«La situation économique en Tunisie est de plus en plus accablante, surtout après l’enregistrement d’une récession technique laquelle peut évoluer vers une réelle dépression, si la croissance du pays continue d’être dans le rouge. C’est dans ce cas le pire des scénarios pour notre économie». C’est ce qu’estime Fethi Nouri, professeur universitaire en économie, dans un entretien accordé à l’Agence TAP.
La cause essentielle de la crise est, d’après lui, le retard accumulé dans l’engagement des réformes et l’absence d’un programme commun entre les différents ministères, appelant “au lancement d’un programme macro-économique de choc”.
La Banque centrale de Tunisie (BCT) a annoncé, le 27 août 2015, dans sa note de conjoncture, une baisse de 0,7% du PIB, au cours du deuxième trimestre de l’année en cours, par rapport au trimestre précédent, lequel avait déjà accusé un repli de 0,2%, ce qui confirme l’entrée de l’économie tunisienne en récession technique.
D’après l’universitaire, la récession technique (RT) est le résultat d’une croissance négative pendant deux trimestres successifs. Selon l’OCDE, on parle de RT lorsque le cumul de l’écart de la production entre le PIB potentiel et le PIB réel atteint les 2% du PIB pendant deux trimestres. Pour le cas de la Tunisie, le cumul de cet écart s’élève, actuellement, à 2,5% du PIB, de ce fait, notre pays est bel et bien en récession.
“Toutefois, des signes annonciateurs de cette situation avaient été enregistrés depuis 2014, avec des récessions sectorielles, notamment dans l’industrie (depuis le 3ème trimestre 2014), secteur qui représente 30% du PIB du pays, mais également dans le domaine des services”.
“Jusque-là, l’agriculture se présente comme l’unique activité économique qui se maintient, surtout avec des récoltes exceptionnelles d’olive et d’huile d’olive. L’agriculteur a, en fait, sauvé l’économie tunisienne. Si cette activité avait connu un fléchissement pareil comme le reste des secteurs économiques, on risquerait une situation réellement chaotique et catastrophique», a-t-il souligné.
Risque d’aggravation des déséquilibres macroéconomiques
S’agissant des conséquences possibles de cette situation de RT, le professeur d’économie a averti que “les déséquilibres macroéconomiques (déficit budgétaire et de la balance courante) vont encore s’amplifier, pour enfoncer le pays dans la dépression. En outre, une croissance négative ne permet pas à l’Etat de collecter des recettes fiscales et non fiscales suffisantes, d’où une diminution des ressources propres de l’Etat et par conséquent le risque de ne plus arriver à satisfaire les besoins du pays (payer les salaires et assurer les subventions)”.
Une telle situation mettra l’Etat, selon lui, dans l’obligation de recourir soit à l’endettement étranger, qui représente aujourd’hui 52% du PIB, soit à l’endettement local, ce qui n’est pas évident dans les deux cas. “S’il est question d’endettement étranger, il ne serait pas facile de trouver des bailleurs de fonds au vu des conditions de mauvaise soutenabilité de la dette tunisienne, et ce, en raison de la croissance négative du pays”.
“Et s’il s’agit d’emprunter sur le marché local, l’Etat optera pour la levée de fonds sur le marché monétaire par le biais de bons de trésor auprès des banques tunisiennes, ce qui engendrera le ralentissement de l’investissement privé, dans la mesure où les capacités de financement du secteur bancaire seront orientées, en premier lieu, vers la satisfaction des besoins de l’Etat”.
Dans le cas ultime, “l’Etat peut demander à la BCT de faire fonctionner la planche à billet, ce qui risque d’accélérer l’inflation et ainsi d’affecter la compétitivité du marché tunisien”.
“Tout cela va encore, aggraver le déficit budgétaire, à 7 ou 8% du PIB, contre 5% actuellement, le déficit de la balance commerciale et aussi le taux de chômage, lequel peut atteindre les 17%, et ce, en raison du blocage des investissements. On parle, dans une situation pareille, d’une économie en panne, dont la première conséquence est l’adoption d’une politique nationale d’austérité», a précisé M. Nouri.
Il existe une lueur d’espoir pour la Tunisie
L’universitaire estime qu’il existe toujours «une lueur d’espoir pour notre Tunisie», et ce avec la reprise, dernièrement, des industries minières et particulièrement le phosphate, et aussi avec le développement, ces derniers temps, de nouveaux puits de pétrole.
A cela, s’ajoute l’amélioration de l’affluence des citoyens tunisiens et des touristes voisins, notamment algériens, vers les unités hôtelières tunisiennes, durant la saison estivale, ce qui a permis d’atténuer la crise du secteur touristique.
«Si la machine de production et les services continuent de s’améliorer à ce rythme, la Tunisie sera en mesure d’éviter la dépression et d’enregistrer un taux de croissance variant entre 0,5% et 0,8%, à la fin de 2015», a-t-il dit.
Revenant aux causes initiales de la dégradation de la situation économique en Tunisie, Nouri a affirmé que le dossier économique a toujours été le dernier souci de la classe politique, pendant les cinq dernières années. «Notre économie a été très mal administrée et nous avons toujours eu une défaillance énorme de gouvernance. Les dossiers économiques n’ont jamais été bien traités, étant donné que personne n’a eu l’audace de se lancer dans des réelles réformes».