Au mois de juillet dernier a eu lieu un conseil des ministres restreint consacré à l’étude du projet relatif au Code des hydrocarbures et du Code minier pour adoption par l’ARP. A ce jour, le code n’a pas encore été adopté.
Rappelons à ce propos que l’article 13 conçu par les lumières de l’ancienne Constituante et relatif à l’exploitation des «immenses richesses naturelles de la Tunisie» (sic) a poussé nombre d’entreprises pétrolières «à dégager».
L’italienne ENI (Ente Nazionale Idrocarburi), présente en Tunisie depuis 1957, irritée par le non renouvellement de son permis de recherche “Borj El Khadra”, article 13 oblige, les grèves incessantes et les revendications sociales exagérées, a plié bagage laissant aux Tunisiens le soin d’exploiter leurs richesses. Elle a renforcé sa présence en Egypte, où il n’y a pas d’article 13 –elle vient même de découvrant dans ce pays l’un des plus grands gisements gaziers de la Méditerranée. Les Egyptiens doivent être moins jaloux? Ou encore moins patriotes que nos chers constituants puisqu’ils ont permis à ENI d’exploiter leurs richesses naturelles!
ENI n’a pas été la seule à partir, elle a été précédée par la société pétrolière anglo-hollandaise, Shell Exploration, et la société pétrolière britannique Enquest.
Les choses évolueraient-elles mieux grâce au gouvernement Essid et surtout après que Amer Larayedh d’Ennahdha, chef de la Commission de l’industrie, de l’énergie, des ressources naturelles, de l’infrastructure et de l’environnement à l’ARP, a appelé au mois de mai dernier à l’amendement de l’article 13, considérant qu’il ne doit pas être restrictif.
Il avait déclaré que, dans l’esprit des constituants, il s’agissait plutôt d’assurer une gestion saine des ressources naturelles et non de bloquer leur exploitation, arguant que «la transparence dans le secteur pétrolier ne doit pas entraver l’investissement dans ce domaine».
Pour Imed Dérouiche, PDG de Petrofac, les choses semblent s’améliorer. «Le chef de gouvernement est plus réactif en décidant la réactivation du rôle du comité consultatif des hydrocarbures bloqué depuis plus d’une année et demi. C’est un bon signe parce que cette décision intervient après la campagne “winou el pétrole“ qui n’est pas innocente et dont les soubassements sont plus que douteux et qui effarouche tous les investisseurs et autres opérateurs dans le secteur des hydrocarbures.
Les hauts commis de l’Etat fuient le secteur énergétique
Pire, aucun responsable ne veut occuper des postes de décision en rapport avec des activités énergétiques. Le meilleur exemple en la matière est celui de la désignation du PDG de la STEG qu’on a appelé à reprendre du service alors qu’il était déjà retraité.
Aujourd’hui, en raison de l’obsession des anciens constituants et des actuels représentants du peuple d’une transparence et d’une gouvernance divines du secteur des hydrocarbures -car bien entendu, ils sont tous irréprochables-, les compétences nationales fuient toutes les activités y touchant.
«Un autre exemple édifiant, Mohamed Akrout, grand commis de l’Etat, a été convoqué par le juge d’instruction au moins 4 fois pour être instruit sur des affaires qui ne relèvent pas de ses attributions ou qui ne sont pas douteuses. Comment voulez-vous dans ce cas que des personnes qualifiées assurent la gestion du secteur des hydrocarbures? Heureusement que selon les informations dont je dispose, il y a la prédisposition de la Commission de l’énergie à avancer dans le bon sens et surtout à apprendre. Ils sont réceptifs, c’est positif car il n’est pas aisé de saisir les enjeux et le mode de gouvernance du secteur énergétique et pas seulement en Tunisie mais de par le monde. Ils sont tout à fait prêts à étudier les dossiers en suspens et à trancher. C’est rassurant».
Mais au-delà de toutes ces considérations, estime le PDG de Petrofac Tunisie, il faut quand même savoir que notre pays importe plus de 40% de ses besoins en gaz naturel de l’Algérie, et 30.000 barils équivalent produits pétroliers pour répondre aux exigences du marché local. Il y a un champ dans le Golfe de Gabès qui exige 2 milliards de dollars d’investissements pour le développer, répartis entre le gouvernement et l’investisseur étranger établi sur la base des lois stipulées dans le code des hydrocarbures.
«Tout est paralysé depuis 5 ans par la volonté des nouveaux décideurs. Intérêts? Lobbys? Mais il n’y a pas que cela, il s’agit de moyens financiers énormes dont ne disposent ni l’Etat ni l’investisseur en question. Une grande firme internationale a proposé de prendre en charge, en partenariat avec l’Etat, la relance de la prospection et de l’exploitation de ce champ. Sa demande est restée lettre morte parce qu’à l’ARP, ils veulent être incontournables dès qu’il s’agit d’investir dans le pays, et ce même s’il s’agit de contrats légaux, transparents et utiles pour nous en cette phase difficile où les investisseurs ont perdu confiance en notre site. Les avocats s’en mêlent aussi. Ils initient des procès fictifs, ils prennent des accusés de réception de chez le juge et se présentent devant la Commission de l’énergie à l’ARP en arguant d’un procès en cours pour bloquer l’investisseur. C’est ce qui s’est passé concernant le champ de Gabès et c’est ce qui a bloqué tous les projets qui ont suivi. Un climat de peur a été créé à tous les niveaux et personne n’ose prendre une décision pour ne pas être taxé de vendre les richesses du pays. ENI est partie en laissant une assiette de près de 400 millions de dollars, elle en avait bavé et ne voulait plus entendre parler de la Tunisie. Mais où allons-nous à ce rythme?».
Il revient donc au chef du gouvernement de prendre les devants en invitant les parties prenantes dans l’exécutif et le législatif pour un tour de table et décider en toute transparence, comme le veulent les «Arpéistes honnêtes» ainsi que les activistes «désintéressés» si le développement du champ de Gabès est encore d’actualité, et si la Tunisie peut se payer le luxe de débouter des investisseurs dans le secteur énergétique. Heureusement qu’il a été d’ores et déjà décidé d’appliquer l’ancienne loi en attendant l’amendement de l’article et la promulgation d’un nouveau code des hydrocarbures.
«J’estime qu’il faut oser et décider, le but, au cas où les travaux reprennent sur le champ de Gabès, est que d’ici 2018 nous comblions le déficit énergétique national». La décision est hautement politique. Petrofac est prête à investir tout de suite les milliards de dollars nécessaires à la mise en marche du champ».
La Commission supérieure des marchés peut-elle se permettre de fonctionner comme d’usage depuis des décennies? J’estime qu’il est grand temps de revoir son fonctionnement. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, estime M. Dérouiche. «La lenteur des décisions prises au niveau de cette commission de crise fait énormément de torts à l’économie nationale. Imaginez un appel d’offres lancé pour la construction d’une autoroute, le temps que la commission décide au bout d’une année, de qui est le mieux placé pour gagner l’appel, les prix auraient augmenté et le gagnant aurait perdu au change. Il faut que le décideur public ose se présenter devant l’ARP, propose la suspension du recours à la Commission supérieure du marché à tout bout de champs pour un laps de temps, allant d’une à trois années jusqu’à sa restructuration pour qu’elle devienne plus fonctionnelle, plus responsable, plus autonome et plus efficiente. On adopte le principe de gestion par le biais des Ordonnances tel qu’adopté par Mahatir Mohamed en Malaisie. Evidemment tout doit se faire en toute transparence».
Habib Essid osera-t-il franchir ce pas? Peu probable au vu de l’usage obsessionnel par les activistes politiques et de la société civile de termes tels que lutte pour une meilleure gouvernance, contre la corruption, les malversations ou encore de la suspicion soulevée à chaque fois que les enjeux touchent à de grands marchés publics.
Habib Essid est imprégné d’une culture héritée de l’Administration tunisienne qui veut que tout passe par la Commission supérieure des marchés. Ce qu’il faudrait peut-être est que des décisions rapides soient prises pour revoir son mode de gestion et son efficience dans un contexte particulier.
Mais plus que tout, le chef du gouvernement devrait être plus vigilant quant aux pratiques de corruption que nous voyons aujourd’hui en bas de l’échelle des instances administratives dans notre pays, pire, ces reproches ou critiques à peine voilés émanant de certains opérateurs étrangers qui se plaignent de la propagation dangereuse de nouvelles anciennes habitudes: les pots de vin, ou commissions réclamées par certaines personnalités afin d’intervenir ou de soutenir leurs candidatures dans des grands projets.
Alors que certains pays africains taxés d’institutionnellement corrompus commencent à adopter les bonnes pratiques, la Tunisie est-elle en train de reprendre et de développer d’anciennes pratiques réfutées, rejetées et condamnées?
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