Selon Mohamed Salah Arfaoui, ministre de l’Habitat, de l’Equipement et de l’Aménagement du territoire, 37% des logements construits en Tunisie sont anarchiques. Cette forte proportion explique en grande partie la difformité de nos villes où tout manque: esthétique, hygiène, mobilité, urbanité et citadinité. Cette laideur urbaine, fruit de décennies d’incompétence et d’irresponsabilité généralisées, est devenue de nos jours intolérable et dangereuse. Et pour cause, ce désordre urbain a généré des fléaux plus graves tels que le terrorisme, chômage, économie souterraine, contrebande, contrefaçon, banditisme, braquage, prostitution, narcotisme et autres dérives sociales.
Les seules cités qui ont échappé à cette malformation urbaine sont des legs de la colonisation. En clair, depuis l’accès à l’indépendance, nous avons créé plus des ghettos voire des monstruosités urbaines que des cités viables. Qui en est responsable?
Le premier responsable est manifestement l’administration avec toutes ses composantes: gouvernements, ministères en charge du dossier de l’habitat, conseils des gouvernorats, collectivités locales. Ces structures n’ont pas été à l’écoute des besoins réels et préoccupations des Tunisiens en matière de logement. Elles n’ont pas eu l’intelligence de diagnostiquer, objectivement et en temps opportun, la situation et d’élaborer des stratégies conséquentes pour y remédier.
Elles ne se sont aperçues de la gravité de la chose que lorsque la réhabilitation des nouvelles villes anarchiques commence à coûter très cher à l’Etat en matière de viabilisation et de réhabilitation.
Consciente de la problématique, la nouvelle équipe de Mohamed Salah Arfaoui a décidé, depuis sa nomination il y a environ cinq mois, à réfléchir sérieusement sur cette problématique, à identifier les obstacles et à explorer de nouvelles pistes pour les surmonter. Elle a organisé, à cette fin, les 11 et 12 juin 2015, un dialogue national sur l’actualisation du code d’aménagement du territoire et de l’urbanisme (CATU).
Premiers obstacles, les procédures
Concernant les obstacles, le dialogue a mis le doigt sur la lourdeur des procédures administratives. Ainsi il faut six mois pour obtenir un permis de construire (délai ramené ces jours-ci à trois mois) et cinq et six ans pour faire adopter un plan d’aménagement urbain. Pis, pour bénéficier d’un lot de terrain aménagé, il faut attendre plus de dix ans.
Pour Mohamed Hechmi Besbes, PDG du lotisseur public, c’est-à-dire l’Agence foncière de l’habitation (AFH), il faut au moins treize ans pour mener à terme un plan d’aménagement et disposer d’un lotissement (6 ans consacrés à l’assainissement foncier, 5 ans aux approbations réglementaires et 2 ans pour l’exécution des travaux).
Autres anomalies, le coût élevé des logements et le déséquilibre entre la demande et l’offre de logements. Les 800 promoteurs publics et privés en activité sur un total de 2.800 inscrits officiellement ne réalisent que 10.000 logements par an alors que les besoins du pays s’élèvent à 100.000 par an.
Autant d’obstacles qui ont poussé les Tunisiens à ne pas compter sur l’administration, à se prendre en charge et à s’aventurer dans l’auto-construction anarchique laquelle convient mieux à leur rythme de vie et à leur pouvoir d’achat. Le résultat, on le connaît: plus du tiers de l’habitat tunisien est constitué de constructions anarchiques. Un véritable désastre urbain.
Des pistes à explorer pour s’en sortir
Au rayon des solutions, le dialogue a recommandé quatre importantes initiatives à effet multiplicateur.
La première solution est d’ordre institutionnel. Elle concerne la transformation de l’actuelle Direction générale de l’aménagement en structure administrative indépendante à l’instar de délégation interministérielle française à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR). Cette structure, dont les interventions devront être multidisciplinaires, gagnerait à bénéficier de l’autonomie de gestion et de décision et à être ouverte à toutes les composantes du tissu socio-économique.
Toujours au chapitre institutionnel, le Dialogue a suggéré la réactivation du comité interministériel d’aménagement et de le convertir en Conseil national de l’aménagement du territoire.
Sur le plan législatif et technique, le Dialogue a plaidé pour une décentralisation progressive au profit des gouvernorats et des districts économiques dans une première étape, pour un partenariat entre l’Etat et les régions sur la base de contrats-programmes et pour la promotion des «projets urbains», projets dédiés à la conception de nouvelles villes viables et agréablement vivables.
Par delà le diagnostic et les propositions de solutions, il faut dire que certaines structures relevant du département de l’Habitat ont pris les devants et élaboré des stratégies futures. C’est le cas de l’AFH. Le lotisseur public, qui n’a aménagé depuis sa création que quelque 7.000 hectares, se propose de réaliser, d’ici 2040, 22.000 hectares de nouveaux produits urbains, ce qui dépasse de loin les besoins du pays à l’horizon de cette échéance et de nature à dissuader l’habitat anarchique. Cela pour dire que l’optimisme est désormais de rigueur.