Tunisie – Marchés publics : La bataille juridique Géomatix-DG de la pêche aura-t-elle lieu?

Par : TAP

marches-publics.jpgLes ingénieurs de Géomatix sont déçus de la décision unilatérale prise par la DG de la pêche de résilier le marché conclu avec leur société, qui a conçu des appareils de contrôle des embarcations de pêche.

La société tunisienne “Géomatix” a conçu ce terminal intelligent, baptisé «Unité de communication avec les centres de contrôle» (U3C), permettant de déterminer l’emplacement du bateau, sa direction et sa vitesse, outre l’échange d’informations, immédiatement, dans toutes les langues, y compris l’arabe.

La société, concurrencée par de nombreuses autres sociétés, avait remporté l’appel d’offres n° 2643/2005 relatif au projet de suivi et de contrôle des activités des barques, au profit de la direction générale de la pêche et de l’aquaculture (ministère de l’Agriculture).

Elle a fait savoir qu'”elle a été surprise par la décision prise, en mai 2015, par cette administration, de résilier le marché la liant à Géomatix, sans l’avoir informée et pour cette raison, a intenté une action en justice à l’encontre de la DG de la pêche”.

U3C, une invention tunisienne performante

D’après ses concepteurs, l’U3C, une invention 100% tunisienne, permettra aux pêcheurs qui sont équipés par ce système d’accéder aux prévisions météorologiques et aux lois réagissant le secteur de la pêche, sous forme de cartes interactives, ainsi que de lancer des SOS ou des alertes dans les cas urgents ou en cas d’accidents. Les informations émises par cet appareil sont sécurisées et codées, ce qui empêche leur infiltration.

L’échange d’informations est possible à travers l’International Maritime Satellite (Inmarsat) qui regroupe l’ensemble des pays affiliés à l’Organisation maritime internationale, dont la Tunisie.

Toujours selon ses concepteurs, le système assure la souveraineté de l’Etat tunisien, ainsi que la confidentialité et la circulation de l’ensemble des informations disponibles.

Pour l’avocat de la société, Nazih Souii, «l’U3C a constitué une fierté pour la Tunisie, puisqu’il est mentionné dans le site de la FAO et a été exposé dans les différentes rencontres internationales, dont celle qui s’est en avril 2015 au Maroc sur ce sujet».

Le ministère de l’Agriculture avait retenu Géomatix pour une expérience pilote menée, durant 3 mois, par Tunisie Télécom, et qui a concerné 6 embarcations.

Le marché conclu entre les deux parties comporte deux phases successives, dont la première phase pilote consiste en l’équipement de 20 embarcations de pêche avec ces terminaux et le développement d’une unité centrale de suivi au ministère de l’Agriculture.

D’après le contrat, la seconde phase prévoit la généralisation de système pour englober le reste de la flotte de pêche (les embarcations de plus de 15 mètres).

L’avocat a assuré que Géomatix a réalisé un grand succès au cours de cette première phase (2005-2008), de l’avis de la commission de pilotage du projet composée de plusieurs ministères.

Il a affirmé que la société a, ensuite, entrepris de développer son système, à la lumière des dernières révolutions technologiques, en préparation à sa généralisation. Elle a même entrepris de recruter cent techniciens supérieurs et ingénieurs pour exécuter le reste du projet.

Me Souii a précisé que la résiliation du marché intervenue en mai 2015 n’est valable qu’après la signature des deux parties d’un procès-verbal, conformément aux clauses du contrat.

La direction générale de la pêche a publié, le 26 juin 2015, a-t-il avancé, “une décision dans le JORT n°59 de l’année 2015, qui fixe les caractéristiques techniques du terminal, mais fait des concessions sur les caractéristiques relatives à l’échange d’informations et les émissions en direction des navires, puisqu’il ne les mentionne pas”.

L’avocat de la société a exprimé sa crainte quant à l’ouverture de la concurrence à d’autres appareils dont les caractéristiques correspondent à la décision ministérielle précitée.

Le représentant juridique de la société affirme être inquiet vis-à-vis d’un de ces appareils “qui transmet les données à travers des serveurs installés aux USA via le satellite “Globalstar”, outre le fait qu’il ne répond pas aux conditions du cahier des charges”.

Selon l’avocat, si cet appareil est choisi, la Tunisie perdra le contrôle sur ses données, sur sa sécurité et sur la souveraineté du système de contrôle.

Il a précisé que ses données seront accessibles aux parties étrangères, considérant que l’administration aura dans ce cas “adapté des législations et changé un produit sécurisé par un autre non fiable sur tous les plans.La réussite de Géomatix dans sa phase pilote n’empêche pas le décloisonnement du marché à la concurrence”.

Changer une invention tunisienne pour un produit non fiable

Le secrétaire d’Etat chargé de la Pêche, Youssef Chahed, a estimé que «la réussite de Géomatix dans sa phase pilote ne lui donne pas exclusivement le droit de monter le reste des équipements, sans avoir recours à la concurrence avec le reste des fournisseurs désirant participer à ce marché.

Il a fait savoir à l’agence TAP que la Commission des marchés publics, autonome dans les décisions, a résilié le marché précité après avoir vu la réalisation de ses dispositions, dans le cadre d’une expérience pilote qui a doté 20 embarcations de pêche des terminaux de contrôle par satellite.

«La résiliation du marché vient après l’obtention de la société précitée de son dû», a-t-il poursuivi. Et d’ajouter que « la généralisation des terminaux à 1000 embarcations ne fait pas partie de ce marché mais plutôt se fait d’une manière conventionnelle entre le fournisseur et les marins-pêcheurs.

Afin de fournir les meilleurs terminaux en faveur des marins-pêcheurs, «une commission constituée de techniciens et de spécialistes, de représentants des ministères de la Défense, de l’Agriculture, des Finances, de l’Intérieur et des Communications, veille à choisir les équipements nécessaires selon des critères bien déterminés», a t-il affirmé.

Le Secrétaire d’Etat a expliqué que les critères adoptés, contrairement à ce qu’a affirmé Souaii, consistent en la garantie de la confidentialité des informations, leur cryptage et leur caractère souverain (aucune partie étrangère n’a le droit d’intervenir dans l’opération), l’incapacité du marin-pêcheur à ouvrir le terminal et l’écoulement fluide des informations durant un laps de temps déterminé.

Pour le secrétaire d’Etat, l’instauration de la concurrence a pour objectif de favoriser le choix et de compresser les coûts, à un moment où le pays traverse une crise économique sans précédent.

Les fabricants de ce type de terminaux, selon ses dires, ont exigé l’instauration de la concurrence dans ce domaine et la profession a exigé de ne pas imposer tel ou tel terminal aux marins-pêcheurs, de peur que son coût ne tienne pas compte de leurs capacités financières.

Il a précisé que le gouvernement se charge seulement de l’équipement U3C et de renouer des relations entre les pêcheurs et les fournisseurs des U3C, ajoutant que des réunions avec les marins-pêcheurs sont prévues en septembre 2015, pour élaborer une feuille de route concernant l’équipement des embarcations par les U3C.

Adéquation entre les spécificités techniques et le prix pratiqué

Les professionnels se sont mis d’accord sur la généralisation des terminaux dans la mesure où le rapport qualité-prix est en adéquation avec la capacité financière du pêcheur, a fait savoir à l’agence TAP le vice-président de l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche chargé de la pêche, Noureddine Ben Ayed.

Il a considéré que le premier terminal (fabriqué par Géomatix) coûte très cher (13.000 dinars tunisiens), alors que le prix des terminaux similaires se vendent sur le marché international entre 3 et 4.000 dinars.

Il est à noter que la Commission de pilotage a défini, en 2008, le prix de ce matériel, lequel est estimé à 8 mille de dinars, sans compter les impôts.

D’après Ben Ayed, l’équipement des embarcations par ce terminal, notamment après la réussite de l’expérience pilote menée dans 20 embarcations de pêche de thon, demeure un besoin revendiqué par l’Organisation Internationale pour la protection du thon rouge et une condition pour l’octroi des autorisations de pêche de ce type de poisson.

Ben Ayed a critiqué la loi publiée par le ministère de tutelle relative à l’achèvement de la deuxième phase du système de contrôle, soulignant qu’elle «n’a pas précisé le montant qui devra être pris en charge par l’Etat par rapport au coût de l’appareil».

L’interlocuteur a appelé, dans le même contexte, à la nécessité d’amender cette loi de manière à ce que ce matériel soit l’unique moyen permettant de relever les infractions et les dépassements commis par les embarcations de pêche, et ce, au vu de sa pertinence dans ce domaine.

L’invention de Géomatix, faut-il noter, averti le propriétaire de l’embarcation qu’il est en train de commettre un infraction et qu’il doit réviser son emplacement, et en cas de non soumission il lui informe qu’il va enregistrer l’infraction avant de confirmer son envoi.

Les équipements Géomatix sont performants et sécurisés

L’un des équipementiers des embarcations de pêche de thon, parmi ceux qui ont bénéficié de la phase pilote, depuis 2005, a indiqué à l’agence TAP que «l’expérience a connu une réussite sur toutes les échelles», et que «depuis l’installation de ce terminal, je peux contrôler les activités de mon embarcation, à partir de mon bureau. Ainsi, je suis en mesure de prendre connaissance, instantanément, de la vitesse et de la direction de mon embarcation, ainsi que de la profondeur d’eau».

Il a fait savoir, aussi, que la société productrice du terminal assure un suivi périodique pour cet équipement, ainsi qu’un service d’après vente pendant une année, et elle s’est engagée du lancement et de la maintenance du système au début de la saison et de sa fermeture à fin de la saison.

D’après lui, Géomatix a introduit de nouvelles améliorations à ce terminal, dont la possibilité d’envoyer des SMS de la part des pêcheurs vers les unités centrales et d’accéder à des rapports sur l’activité de l’embarcation tout au long de l’année.

Un autre équipementier, qui a bénéficié de la même expérience, a révélé que les prix de cet équipement est proche de ceux appliqués à l’échelle internationale.

Toutefois, a-t-il ajouté, ce terminal se distingue par son équipement d’une base de données 100% tunisienne, puisque les données ne passent pas par des terminaux étrangers mais à partir des embarcations de pêche vers les unités centrales tunisiennes directement.

Selon lui, aucune panne au niveau de ce matériel n’a été enregistré, jusque-là. Par contre, a-t-il dit, ces terminaux sont mieux performants que ceux mis en vente à l’échelle mondiale.

En attendant que la justice rende son verdict dans cette affaire, il est indispensable de développer le système de la pêche en Tunisie afin de garantir l’efficacité et le rendement assigné.