Alors que les indépendantistes ont remporté une solide majorité au Parlement autonome lors des élections régionales, la Catalogne est aujourd’hui face à son histoire et entraîne dans son sillage l’avenir de l’Espagne toute entière.
Cela ressemble à la première marche d’un combat historique. Ce lundi, la Catalogne s’est levée changée, chamboulée et surtout déroutée, s’engageant sur la voie de l’indépendance. Comme annoncé par la majorité des enquêtes d’opinion, la principale liste séparatiste, dirigée par l’actuel chef de l’exécutif catalan, Artur Mas, a remporté les élections régionales dimanche. Le mouvement «Junts pel Si» (Ensemble pour le Oui – à l’indépendance) a glané 62 députés régionaux, auxquels s’ajoutent la dizaine de députés gagnés par la liste Candidatura d’Unitat Popular (CUP), également favorable à la sécession. Ensemble, les deux groupes s’offrent une majorité absolue de 72 élus au Parlement autonome catalan et vont pouvoir organiser leur combat de scission vis-à-vis de Madrid.
Au delà du résultat des urnes, une question a agité l’ensemble de la campagne provoquant bien souvent des débats acerbes à la télévision: une indépendance de la Catalogne, prévue dans 18 mois par la feuille de route victorieuse, serait-elle viable économiquement? Une bataille de chiffres s’est enclenchée il y a quelques semaines alors que l’éventualité indépendantiste est soumise à des conditions encore inconnues.
Un PIB par habitant supérieur à celui de l’Italie
La campagne l’a montré: les chiffres retenus dans l’argumentaire varient en fonction du camp. Si le débat critstallise, le tableau est clair. Du haut de ses 7,5 millions d’habitants (sur un total de plus de 46 millions pour l’ensemble du pays), la Catalogne est une région riche grâce à de nombreux atouts. Son poids démographique est aujourd’hui plus important que le Danemark ou la Bulgarie et son PIB par habitant, 28.000 euros annuels l’an passé, situe la région entre l’Italie et la France selon les données fournies par Eurostat. Par comparaison, la moyenne européenne s’élève aux alentours de 26.000 euros.
Le dynamisme de la région est un argument fort de la campagne pour l’indépendance de la Catalogne. La situation est unique et le poids du territoire catalan est énorme pour l’économie espagnole: 20% de la richesse du pays avec une activité diversifiée autour de l’industrie automobile, de grands groupes pharmaceutiques, la puissance de ses banques et surtout, la forte part du tourisme avec la ville de Barcelone. Selon certains analystes, une scission avec Madrid pourrait faire reculer l’Espagne de la cinquième puissance européenne à la…quatorzième position.
Le scénario serait catastrophique pour Madrid qui aurait alors prendre en charge l’intégralité de la dette publique espagnole, estimée au deuxième trimestre 2015 à 97,7% du PIB par la Banque d’Espagne. Le ratio a explosé avec la crise, alourdie brutalement par le sauvetage des banques en 2012. Le gouvernement espagnol table sur une augmentation à 100,3% du PIB en 2015, pour atteindre un sommet à 101,5% en 2016 avant de refluer à 98,5% en 2017. En cas d’indépendance, la Catalogne devrait refuser naturellement de prendre à sa charge la partie de la dette qui lui incombe. Reste qu’à ce jour, la région catalane est l’une des plus endettée du pays. «Un cercle vicieux qui a conduit Madrid a sauvé la Catalogne en 2012», détaille Nacima Baron, chercheuse et co-auteur de L’Espagne en crise(s), une géopolitique au XXIe siècle.
La menace des entreprises
Déjà, en 2012, plusieurs groupes installés en Catalogne avaient évoqué leurs réticences à toute forme d’indépendence. Du groupe d’édition et de communication Planeta à Volkswagen-Audi Espagne, des menaces de départ avaient été prononcées. Durant la campagne, elles ont été répétées. Même ton du côté des banques, où, en cas de séparation, ces dernières ont avoué «revoir leur stratégie d’implantation» en Catalogne. Le jeune État se verrait alors automatiquement restreint dans l’accès au crédit pour les entreprises, comme pour les particuliers, une situation qui pose question.
Dans le même temps, l’association Societat Civil Catalana s’est inquiétée d’une conséquence pour les retraites. Clairement opposée à une indépendance de la région, le groupe a avancé il y a quelques jours qu’une sortie de la Catalogne de l’Espagne conduirait à une chute des retraites de 6,7% à 16,9% avec la disparition des aides de la Sécurité sociale espagnole.
Un «déficit fiscal» de 16 milliards d’euros
C’est l’argument principal des indépendantistes: le «déficit fiscal» de la région, soit sa contribution nette au budget du reste de l’Espagne. Selon les comptables catalans, ce dernier représenterait 8% du PIB de la Catalogne, environ 16 milliards d’euros. Ce chiffre est «une escroquerie intellectuelle» pour l’ancien président du Parlement européen, Josep Borrell. Ces 16 milliards d’euros représentent la différence entre les impôts payés par les Catalans à l’État et les biens et services apportés par le gouvernement sur le sol régional.
Si l’indépendance économique de la Catalogne est viable en théorie, elle semble difficile à imaginer pour le moment. «Il y a aujourd’hui tout un système économique à repenser, notamment sur le plan commercial. La Catalogne est une région industrielle et a besoin de ses clients pour vivre. Or, sans l’Espagne, elle va devoir se tourner vers de nouveaux marchés comme l’Europe du Nord ou l’Asie», explique Nacima Baron. Une question de statut reste également à régler, avec l’Union européenne notamment. Le salut de l’indépendance catalane passera par la volonté de ses partenaires.
AFP