement performant pour l’ensemble de notre système éducatif;
– relancer la création d’emploi dans nos entreprises par, entre autres, un apaisement indispensable du climat des affaires;
– un sauvetage et la pérennisation des compagnies structurantes de notre économie nationale;
– une préservation des secteurs stratégiques que sont l’eau, la sécurité alimentaire, l’économie de l’environnement.
Notre but est de remettre en marche l’ascenseur social qui a permis la création d’une classe moyenne, pilier de notre modèle de société.
Le terrorisme, aussi bien sécuritaire que socio-économique, est un fléau qui menace l’existence même de la Tunisie. Comment y faire face selon vous?
Le démembrement de l’appareil sécuritaire tunisien volontaire ou irréfléchi a porté lourdement atteinte à la stabilité du pays par des exactions terroristes multiples.
Il est important de signaler tout d’abord que la lutte contre le terrorisme est une question de volonté politique, chose qui a malheureusement fait gravement défaut durant ces 4 dernières années.
«… il serait dommageable pour la Tunisie que l’université de la Zeitouna soit sous influence d’une pensée étrangère à notre Tunisianité…»
Cette lutte est duale: d’abord, appliquer une tolérance zéro contre l’ensemble de la filière terroriste allant des commanditaires jusqu’aux embrigadés en traquant les soutiens financiers notamment la contrebande (que certains partis ont pour programme de bancariser) et logistiques, en durcissant les peines pour les uns et les autres.
Le second volet concerne l’enseignement, la culture et la pratique religieuse, à ce sujet, il serait dommageable pour la Tunisie que l’université de la Zeitouna soit sous influence d’une pensée étrangère à notre Tunisianité, et pour ce, il faut avoir un état fort et des institutions au-dessus des clivages politiques, mais cela ne peut se faire sans un discours politique orienté, clair et une solidarité nationale derrière nos institutions républicaines de sécurité.
Comment réédifier des institutions aussi malmenées et même gangrenées par les partis?
Il est nécessaire d’aider nos services publics à se redresser en reconsidérant entre autres le bien-fondé des nominations et recrutements des 5 dernières années, de faire émerger une nouvelle culture de services publics qui mettrait l’accent sur le devoir de réserve et la neutralité vis-à-vis des partis politiques tout en veillant à y rétablir la méritocratie.
Êtes-vous capable en tant que parti de redonner confiance aux Tunisiens dans le leadership politique?
Un leader politique se doit d’être fidèle à ses engagements selon la formule consacrée «dire ce qu’il fera et faire ce qu’il a dit», mais aussi les Tunisiens ont besoin d’avoir avec eux des responsables qui soient conscients des défis à relever tout en assurant les intérêts de la nation et préservant sa souveraineté.
L’objectif premier de notre parti est de faire émerger une nouvelle classe de responsables politiques. Nous avons constaté lors des dernières élections un désengagement des jeunes qui ont constitué le plus gros du contingent des abstentionnistes. Si nous voulons offrir un avenir à la Tunisie, il est grand temps que cette jeunesse soit partie prenante à l’action politique.
Nous avons d’ailleurs pour objectif de réserver la part du lion à la jeunesse pour nos prochaines listes électorales aux municipalités.
Que pensez-vous de l’idée de la réconciliation nationale à l’échelle politique?
La réconciliation nationale est un passage obligé pour toute reconstruction d’un pays et cela nécessite de faire le distinguo entre l’action politique et le terrorisme. Sauf que nous abordons là l’idée d’une réconciliation difficile entre deux projets de société, qui oppose modernité et obscurantisme, développement et immobilisme, ouverture et isolationnisme.
Que pensez-vous de l’exercice de l’ARP?
L’ARP est malheureusement tombée dans le même piège tendu à l’ANC, à savoir traiter de tout sauf de l’essentiel. C’est d’ailleurs le même modus operandi: nous avons un block nahdhaoui qui aujourd’hui en plus de sa discipline a acquis une certaine expérience, qui use comme à l’accoutumée d’autres leviers pour semer la confusion ou encore prendre des positions qu’elle ne veut pas assumer, mais en face un block encore non sevré des médias et qui n’a pas encore saisi la gravité de la situation et n’a pas encore pris conscience de la lourde responsabilité qui lui incombe!
D’ailleurs, il est fort déplorable de voir que l’ARP ait pris ces derniers jours les allures de l’émission «Faites entrer l’accusé» tout au long de la discussion de la loi de lutte contre le terrorisme alors que le terrorisme nous a frappés de plein fouet et à deux reprises et qu’ils furent touchés au Bardo au mois de mars. Nous sommes au moins de juillet et rien n’est encore fait.
C’est à se demander s’il n’y a pas une confusion quant à leur rôle premier, qui est législatif, espérons qu’ils vont se ressaisir et réaliser que l’heure n’est plus au populisme électoraliste.