Beaucoup des maux dont notre pays et notre société souffrent nous paressent incongrus, des fois. Nous ne croyons pas le diagnostic très clair de nos maladies et nous sommes surpris de l’ampleur de la maladie dans le corps social. Plusieurs raisons sont derrières cette cécité qui nous accable. Nous avons passé plus de 50 ans sous la dictature à nier les évidences. Aujourd’hui elles éclatent. Le bilan est lourd! Notre classe politique, nos valeurs de citoyenneté, le terrorisme et la contrebande, la valeur du travail et notre système éducatif sont aux bancs des premiers accusés.
1. La classe politique
Un vieux proverbe arabe dit «Comme vous êtes, vous serez gouvernés!». Depuis la révolution, la classe politique est l’objet de toutes les critiques. Les membres de la défunte l’ANC n’ont rien à envier à ceux de l’ARP, et l’establishment dans son ensemble donne les signes négatifs impossibles à nier.
Mais enfin de compte, ces hommes et ces femmes, dont la plupart sont issus des partis qui ont passé leur vie dans l’opposition à Bourguiba et Ben Ali, ne viennent pas d’ailleurs. Ils viennent de nos cités et de nos villages. De nos universités et de nos entreprises, de notre campagne et de nos exils autant intérieurs qu’extérieurs.
L’absence de confiance, l’impossibilité de communiquer, le vagabondage politique d’une structure à l’autre, le manque de culture politique et de charisme sont ce que les gens retiennent de leurs élus. Notre classe politique, toutes tendances confondues, n’a pas réussi le test, mais la faute incombe autant aux politiques qu’à nous autres citoyens. Si aujourd’hui Nidaa Tounes s’allie fait une alliance contre-nature avec Ennahdha malgré ses promesses aux électeurs, et si ses électeurs se taisent et s’alarment uniquement sur Facebook, c’est de notre conscience politique qu’il s’agit. Et le schéma est aussi vrai dans l’autre sens pour les Nahdhaouis.
2. Les valeurs perdues de la citoyenneté
Au temps de la dictature, nous étions tous tentés à un moment ou un autre par commettre des actes d’incivisme qui exprimaient le minimum de notre hostilité au régime. Ainsi, on se dérobait au service militaire, on ne payait pas les impôts locaux, on dérobait ou on saccageait les biens publics quand on le pouvait! C’était de la désobéissance sourde et non organisée!
Après presque 60 ans, ces pratiques se sont généralisées et leur ampleur a éclaté au grand jour après le 14 janvier. Nous assistons aujourd’hui à une quasi-faillite du contrat social qui nous lie tous et qui soutient la construction politique et sociale que nous avons édifiée ensemble avec ses défauts.
Le non respect des règles de vivre ensemble nous assaillent. Nos ordures sont autant d’insultes à notre culture citoyenne; notre laisser aller quotidien qui s’exprime de mille façons est la face hideuse de notre désengagent social. Nos rues dévastées, nos kiosques qui envahissent tout, nos cafés qui débordent sur les trottoirs, nos comportements les uns vis-a vis des autres, ne sont pas les signes annonceurs d’une nouvelle citoyenneté mais plutôt d’un retour en arrière extrêmement dangereux.
3. La contrebande et le terrorisme
Le terrorisme qui nous frappe depuis 2011 est en passe d’envahir notre quotidien. Malgré les frappes courageuses de nos soldats et de nos policiers, le terrorisme s’est faufilé dans nos montagnes et nos cavernes et même dans nos villes. Mais surtout il a réussi à se faufiler dans les têtes de certains de nos citoyens et même dans notre quotidien le plus innocent. Car le terrorisme est financé par la contrebande et chaque cigarette de contrebande que nous achetons, chaque produit douteux passant les frontières de l’est ou même de l’ouest, financent les groupuscules cachés dans les montagnes et dans les banlieues à travers mille et un réseaux.
Cet état de choses de l’infection de plusieurs de nos circuits économiques par la contrebande et les origines douteuses fait de chacun de nous un allier involontaire du terrorisme.
4. La valeur perdue du travail
Nous sommes tous conscients de l’importance du travail en tant que valeur de civilisation et nous sommes convaincus tous qu’aucune solution viable pour notre crise économique ne se fera en dehors du travail.
Nous savons par ailleurs que notre pays n’a pas de ressources naturelles et que notre agriculture est dans un état qui n’autorise pas d’apport de développement véritable pour les autres secteurs.
Notre seule richesse est celle de l’homme et pratiquement celle du travail des hommes et de la valeur ajoutée de nos fils et filles qui ont su, à travers toutes les crises de notre histoire, triompher des tous les obstacles par leur travail.
Cependant, depuis 4 ans et plus, il semble que nous ayons oublié toutes ces leçons de l’histoire et que nous nous complaisions dans la négation de l’effort et le triomphe de la débrouillardise. Oui, le chemin de cette dernière est court et le gain est parfois facile, mais on ne construit rien de durable sur la magouille! On n’édifie pas d’avenir en sirotant son café ou en pantouflant dans une administration publique à ne rien faire des années et des années. Nos amis les Grecs en savent quelque chose, et nous devons bien méditer leur cas malgré tout le soutien de l’UE qu’ils ont eu et que nous n’aurons jamais!
5. Notre système éducatif en lambeaux!
Notre système éducatif a été longtemps notre grande fierté, mais il est malade et profondément malade. Cet état de choses n’est pas spécifique à la Tunisie et plusieurs pays -même développés- peinent à faire suivre leur système éducatif aux changements que connaît la science et la technologie.
Notre système actuel est un patchwork de reformes et des réformettes qui se sont succédé depuis Mahmoud Messaadi en passant par Mohamed Mzali et surtout par la reforme bizarre de 1992 initiée sous Ben Ali et magouillée comme pas possible malgré les efforts louables de son initiateur feu Mahamed Charfi…
Des maternelles à l’université, notre système est à revoir dans son contenu, dans son financement, dans ses choix de civilisation, dans son fonctionnement erratique. Quand nous voyons aujourd’hui au gré des consultations sur la réforme de ce système, les syndicats et ce qu’elles exigent, les parents et leurs souhaits, l’administration et ses coups tordus, on se demande où sont passés les pédagogues qui seuls peuvent nous créer une ossature digne d’un pays qui a misé tout sur l’éducation de ses enfants …