Non, l’Europe n’accueille pas toute la misère du monde

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DESINTOX

Alain Juppé explique que le continent ne peut accueillir tous les migrants. C’est loin d’être le cas.

INTOX. Quand il s’agit de parler d’immigration, les hommes politiques français de droite comme de gauche se plaisent à citer la fameuse phrase de Michel Rocard (phrase dont nous avons raconté la véritable histoire dans ces colonnes) sur la France et la «misère du monde». Invité mercredi 25 août au 20 heures de TF1, le candidat à la primaire LR Alain Juppé n’a pas dérogé à la règle, se laissant aller à une version plus continentale : «L’Europe ne peut accueillir toute la misère du monde.»

DESINTOX. L’Europe ployant sous la misère du monde ? De fait, il n’en est rien. Un exemple permet de le mesurer : selon un rapport publié en juin 2015 par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la Turquie, le Pakistan et le Liban ont accueilli chacun plus de réfugiés que l’ensemble des vingt-huit Etats membres de l’Union européenne en 2014.

L’afflux vers l’Europe, d’une importance inédite depuis plusieurs années, est bien réel. Selon les derniers chiffres du HCR, plus de 300 000 réfugiés principalement venus de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak auraient rejoint l’Europe par la Méditerranée depuis janvier 2015. Mais il ne peut être isolé d’un mouvement qui touche d’autres pays bien davantage encore. «Le nombre augmente mais pas seulement vers l’Europe», explique Céline Schmitt, porte-parole du HCR, «les Syriens fuient d’abord vers les pays voisins. C’est également le cas en Irak». Ainsi sur les quatre millions de Syriens en exil, près de la moitié se trouve actuellement en Turquie.

«La Turquie et le Liban sont des terres d’accueil mais qui ont besoin d’aide. Au Liban, le nombre de réfugiés représente presque un tiers de la population. Les ressources de ces pays s’amenuisent et poussent les réfugiés à traverser la Méditerranée pour se rendre en Europe. Au Haut-commissariat pour les réfugiés, nous appelons à la solidarité avec ces Etats», déplore Céline Schmitt.

Et l’affirmation de Juppé est évidemment encore plus trompeuse quand on regarde le problème à l’échelle planétaire. Selon le rapport du HCR pour l’année 2014, plus de la moitié des 14,4 millions de réfugiés dans le monde se trouvaient en Asie. Aux crises syrienne et irakienne s’ajoute l’importante crise afghane, dont les 2,6 millions de ressortissants en exil sont principalement répartis entre le Pakistan et l’Iran, mais aussi les réfugiés musulmans Rohingyas persécutés au Myanmar et les Bangladais fuyant la misère en Asie du Sud-Est.

L’Afrique arrive deuxième, loin devant l’Europe, puisqu’elle accueille plus de 4 millions de réfugiés issus des conflits en Afrique centrale (République centrafricaine, république démocratique du Congo) et orientale (Somalie, Sud-Soudan, Erythrée) qui ont poussé les populations à rejoindre l’Ethiopie, le Kenya, le Tchad ou l’Ouganda. En 2015, la crise au Burundi devrait accentuer ce phénomène.

Au total, et pour reprendre la terminologie de Michel Rocard, l’Europe accueille donc… un dixième de la misère du monde. «Elle a la capacité d’en prendre plus», assure Céline Schmitt.

AFP