Invité, lors d’un débat télévisé, à donner son avis sur Béji Caïd Essebsi, alors simple candidat à la présidence, l’ex-constituant Tahar Hamila avait tiré à boulets rouges sur l’ancien Premier ministre de la période post-révolution, et lui a fait assumer «la lourde responsabilité d’avoir trahi, au cours des 7 premiers mois de son mandat, l’esprit révolutionnaire du soulèvement du 14 janvier 2011 et de l’avoir vidé de tout son sens».
L’ex-constituant, connu pour son franc-parler, ne croyait pas si bien dire. L’Histoire vient de lui donner raison. Si on suit son raisonnement, BCE n’était qu’«un contre-révolutionnaire caché» et que les bourdes et agissements désastreux de l’actuel président de la République ne seraient qu’une suite logique du travail de sape qu’avait entrepris BCE Premier ministre.
Retour sur le bilan cette primature post-révolutionnaire pour mieux comprendre le comportement de BCE, actuel chef de l’Etat, qualifié, ces jours-ci, de «traître de la révolution».
Pour mémoire, à l’exception de l’organisation des élections du 23 octobre qui avaient, au grand malheur des Tunisiens, amené au pouvoir un parti islamiste déstructurant et calamiteux (Ennahdha), le bilan de Béji Caïd Essebsi en tant que Premier ministre était simplement «catastrophique». D’ailleurs, c’est grâce à son laxisme qu’Ennahdha était parvenue à introduire de l’argent sale au pays pour acheter les consciences et accéder au pouvoir.
Une primature calamiteuse
Est-il besoin de rappeler que c’est durant son mandat que le terrorisme a fait son apparition. Le premier attentat terroriste a eu lieu au mois de mai 2011, à Rouhia (nord-ouest du pays, attentat qui avait coûté la mort à plusieurs militaires dont le colonel Tahar Ayari).
Est-il utile de remettre à l’esprit que c’est durant son mandat que l’institution policière a été déstructurée (limogeage des cadres les plus performants, suppression de la police politique…) et que des armes ont été introduites par le canal de frontières poreuses livrées aux contrebandiers et à des terroristes de tous les pays.
Est-ce nécessaire de rappeler également que c’est au cours de son mandat que la croissance était nulle (croissance zéro) et que les caisses de l’Etat ont été vidées par l’effet de la multiplicité de la mise en place de mécanismes encourageant la consommation, fainéantise et l’assistanat: indemnité de chômage Amal, intégration de milliers de travailleurs exerçant dans la sous-traitance, recrudescence des sit-in et des grèves anarchiques… Et la liste des dérapages est loin d’être finie.
Béji Caïd Essebsi, devait être élu en 2014, président de la République, à la faveur d’un vote utile soutenu par une mouvance nationale (Front du salut national) avec 1,740 million de voix dont 1,2 million de bajboujettes, et ce pour une communauté en âge de voter de 8 millions et une population totale de 11 millions. Son rival Marzouki, en dépit d’un mandat désastreux en sa qualité de président provisoire, n’était pas très loin. Il avait récolté 1,380 million de voix sur un total de votant de 3,190 millions.
Une stratégie pour verrouiller le système et gouverner seul
A peine élu, Béji Caïd Essebsi a adopté une stratégie en quatre points pour verrouiller le pouvoir et gouverner pratiquement seul. Conséquence: toute décision, toute nomination, tout projet de loi porte, désormais, l’empreinte de BCE.
Dans un premier, il a nommé aux postes clefs des hommes aux ordres et sans assise politique, voire des fusibles éjectables. C’est le cas de Mohamed Ennaceur, président flemmard de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et Habib Essid, chef du gouvernement sous-traitant, et Mohamed Salah Ben Aissa, ministre de la Justice chargé de retarder au maximum l’heure de l’indépendance de la justice que consacrerait l’adoption d’une loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, le seul pouvoir qui peut, constitutionnellement parlant, échapper à BCE.
A signaler que ces personnages étaient, tous les trois, membres de l’équipe BCE alors Premier ministre. D’ailleurs, dès janvier 2015, nous avions écrit un article intitulé «signes inquiétants de la présidence de BCE» (lire ici notre article).
Le deuxième axe de cette stratégie a consisté pour BCE à satisfaire son égo et à se dire qu’il est un grand homme politique. En Ibn Batouta à 90 ans, BCE a visité, en quelques mois, les capitales les plus prestigieuses de la planète et a rencontré les chefs d’Etat les plus puissants du monde (G7, Obama, Merkel l’allemande, François Hollande le Français…). Objectif: s’assurer l’appui du monde libre pour mener sa politique et intimider les voisins.
Le troisième point a été sa décision de s’allier au parti islamiste Ennahdha, 2ème parti à l’ARP avec 69 sièges. C’était «le Choix de Sophie», lit-on, dans le journal l’Audace de Slim Bagga qui ajoute: «Ca a été un dilemme pour lui (BCE). Les Emirats arabes unis et l’Algérie lui auraient donné à choisir entre un soutien financier «Plan Marshall» avec l’éradication des islamistes d’Ennahdha en Tunisie. Il a préféré l’alliance avec les islamistes et abandonner les milliards de dollars de soutien à l’économie. Tout choix politique a un prix!» (livraison du 9 au 22 juillet 2015).
Le quatrième point a porté sur deux volets: la fragilisation de la police à travers la suppression du poste de Directeur général de la sûreté, poste clef pour la coordination, et l’abandon, au plan institutionnel, de la lutte contre la corruption. Contrairement aux gouvernements de la Troïka, le gouvernement de BCE – Essid n’a prévu aucune structure pour prendre en charge ce dossier qui ronge tous les secteurs du pays.
Présidence BCE : un bilan déjà catastrophique
Sept mois après, cette stratégie, concoctée au nom de la légalité, commence à donner ses résultats. En voici quelques-uns: en raison de dysfonctionnements criards au sein de la police, une soixantaine de touristes innocents ont été assassinés par des terroristes au Musée du Bardo et à Sousse, et de longues grèves ont été déclenchées au sein de secteurs stratégiques (éducation, santé, mines…) avec comme prime à l’horizon une croissance de moins de 1% d’ici la fin de l’année.
Même le clan Ben Ali commence à croire à sa réhabilitation avec l’annulation, début juin 2015, par le Tribunal administratif, du décret-loi n° 2011-13 du 14 mars 2011, portant confiscation d’avoirs et de biens meubles et immeubles du président déchu en raison du laxisme du pouvoir législatif qui n’a pas adopté dans les temps ce décret-loi.
Pis, BCE pousse le bouchon un peu loin, un peu trop loin même en faisant adopter, le 14 juillet 2015, par un conseil des ministres qu’il présidait lui-même, une loi scélérate sur la réconciliation nationale économique et financière. Ce projet de texte permettrait d’interrompre toutes les poursuites judiciaires et les condamnations en cours contre les fonctionnaires ayant facilité des détournements de biens, délivré des autorisations de complaisance, et offrirait aux fonctionnaires et aux hommes d’affaires ayant tiré profit de la corruption la possibilité d’une réhabilitation.
Ce projet de loi est anticonstitutionnelle parce qu’il fait double emploi avec l’Instance Vérité et Dignité (IVD), investie de la mission de faire toute la lumière sur les crimes multiformes commis par l’ancien régime depuis 1955, et de traduire, le cas échéant, les responsables devant des tribunaux spécialisés.
Ce projet recycle la corruption selon Mongi Rahoui (député du Front populaire) et «vide de sa substance la justice transitionnelle (…) et garantit l’impunité pour les auteurs d’actes liés à la corruption et à la dilapidation des deniers publics», estime l’IVD.
Ce qui frappe dans ce projet de loi, c’est l’obstination de BCE à le faire passer, coûte que coûte.
Cette affaire semble sentir mauvais, même très mauvais au regard de l’ampleur des démissions (démission du juge Ahmed Souabi) et réactions négatives qui, à l’unanimité, soupçonnent des «accointances plus que douteuses, du pouvoir en place, avec les magnats de l’argent sale, des malfrats et des milieux corrompus.
L’affaire est à suivre d’autant plus que la polémique qu’elle suscite ne cesse d’enfler.