Le 12 août dernier s’est tenu à Tunis et pour la première fois le “Congrès des intellectuels tunisiens contre le terrorisme“ quelques semaines après l’attentat terroriste de Sousse… Les intellectuels présents -penseurs, écrivains, universitaires, artistes- ont dressé le bilan de la situation et ont eu le courage de s’autocritiquer en avouant publiquement que la position «d’observateur», aussi confortable soit-elle, n’est plus possible aujourd’hui.
La nouvelle opération terroriste contre les douaniers à Chebika, qui s’est produite lundi 24 août 2015, vient nous rappeler que cette plaie est encore béante, et que la guerre contre les jihadistes wahhabites sera longue, dure et coûteuse!
En dehors de leur autocritique et de leur analyse profonde de la situation tunisienne, les intellectuels tunisiens plongent dans les tréfonds du phénomène. Les transformations culturelles, sociales, économiques et politiques -qui contribuent à propager l’image d’une jeunesse perdue et se sentant inutile se transformant par l’acte terroriste en «héros» qui se lève contre le système- doivent être prises en compte pas seulement par les politiques mais par toute la société.
Dans le «manifeste» qu’ils ont publié à la fin du Congrès, les intellectuels tunisiens livrent une panoplie de 8 axes de réflexions qui nous semblent aujourd’hui parmi les meilleurs ingrédients de la lutte contre le terrorisme qui sévit encore et toujours.
Les congressistes estiment que «Pour vaincre le terrorisme, il faut… construire un projet d’avenir à même de convaincre la jeunesse de la possibilité d’agir, de s’exprimer et de s’épanouir dans la société et non contre elle, de façon pacifique et organisée et non par la violence et l’auto-exclusion.
Il incombe, pour ce faire, à l’Etat, aux institutions économiques, sociales et culturelles, à la société civile, à la jeunesse et à nous intellectuels de toutes les obédiences philosophiques, artistiques et religieuses de réfléchir et d’agir sous des formes diverses pour reconstruire un pacte social partagé, fait de valeurs et d’engagements réciproques, à même de restaurer le pacte civique gravement altéré».
Ce pacte social nouveau que les intellectuels appellent de leurs vœux se base sur au moins 8 axes qui sont les suivants :
Un Etat de droit fondé sur la Constitution, qui se défend et défend la société, qui impose le respect des lois, l’indépendance de la justice, l’arrêt de la destruction et de l’autodestruction.
Un projet de société renouvelé, fondé sur les principes universels de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la liberté de l’individu et de la pensée garantis par la Constitution.
Une refonte du rapport de l’Etat au religieux en vue d’établir une nette séparation entre le politique et le religieux, entre la sphère publique et la sphère privée, de revoir les statuts des instances en charge des affaires du culte afin d’en assurer la neutralité et de les protéger contre toute manipulation idéologique.
Des enseignants et un système éducatif qui se remettent en question et innovent: une école qui éduque, qui enseigne le vivre-ensemble, cultive et libère les capacités de la personne.
Une université citoyenne ouverte sur le monde et le renouvellement des savoirs et l’ancrage de la pensée critique et jouissant de la liberté académique et de moyens garantissant la qualité de l’enseignement
Une politique culturelle de proximité qui met l’art et le patrimoine au service de la société et de son développement.
Une politique sociale qui combat les inégalités et offre des opportunités au profit de toutes les régions, des jeunes et de tous les groupes sociaux.
Une multiplication des espaces médiatiques destinés à sensibiliser l’opinion publique au sujet des risques liés au repli identitaire et aux conceptions réductrices et dogmatiques de la religion et de l’histoire et visant à prémunir la société contre leurs dangers.
Nos politiques et nos responsables à tous les niveaux de l’Etat et de la société devraient être inspirés, avant le Congrès national contre le terrorisme qui se tiendra en automne de cette année, de bien réfléchir à ces ingrédients combien utiles pour construire les bases d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme.