Si les objectifs fixés dans la note d’orientation du Plan de développement 2016-2020 ne sont ni réalistes ni réalisables, pour certains experts, d’autres les jugent très ambitieux mais applicables, sous condition de réformes.
La note d’orientation du Plan stratégique de développement prévoit, en effet, un taux de croissance de 5%, durant les cinq prochaines années, contre 1,5% seulement réalisé entre 2011 et 2015.
Dans un entretien avec l’Agence TAP, Mourad Hattab considère ce Plan de développement “irréaliste”, ayant été élaboré dans un contexte différent de celui d’avant la révolution de 2011. Ce dernier est marqué par une baisse de l’investissement public et privé, par une menace sociale qui plane sur le pays et une crise aiguë touchant les secteurs du tourisme et des services, outre une baisse notable des exportations (matières premières, pétrole et services).
«Ainsi, bien que les piliers du plan 2016-2020 paraissent solides et cohérents vu qu’ils ont été bâtis sur une approche participative et locale au coeur de l’objectif de développement régional, je pense que la récession technique et l’émiettement du secteur financier et bancaire et son manque de liquidités (-5,55 milliards de dinars à fin juillet 2015), en plus de la hausse des créances accrochées peuvent biaiser et rendre irréalisables certains objectifs du Plan de développement. Nous sommes arrivés à cette situation, faute de croissance et de formation d’un capital fixe, apte à créer une synergie sectorielle, garantir la création d’emplois et assurer la productivité économique escomptée», a-t-il expliqué.
«Dans les deux années à venir, l’économie tunisienne va connaître un climat de morosité, vu que les trois moteurs de croissance (production, consommation et exportation) sont en panne. Même la relance de la croissance nécessite au moins un cycle de 3 ans, avec la condition que les facteurs de la récession ne s’aggravent pas et que le pays soit en mesure de maîtriser le risque terroriste et de parvenir à mobiliser les financements nécessaires».
Citant à titre d’exemple l’année 2015, Hattab a révélé que les financements nécessaires pour garantir une croissance de l’ordre 3% se montent à 7,15 milliards de dinars, alors que ceux indispensables à une croissance de 5% dépassent les 9 milliards de dinars.
Revenant à la situation réelle du pays, l’expert a fait savoir que jusqu’à fin août 2015, la Tunisie doit rembourser une enveloppe de plus de 5 milliards de dinars, alors que 2 milliards de dinars seulement ont été mobilisés, en attendant l’aboutissement des négociations avec le FMI qui devraient démarrer prochainement, pour l’octroi à la Tunisie d’un nouveau crédit à hauteur de 1,75 milliard de dollars (environ 3,3 milliards de dinars).
«L’écart entre les services de la dette et les financements à mobiliser doit être pris comme hypothèse, pour une révision de fond, des objectifs quantitatifs et qualitatifs du Plan de développement», conclut-il.
Concrétiser les réformes et établir un consensus
De son côté, le président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie, Nabil Abdellatif, affirme que «l’élaboration d’un plan stratégique de développement pour les cinq prochaines années est un acquis, en lui-même, pour la Tunisie, qui a souffert, tout au long de cette période post 14 janvier 2011, d’un manque de clarté et de vision à long terme de programmes menés par les différents gouvernements».
Soulignant qu’il s’agit là d’une note d’orientation en attendant l’élaboration d’un plan de développement répondant aux normes usuelles en la matière, l’expert-comptable précise que les objectifs assignés sont très ambitieux, nécessitant à la fois la concrétisation des réformes programmées et l’établissement d’un consensus sur une très large échelle.
En ce qui concerne le choix du timing pour la publication de la note, Abdellatif estime qu’il a été dicté par la conjoncture économique actuelle, caractérisée par une récession de l’activité économique, mais aussi par l’événement de la visite de la présidente du FMI, Christine Lagarde, les 8 et 9 septembre en Tunisie”.
Et d’ajouter, dans le même contexte, que la Tunisie ambitionne de conclure un nouvel accord de soutien financier avec le FMI. Ainsi, elle a voulu montrer qu’elle est sur la bonne voie et qu’elle est en train d’avancer et d’évoluer.
Revenant au Plan de développement en lui-même, le président d’honneur de l’OECT pense que les objectifs assignés, notamment en ce qui concerne le taux de croissance fixé à hauteur de 5%, sont «très ambitieux», d’autant plus que la Tunisie sera appelée, à partir de l’année prochaine (2016), à payer les dettes contractées auprès des différents bailleurs de fonds.
«Les charges financières seront de plus en plus lourdes et le pays n’aura pas suffisamment de marge de manoeuvre pour booster la création de richesses», prévoit-il.
Dans ce cadre, il a également qualifié d’«ambitieuse» l’évolution prévue des investissements en Tunisie, pour le prochain quinquennat, notamment en ce qui concerne les investissements publics et les IDE.
La note d’orientation du plan prévoit en effet un “développement important de l’effort d’investissement, portant le taux d’investissement de 18,5% du PIB en 2015, à 25% à horizon 2020. Le volume total des investissements atteindra alors les 125 milliards de dinars pour toute la période”. “Les investissements publics, y compris ceux mobilisés par les entreprises et les établissements publics, sont appelés à évoluer de 50% par rapport à 2015, pour atteindre 45 milliards de dinars.
Concernant les investissements privés locaux, ils devraient augmenter de 65%, à 62 milliards de dinars. Quant aux IDE, la croissance escomptée est de l’ordre de 80%, pour atteindre 18 milliards de dinars”.
L’expert-comptable estime que ces chiffres sont «toujours réalisables», à condition que les grandes réformes structurelles soient mises en application, notamment les réformes relatives au partenariat public-privé, la réforme du marché financier, et plus précisément celles concernant le secteur bancaire et la révision du code de l’investissement. Des réformes dont le dernier deadline est fixé, avec le FMI, pour le 31 décembre 2015.
Pour réaliser cet objectif, Abdellatif a appelé à «doter l’ARP des moyens nécessaires (centres de recherche, experts conseillers, benchmarking, échange d’expériences avec d’autres parlements…) pour élaborer efficacement les lois des réformes, pouvant durer pendant au moins une décennie, afin de stabiliser l’arsenal juridique et normatif de la vie économique de la Tunisie». Cet objectif ne peut être réalisé, selon lui, qu’en créant le nouveau conseil économique et social de la Tunisie.
Parallèlement, il est impératif, d’après lui, de rétablir la situation sécuritaire dans le pays et de réussir la mise en place d’un consensus, aussi bien politique, social qu’économique. Toutes les parties, les composantes de la société civile, les forces syndicales doivent mettre la main dans la main, pour parvenir à surmonter la crise actuelle.
Par ailleurs, l’expert-comptable critique l’absence, dans ce plan stratégique, d’un schéma de financement clair. «Le pays souffre déjà de grands déséquilibres macro-financiers, auxquels s’ajoute un taux élevé d’endettement, sachant que la soutenabilité de la dette tunisienne (50%) a touché la ligne rouge, sans compter les risques de change accrus au vu de la détérioration de la valeur de change du dinar tunisien. Dans ces conditions, comment peut-on assurer les ressources financières nécessaires pour financer la relance?…», s’interroge-t-il.
Pour sortir de cette situation, il propose la création d’urgence d’une Agence nationale de l’endettement public qui sera le seul vis-à-vis pour le financement des plans de développement et des budgets annuels.