Yomna est née en 2010 …Elle a aujourd’hui 5 ans et commence à peine sa vie de tunisienne…Yomna est la 4 ème génération des femmes de la famille depuis l’indépendance en 1956 !!! Yomna ne connait pas Habib Bourguiba, ni le CSP, le Code de Statut Personnel, une des premières lois promulguée par l’Assemblée constituante en à peine plus d’un an après l’indépendance du pays …
Et pourtant tout dans la vie de la petite Yomna devrait la lui rappeler … En 1957, l’année ou le 13 aout, l’Assemblée Constituante adopte le projet de loi hardi, présentée par le leader Habib sur le statut personnel et les affaires familiales, l’arrière grand-mère de Yomna, Halima, avait 21 ans et s’était mariée dans son village du centre de la Tunisie à un de ses cousins. Halima ne savait pas lire et écrire.
Elle ne travaillait pas bien sûr et n’a jamais quitté le village. Elle n’a pas rencontré son mari, Hassen, que lors des rares occasions familiales et personne ne lui a demandé son avis sur cette union qu’on lui a annoncé après une réunion des hommes de la famille chez un de ses oncles !
Halima, cette année là n’a pas entendu parler du CSP mais elle se souvient après que le président Bourguiba a visité la région et a organisé un meeting où il a parlé du statut de la femme. Elle se souvient des commentaires des hommes de la famille surtout sur l’interdiction de la polygamie et sur le droit du divorce devant le juge ! Ils n’étaient pas contents du tout mais les plus hardis n’étaient qu’une minorité et les autres n’osaient pas remettre en question une décision du Zaïm ! Halima a eu sa fille Mabrouka en 1960. Mabrouka est la grand-mère de Yomna.
Quand Mabrouka a eu 6 ans elle a pu aller à l’école ouverte pas loin du village et son père n’a eu rien à dire surtout qu’elle était accompagnée par son frère Béchir et par une flopée d’autres garçons et filles de son village. C’est sûr que le quotidien de Halima et de sa fille Mabrouka n’avait pas grandement changé en ces années 60 après l’adoption du CSP, mais les acquis de l’indépendance dans le domaine de l’éducation et de la santé font la différence. Les rapports entre Halima et Hassen ont eux aussi changés après l’arrivée des enfants et surtout après les débuts de leur éducation.
Bien qu’illettré comme la plupart des gens de son âge, Hassen n’ignorait pas les changements survenus dans le pays et jusqu’aux confins de son village du centre de la Tunisie. C’est peut être pour ça aussi qu’il a permis que Mabrouka, après son sixième, aille au collège et fréquente l’internat au même titre que son frère ainé Béchir. Ils ont eu tous les deux une bourse du gouvernement et ils étaient bien brillants dans leur scolarité ! Tandis que Halima a continué sa vie de campagnarde et a eu une flopée d’enfants (5 fils et 5 filles en tout), Mabrouka, après sa terminale, a choisit de devenir institutrice et Béchir est parti à la faculté de Tunis.
Mabrouka, la grand-mère de Yomna a rencontré son mari dans son travail, il était inspecteur et venait du Sud du pays. Ils se sont aimés et ils se sont mariés malgré les réels blocages de son père ! Son frère et surtout sa mère lui ont été de bon secours et le père a finit par ravaler son refus d’un « étranger » mari de sa fille ainée ! Mabrouka a vécu une nouvelle vie différente de celle de sa mère. Pas seulement au niveau matériel évidement plus à l’aise mais surtout au niveau de sa relation avec son mari, de l’accès au soins , des possibilités de voyager dans le pays, de lire, écrire , écouter la radio et même regarder la télévision, de discuter avec son mari de toute décision qui concerne la famille et surtout les enfants …
Car ils ont eu d’abord Marwa, la mère de Yomna, arrivée au monde en 1982, et ensuite une autre fille et enfin un garçon. Mabrouka a été soutenu lors de ses grossesses, elle a eu accès au planning familial et à la contraception quand elle l’a désirée… Marwa a pu faire des études universitaires, partir à l’étranger, devenir ingénieur et épouser son mari, un non étranger et un non musulman de surcroit ! Sans que personne de la famille ne s’offusque ! Marwa a eu Yomna à Hambourg. Elle a fait venir sa mère à ses côtés et elles ont évoqué ensemble les souvenirs de feu Hajja Halima la grand-mère disparue entre temps … Vive la Tunisie.