La Tunisie est fragile. C’est un grand chantier où tout est à reconstruire et refonder. L’objectif de l’Administration n’est pas de détruire ou de sanctionner aveuglément tout contrevenant mais de donner à chacun la possibilité de se racheter en négociant, en se pliant aux lois et en adoptant le système en place. C’est ainsi que Slim Chaker voit les choses : il ne s’agit pas d’adopter des mesures coercitives sans avoir auparavant épuisé toute possibilité de récupération et de négociation.
Deuxième acte d’un entretien représentatif de la vision de la mission du ministère des Finances.
Vous avez parlé dans la première partie de l’entretien de mettre en place une formule intermédiaire entre le régime forfaitaire et celui réel pour faciliter le passage de la première étape à la seconde. Comment comptez-vous y procéder ? Les Forfaitaires sont aussi de petits commerçants, des menuisiers, des artisans qui ne savent même pas ce que c’est qu’une comptabilité.
Nous comptons accompagner les opérateurs désireux d’accomplir ce passage pour que tout soit fait en souplesse. Des fois le passage est un peu brusque et c’est ce que nous voulons éviter. Pour moi, il s’agit surtout de convaincre les contribuables de l’utilité de l’opération en elle-même car il y en a qui pensent qu’être forfaitaires est plus simple, ce n’est pas vrai. Il n y a pas mieux que la transparence, une comptabilité bien faite et s’acquitter de son devoir de citoyen en payant ses impôts. La réforme fiscale prévoit des structures d’accompagnement pour les forfaitaires et la mise en place d’un régime intermédiaire avant de se positionner dans le régime réel. Nous agirons en douceur en adoptant une bonne politique de communication et de sensibilisation pour que les citoyens ne voient pas dans l’Administration fiscale l’ogre qui va les dévorer sans respecter leurs droits mais comme un département dont le but est également de garantir leurs droits. A ce jour, les rapports de forces étaient toujours à l’avantage du ministère des Finances et au détriment du petit contribuable. Il y en a beaucoup parmi nos concitoyens qui ne s’acquittent pas de leurs devoirs fiscaux soit par ignorance soit par peur. Ils se disent : le jour où nous franchirons la porte de cette administration, elle va me dépouiller de tous mes biens. Il faut que cela change.
Ne pensez-vous pas que le personnel de l’Administration fiscale doit également changer de posture et ne pas choisir celle du juge d’instruction qui rebute les contribuables ?
C’est justement sur cela que nous travaillons en mettant une politique de formation en interne pour que les droits et les devoirs de chacune des parties soient clairs dans les esprits des agents et visibles dans leurs pratiques au quotidien.
Il y a des PME/PMI qui veulent être en règle avec l’administration fiscale mais au vu des difficultés que le pays travers depuis 5 ans et des crises successives qui ont rongé le pays, elles n’y arrivent pas. Y-a-t-il des formules pour les aider à être solvables tout en prenant en comptes leurs problèmes ?
Nous sommes en train d’étudier les possibilités de rééchelonnement des impôts pour les PME/PMI en difficultés pour régulariser leur situation avec l’Administration fiscale. C’est important pour elles car cela va leur permettre de déployer plus d’énergie et d’efforts dans la remise sur les rails de leurs entreprises et pour nous de rétablir des rapports de confiance en nous disant que 90% parmi elles sont dans le respect de la loi. Nombre de mesures seront prises pour leur faciliter la tâche. Notre objectif est de passer de l’Administration qui sanctionne à celle qui accompagne, qui conseille et qui solutionne. Il est dans l’intérêt de tout le monde que les PME dans notre pays restent debout, il est important de créer des emplois mais encore plus important de garder ceux qui existent déjà en ces moments assez délicats. Je veux d’un ministère qui ne regarde pas seulement aux recettes mais qui prend en compte les équilibres globaux de l’économie nationale. Je ne veux pas que l’on pousse les contribuables à la faute !
Il y a tout un travail à faire sur les ressources humaines du ministère des Finances avec des plans de formation sur trois ans. L’Ecole des Douanes va être baptisée « L’Académie internationale des Douanes et l’Ecole des impôts pareil, elle s’appellera désormais « L’Académie internationale de la Fiscalité ».
A propos de régularisation des situations « frauduleuses », que comptez-vous faire avec les nombreux protagonistes du commerce parallèle. Dans certaines zones du pays, on ne pèse plus l’argent, on le mesure au mètre !
Cela rejoint ce que je vous ai dit auparavant à propos de ceux qui sont en possession de montants colossaux mais acquis de manière illégale. Le traitement de cette problématique épineuse se fait en de nombreuses étapes : la première consiste à arrêter l’hémorragie. La deuxième est de récupérer les « hors système » pour les intégrer dans le système et troisièmement, nous convoquons les concernés, nous en débattons autour d’une table et négocions les accords qui s’imposent. Notre pays est fragile et nous ne sommes pas dans une logique de destruction. La Tunisie est un grand chantier où tout est à reconstruire et refonder.
Vous avez parlé de police fiscale, à quel moment elle pourrait intervenir ? Il y a de bons payeurs qui sont harcelés par vos agents alors qu’on pourrait les orienter vers les mauvais payeurs.
Nous sommes bien décidés à élargir l’assiette fiscale et vous avez raison, les opérateurs les plus intègres nous disent « C’est parce que nous sommes réglo, transparents et solvables que nous sommes les victimes de vos services ». Nous veillerons à ce qu’ils ne soient plus des victimes mais à ce qu’ils soient bien et mieux traités. Par contre, notre force de frappe doit être dirigée contre les mauvais payeurs et les faux forfaitaires et c’est ce que nous ferons. C’est une reconversion que nous sommes en train d’opérer progressivement et qui entre dans le cadre de la modernisation et la réforme de l’Administration fiscale. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, ce n’est pas en appuyant sur un bouton que le moteur qui était à l’arrêt commencera à tourner. Il y a un adage français qui dit « Un problème bien posé est à moitié résolu ». En ce qui nous concerne, nous avons déjà une idée plus claire sur ambiguïtés du régime forfaitaire et les aberrations du système fiscal. Nous sommes d’accord sur les problèmes et le diagnostic et nous y remédierons au fur et à mesure. Ce que je peux vous permettre est que nous serons au Rendez-vous.
On parle de Caisse de dépôt et de consignations, de biens confisqués et gérés par l’Etat et des entreprises réduites en miettes à cause de la mauvaise gestion des mandataires judiciaires alors que c’est un grand patrimoine qui aurait pu profiter à l’Etat, quelle approche comptez-vous appréhender en la matière pour préserver ce qui en reste?
Tout d’abord, mettons les choses au point. La Caisse des Dépôts et de Consignation a été mise en place en 2011 pour financer en premier lieu les projets dans les régions et les aider à se développer. Le bilan n’est pas des plus brillants et nous travaillons avec la KFW qui nous assiste techniquement pour créer la banque des régions. La banque des régions n’est pas une nouvelle création, nous allons revoir la CDC, la BFPME, la BTS, tout ce qui est SICAR régionales et tout ce qui est SOTUGAR pour en faire une banque régionale. Nous œuvrons avec le leader mondial en matière de mise en place de banques régionales qui est la KFW et qui les a implantées dans 12 pays européens conjugués à 3 autres en cours. Le chantier a démarré et nous aurons les premiers résultats d’ici 6 mois.
Pour ce qui est des biens confisqués, il y a une commission présidée par le ministre des Finances et à laquelle siège le ministre des Domaines de l’Etat, le ministre de la Justice et le représentant du Chef du Gouvernement. Cette commission qui n’a pas beaucoup fonctionné ces derniers mois vient tout juste de reprendre son travail, nous avons fixé des objectifs clairs pour ce qui est des biens confisqués dont la nature diffère d’un bien à l’autre. Il y a des entreprises, des biens immobiliers, des parcs automobiles et autres. La Karama Holding s’occupe des entreprises et nous lui avons fixé une feuille de route pour assurer un suivi régulier, au moins une fois par mois.
La Karama Holding pourrait-elle arrêter la débandade de ces entreprises qui figuraient parmi les meilleures et qui sont aujourd’hui complètement détruites. Les mandataires judiciaires en sont venus à bout !
Tout cela a été réglé, nous sommes en train de remplacer les mandataires judiciaires par des managers nommés par la commission. Nous avons déjà démarré ce processus depuis deux semaines. Nous avons pour ce qui est des biens immobiliers et des parcs automobiles lancé des appels d’offres. Toutes les voitures ont été vendues à l’exception des voitures de luxe qui n’ont pas trouvé preneur en Tunisie. D’ici octobre ou novembre, nous ferons appel à un commissaire-priseur pour des ventes aux enchères internationales. Cet épisode sera définitivement clos avant la fin de l’année sauf si nous ne trouvons pas acheteur.
La Restructuration des banques publiques ?
Là aussi nous avons énormément avancé. La recapitalisation de la STB et de la BH est terminée. La recapitalisation de la BNA est terminée parce que nous n’allons pas y mettre de l’argent public mais le Conseil des ministres l’a autorisée à vendre son portefeuille de titres SFBT, ce qui va lui injecter de l’argent frais. Maintenant, pour ce qui est des administrateurs de l’Etat, ils ont été sélectionnés suite à un appel à candidature et ils sont opérationnels. Quant aux directeurs généraux, ils ont eux aussi fait l’objet d’un appel à candidature. Nous avons reçu 50 candidatures et dans un souci de transparence, nous avons chargé un cabinet privé d’examiner les CV et de procéder à la sélection en prenant pour principaux la compétence et les capacités de management. C’est une première presque à l’échelle internationale, je ne connais pas beaucoup de pays où les directeurs des banques publics sont choisis sur la base d’une évaluation d’un cabinet privé et d’un appel à candidatures.
Pour éviter que les banques publiques retombent dans les erreurs du passé, nous avons fait en sorte qu’il y ait un conseil d’administration et un directeur général. Le Conseil a, entre autres, missions de contrôler les performances du DG, fixer les grandes orientations stratégiques et veiller à leur application. Le DG sera jugé en fonction de son business plan, de la réalisation des objectifs fixés et du meilleur suivi des recommandations du Conseil d’Administration. Pour garantir les résultats escomptés en matière de management, nous avons révisé le décret qui fixe les rémunérations de PDG de façon à pouvoir les aligner à celles du secteur privé.
C’est une logique que nous suivrons jusqu’au bout pour que les banques publiques accompagnent les investisseurs à l’étranger et deviennent plus performantes.