Le président américain doit présenter un nouveau plan pour fermer le camp militaire, et ainsi finir en beauté son second mandat. Mais le Congrès pourrait l’en empêcher.
Barack Obama vit un début d’été réjouissant, parsemé de succès politiques et diplomatiques. Le 25 juin, la Cour suprême a validé un volet clé de sa réforme de la santé, pierre angulaire de sa présidence. Le lendemain, la plus haute juridiction américaine légalisait le mariage homosexuel dans tout le pays, une mesure défendue par la Maison Blanche. Outre ces deux victoires sur d’importants sujets de société, le chef d’Etat américain et ses partenaires ont conclu l’accord sur le nucléaire iranien qui, s’il est respecté, représenterait un succès majeur de politique étrangère. Enfin, la semaine dernière, la réouverture des ambassades à Washington et La Havane a scellé le rapprochement historique enclenché dans le plus grand secret par Barack Obama et Raúl Castro.
Fort de ces succès, estiment certains observateurs, le président américain a enfin mérité le prix Nobel de la paix qui lui avait été attribué en 2009 à la surprise générale – y compris la sienne. L’accord de Vienne sur l’Iran, en particulier, illustrerait la doctrine Obama : celle d’une Amérique plus humble, attachée à la diplomatie multipolaire. Loin, très loin de l’unilatéralisme dévastateur des années Bush.
Aux yeux de la communauté internationale, pourtant, l’une des principales promesses de Barack Obama reste encore à tenir. «Nous allons fermer Guantánamo. Nous allons montrer l’exemple, pas seulement par nos paroles mais aussi par nos actes. C’est notre vision pour le futur», assurait, optimiste, le jeune sénateur de l’Illinois lors d’un meeting de campagne en juin 2007, au Texas. Chose promise, chose due. Le 22 janvier 2009, au lendemain de son investiture, le président américain signait un décret ordonnant la fermeture «en un an» de la prison militaire américaine.
116 «ennemis combattants étrangers»
Huit ans après sa promesse, le camp de détention en terre cubaine, qualifié de «goulag des temps modernes» par Amnesty International, est pourtant toujours ouvert. Quelque 116 «ennemis combattants étrangers» y croupissent encore, pour la plupart depuis 2002, sans inculpation ni condamnation. Parmi ces détenus, 68 sont jugés trop dangereux pour être libérés. A l’exception d’une dizaine d’entre eux (dont cinq accusés du 11 Septembre), renvoyés devant un tribunal militaire, ils ne seront sans doute jamais jugés. «Les soi-disant preuves obtenues par le gouvernement l’ont été sous la torture. Aucun tribunal dans aucun pays civilisé ne les reconnaîtra», explique Chris Anders, conseiller législatif à l’Aclu, la puissante association américaine de défense des libertés civiles.
Quant aux 52 prisonniers restants, déclarés «libérables», ils attendent, souvent depuis des années, d’être renvoyés dans leur pays ou dans un pays tiers. Le processus de transfèrement, lent et complexe, implique six agences fédérales et un blanc-seing final du Pentagone, pas franchement enclin à accélérer les choses. Outre les frictions internes à l’administration, des considérations géopolitiques compliquent aussi la donne. Le rapatriement des Yéménites, le plus fourni des contingents de libérables, est par exemple impossible en raison de la situation explosive sur place.
Enfin, pour chaque prisonnier transféré, les autorités américaines doivent s’assurer qu’un programme de réhabilitation et de surveillance sera mis en place pour limiter le risque de récidive. Résultat : depuis le début de l’année, seuls 11 prisonniers ont été transférés, après 28 en 2014, notamment vers l’Uruguay, le Kazakhstan ou la Slovaquie.
Conscient qu’un échec à tourner la page de Guantánamo ternirait son bilan, Barack Obama s’apprête à présenter un nouveau plan de fermeture. Les grandes lignes en ont déjà été dévoilées ces derniers jours par des responsables de l’administration. L’objectif est triple : augmenter le nombre de personnes libérables, accélérer leur transfert vers l’étranger et enfermer les détenus jugés dangereux dans des prisons de haute sécurité sur le sol américain. «Nous allons réduire au maximum le nombre de ceux que j’appelle les irréductibles, qui devront être transférés vers une prison sécurisée et détenus en vertu du droit de la guerre, a expliqué Lisa Monaco, la conseillère antiterroriste de Barack Obama. C’est uniquement de cette manière que nous parviendrons à fermer Guantánamo.»
Outil de propagande
A dix-huit mois de la fin de sa présidence, Barack Obama se prépare donc à une nouvelle bataille avec ses adversaires républicains, majoritairement opposés à la fermeture de «Gitmo». Depuis 2010, le Congrès a adopté plusieurs lois interdisant le transfert de prisonniers sur le sol américain. «Le peuple américain ne veut pas que ces salopards dégénérés, qui veulent tous nous tuer, soient ramenés aux Etats-Unis», déclarait en 2012 le sénateur Lindsey Graham, aujourd’hui candidat à l’investiture républicaine pour la prochaine présidentielle. Les sondages semblent d’ailleurs lui donner raison : une majorité d’Américains se dit opposée à la fermeture de Guantánamo.
Pour les convaincre, la Maison Blanche martèle que la prison, ouverte en 2002, est un outil de propagande et de recrutement pour les jihadistes. Ce n’est sûrement pas une coïncidence si les vidéos d’exécution du groupe Etat islamique en Syrie et en Irak montrent les victimes en combinaison orange, sinistre symbole de Guantánamo.
Dans une étude publiée le mois dernier, le blog spécialisé Lawfare nuance toutefois l’importance de la prison dans la rhétorique terroriste. La revue Inspire, publiée par Al-Qaeda dans la péninsule Arabique, contient par exemple beaucoup moins de références à Guantánamo (22) qu’aux frappes américaines de drones (88) ou à la situation en Palestine (148).
Prisonnier et torturé au Vietnam pendant plus de cinq ans, John McCain est l’un des rares républicains à défendre la fermeture de Guantánamo. «J’espère que l’administration va présenter un plan que je pourrai vendre à mes collègues», confiait il y a quelques jours le sénateur de l’Arizona, qui insiste notamment sur le gouffre financier que représente le camp de détention. Le coût par prisonnier y atteint près de 4 millions de dollars (près de 3,6 millions d’euros) par an, contre 70 000 dans une prison sous sécurité maximum sur le sol américain. Cet argument économique a toutefois peu de chances de convaincre ses collègues du Congrès. Tache indélébile sur la démocratie américaine, Guantánamo n’est pas près de fermer ses portes.
AFP