En Tunisie, lorsqu’une pollution maritime survient par l’effet, le plus souvent, de déversements d’eaux usées de l’Office national de l’assainissement (ONAS), les responsables de cette institution ont cette fâcheuse tendance soit à imputer la responsabilité de ce dérapage à l’inconscience des citoyens, soit à déclarer qu’une étude est en cours pour résoudre définitivement le problème.
Pourtant, la responsabilité de l’ONAS est totale dans ce genre de pollution. Plusieurs cas de pollution de ce type ont déjà été signalés à Ksibet Mediouni (gouvernorat de Monastir), à Dar Zman et à Sindab à Hammamet (gouvernorat de Nabeul), à Raoued, Ezzahra (Grand Tunis)… Et tout récemment, à Chott Meryem, zone jouxtant la station touristique d’El Kantaoui, à Sousse.
Pour mémoire, des baigneurs ont été désagréablement surpris par une marée d’excréments déversés anarchiquement dans la mer, ce qui a provoqué indignation, colère et dégoût dans l’opinion publique.
Des photos et vidéos montrant le déversement des eaux d’égouts dans la mer ont poussé le directeur régional de l’Office national d’assainissement à Sousse, Noureddine Haj Ali, à sortir de son terrier et à réagir. Il a déclaré que ces déversements d’eaux polluées sont dus à l’utilisation, par les citoyens et hôteliers de la zone, des canaux d’évacuation d’eaux pluviales pour se débarrasser de leurs eaux usées, alors qu’ils devaient disposer, selon la loi, de fosses septiques.
Il a ajouté que l’ONAS «est en train de préparer les études nécessaires en vue de trouver les solutions adéquates au réseau de canalisations dans la zone sus-indiquée».
Conséquence: l’ONAS n’est nullement responsable de cette catastrophe qui va contribuer à rendre les belles plages de cette zone répulsive pour de longues années.
La responsabilité de l’ONS est totale…
Mais si on revient au raccordement des fosses septiques au réseau des canalisations d’évacuation des eaux pluviales, à l’origine de cette catastrophe, il n’y pas de doute. La responsabilité de l’ONAS est totalement engagée, au moins pour deux raisons majeures.
D’abord, c’est à lui que revenait la gestion du réseau d’assainissement dans toute la région de Sousse et particulièrement dans la zone touristique dont Chott Meryem fait partie.
Ensuite, c’est à lui que revenait le contrôle des sous-traitants privés (le plus souvent des agents de l’ONAS) chargés de l’épuration des fosses septiques.
Cela pour dire que le moment est venu pour restructurer sur de nouvelles bases cette institution qui s’est forgée la mauvaise réputation de nous faire payer individuellement -et au prix fort, par le biais de la facture de la SONEDE- un service qu’elle ne fournit pas toujours.
Le problème de l’ONAS est un problème structurel
D’ailleurs, ce genre d’incidents n’est guère une surprise. En 2009, la Banque mondiale avait attiré l’attention, dans un long rapport sur les insuffisances structurelles de l’ONAS.
Intitulé «réflexion stratégique sur l’eau potable et l’assainissement en Tunisie», le rapport évoquait alors l’incapacité de l’ONAS, après 40 ans de sa création, à couvrir la totalité des périmètres communaux et les zones de développement touristique.
Le rapport avait également épinglé la mauvaise qualité du traitement des eaux usées brutes par l’ONAS ou en sous-traitance avec des privés. La qualité moyenne reste en deçà des ratios internationaux.
La troisième insuffisance relevée par le rapport concerne la pollution générée par les stations d’épuration exploitées par l’ONAS. Paradoxe de l’histoire: le dépollueur devient pollueur.
Effectivement, en épurant les eaux usées, ces stations fabriquent trois produits en grandes quantités: les eaux épurées bien sûr, mais aussi de matières polluantes telles que les boues, les gaz nauséabonds, et accessoirement les sables, les huiles et les reflux de dégrillage. C’est le cas de ce que les habitants du village Ksibet Médiouni appellent «le triangle de la mort», allusion à l’encerclement du village par des stations d’épuration polluantes de l’ONAS (Frina, Lamta…) qui ont fait de la mer dans cette zone un dépotoir toxique.
La quatrième insuffisance consiste en l’effectif pléthorique et fort coûteuxArticle en relation: TOUS LES ARTICLES SUR L’ENVIRONNEMENT de l’ONAS. Le rapport de la Banque mondiale de 2009 estimait que le ratio de 4,13 agents pour 1.000 abonnés est très élevé pour une entreprise qui opère dans un seul secteur, l’assainissement. Pis, la structure de l’effectif montre un faible taux d’encadrement (11%) et un fort taux d’agents d’exécution (73%).
Le personnel d’exécution technique, l’activité qui normalement demande le plus de personnel, n’est pas assez étoffé, remarquait le rapport.
Moralité: au regard de ces insuffisances structurelles, tout indique que l’accident écologique de Chott Meryem ne sera pas le dernier et que l’ONAS continuera à nous surprendre désagréablement. D’où l’urgence de le restructurer sur de nouvelles bases.
A bon entendeur.