La superbe baie de Cocody constitue l’essentiel de la carte postale abidjanaise. Un peu vers la gauche de la baie, un drapeau marocain est planté en pleine lagune aux côtes du drapeau ivoirien. Par ce symbole, il démontre le succès d’une stratégie qui paye. Celle du Royaume chérifien qui est en train de créer un «Hub économique régional» autour duquel sera bâti un marché de taille.
L’espace économique dans le viseur se compose de plus de 500 millions de consommateurs potentiels. Mais est-ce que la Tunisie travaille pour prendre sa part dans ce marché d’avenir? A-t-elle une stratégie pour s’implanter en Afrique? Les prémices d’une stratégie sont-elles en train de se mettre en place au vu de la fréquence du déploiement de la présence tunisienne en Côte d’Ivoire ces derniers temps?
Hayet Smida est entrepreneur. Elle est présidente du Groupe René Descartes et se trouvait à Abidjan dans le cadre du Salon CAMPUS TUNISIE. Constatant le manque de sollicitude de l’ambassade de Tunisie et de ses services sur le Salon auquel elle participe, elle décide de mener un groupe de journalistes et d’hommes d’affaire pour sonder les choses de plus près.
Manque de moyens…
Le rendez-vous est pris avec le chargé économique de l’ambassade. La délégation se retrouve dans une ambassade défraîchie dans un immeuble vétuste composé de bureaux mal agencés, d’une salle d’attente qui sent le moisi, de mobiliser démodé, d’informations caduques qui traînent sur les tableaux de la salle d’attente… C’en est à se demander s’il y a un pilote dans l’avion ou un chef à la tête de la mission diplomatique tunisienne à Abidjan? S’il ne fait aucun doute que le budget de fonctionnement de l’ambassade de Tunisie à Abidjan est dérisoire, il est surprenant de constater que personne ne soit en mesure de jeter, ne serait-ce qu’une fouta à 12DT, sur un canapé déchiré ou juste demander qu’on refasse la tapisserie d’un salon qui fait honte !
Ceci dit, la question est bien entendu beaucoup plus profonde que celle de savoir où s’arrête l’initiative personnelle et commence le sens de responsabilité. Qui est soucieux de l’image de marque de la Tunisie? Qui a de l’ambition pour ce pays en reconstruction? Quels sont les moyens dont dispose le chef d’une mission diplomatique pour mener à bien sa mission? Quel contrat doit-il honorer lorsqu’il prend ses fonctions dans une capitale africaine comme Abidjan qui se dresse comme une porte d’entrée à une sous-région en reconstruction? Quelle est la stratégie adoptée pour porter au plus haut les couleurs de la Tunisie? Comment se transmettent les attraits de la Tunisie et son attractivité? Quels sont les outils de la promotion de ses produits, marques et entreprises?
Un océan d’opportunités…
Pourtant, sur le Salon CAMPUS TUNISIE, les opérateurs sont conscients des enjeux et des opportunités, comme le signifie Hager Cherif au nom de l’Ecole PolytechIntl qui a établi un projet de partenariat avec l’Ordre des architectes ivoiriens qui envisage l’ouverture d’une école d’architecture à Abidjan en octobre prochain: «Les 800 architectes que compte actuellement le pays ne sont pas suffisants pour ce pays en construction. Ce partenariat prévoit un échange d’étudiants et de professeurs, un transfert de savoir-faire et d’expériences en la matière».
Si les uns se contentent de trouver des formules de coopération, d’autres sont déjà passés à la vitesse supérieure, comme Zouhair Belhadj, patron de l’Ecole supérieure d’ingénieurs privée de Gafsa (http://www.esip.tn) qui se démène pour la création d’une antenne de son université à Abidjan. Fort d’une accréditation étrangère et avisé, il multiplie les rendez-vous avec des partenaires potentiels. Ayant fait le plus gros de sa carrière dans la chaussure et l’immobilier, l’homme d’affaires est pragmatique et ne perd pas de temps: «Ce voyage m’a servi à sonder et ressentir les choses. Croyez-moi, cette partie du monde est désormais dans mon viseur».
Hormis IHE (http://www.ihe.net) qui est installé à Dakar et l’Université arabe des sciences qui est installée à Libreville, le nombre des établissements tunisiens installés ou en voie de le faire dans la sous-région est insignifiant. Les Marocains, sont déjà en train de construire deux centres de formation, l’un à Bouaké et l’autre à Abidjan. Depuis des années déjà, ils ont la primauté sur plusieurs secteurs en termes d’échanges et l’enseignement supérieur, et la formation n’y échappent pas.
La question fondamentale à se poser…
A titre indicatif, la Tunisie capte 7.000 étudiants africains annuellement dans ses universités alors que le Maroc en enregistre plus de 12.000.
Mais que manque-t-il à la Tunisie pour ne pas être déjà implémentée en Afrique de l’Ouest dans ce domaine et dans d’autres secteurs? La Tunisie perd des opportunités immenses et le cas le plus flagrant est bien entendu celui de la banque. Alors que le Maroc est actif grâce à un réseau bancaire mis en place sur une dizaine de pays, à ce jour aucune banque tunisienne ne se décide à s’installer et à appuyer une vraie vision tunisienne sur l’Afrique. Bien que la question d’aujourd’hui ne soit plus de savoir s’il faut aller en Afrique, mais assurément comment.
Pour réussir une mise en train il faut faire vite et bien. Selon Riadh Azaiez qui multiple les événements économiques dans la capitale ivoirienne, il y a lieu de «d’abord se concentrer sur quelques pays pour ne pas se disperser. Convaincre et solliciter le soutien des autorités, car il est déterminant. Ce qu’il faut ensuite, c’est trouver et mettre en place un plan d’action simple et réaliste avec les ressources humaines et financières qui sont à portée de main».
Le travail en solo est peu opérationnel…
Pourquoi l’amorce ne se fait-elle pas? On dit souvent que l’une des raisons majeures est le fait que les groupes tunisiens doivent apprendre à travailler ensemble et s’allier entre eux. Cette condition est déterminante. «Si nous n’apprenons pas à jouer collectif même les pionniers vont s’épuiser comme c’est le cas de la SOROUBAT autour de laquelle gravitent plusieurs entreprises tunisiennes installées en Côte d’Ivoire» argumente RiadhAzaiez.
Alors que la Côte d’Ivoire vit au rythme des prochaines élections, on sent que le pays est en ébullition. Les statistiques du dernier recensement viennent d’être délivrées. 5.491.972 étrangers, soit 24,2% de la population, sur 23 millions d’habitants, vivent en Côte d’Ivoire. La communauté ivoirienne installée à l’étranger compte 1.250.000 personnes et revient en vacances en été pour profiter de la famille, faire de nouveaux placements et profiter d’Assini, des nouveaux restaurants et boîtes de nuit.
Savoir faire du business dans les secteurs qui montent…
Ici, tous les jours il s’ouvre un nouveau restaurant ou une nouvelle boutique. La ville est un immense chantier et dans tous les quartiers des centres commerciaux sont en train de pousser. Une chambre d’hôtel dans un 4 étoiles démarre à 150 euros et un morceau de gâteau coûte entre 150 et 450 CFA, soit l’équivalent de 4,5 dinars tunisiens mais peut aller jusqu’à 12 dinars. Chez Paul ou Amarino, les tables ne désemplissent pas.
Bien entendu, ce visage d’une ville bouillante et qui dort peu n’a rien à voir avec la pauvreté que l’on découvre dès que l’on s’éloigne des principales artères. Les nombreux taxis et les travaux pèsent sur la circulation qui empire dans la capitale. Si les nuits abidjanaises sont parmi les plus réputées du continent, ici on prend son temps, on dépense beaucoup d’argent et on en gagne aussi beaucoup quand on sait le faire.
La Côte d’Ivoire est le Pays du Business où tout est à faire et dans lequel s’épanouissent plus de 100.000 Libanais qui détiennent plusieurs monopoles dans le commerce. Ils sont talonnés de près par les Marocains qui commencent à étendre leur voilure.
Pour reprendre les propos du site afrik.com, le Maroc progresse vite et bien sur le plan économique dans le pays: «Le Royaume chérifien n’est encore que le 25ème fournisseur de la Côte d’Ivoire. Mais le volume global des échanges ne cesse de progresser entre les deux pays. Surtout, la coopération économique maroco-ivoirienne a pris du relief, ces dernières années, avec l’arrivée ou le renforcement en Côte d’Ivoire d’un certain nombre de grands fleurons de l’économie marocaine. C’est notamment le cas dans le secteur financier d’Attijariwafa bank qui est présente dans le capital de la Société ivoirienne de banque (SIB) depuis 2010; de la Banque Populaire qui contrôle 50% du capital de la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire; de l’assureur Saham qui a fait tomber Colina dans son escarcelle. Le secteur immobilier est également concerné».
Ainsi soit-il! Mais ce sont les secteurs agroindustriels et énergétiques qui sont aussi et surtout en jeu. La Côte d’Ivoire a besoin de transformer plus de 50% de ses matières premières et elle a grandement besoin de faire face à une demande croissante sur le plan énergétique. La marge et les opportunités sont encore énormes et il y a vraiment de la place.
La Tunisie saura-t-elle saisir sa chance? Aujourd’hui, ce n’est plus une option. C’est une obligation.
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