Supprimer le droit de consommation et tailler sec dans les droits de douanes, si cela se réalise, c’est l’arme fatale du ministre des Finances contre le secteur informel. Il faut pour cela que la croissance soit de retour sinon comment tenir les cordons du budget?
Slim Chaker part en guerre contre le secteur informel qui ronge l’économie organisée lui volant 50% de ses parts. Outre qu’il inhibe la reprise en dissuadant les investisseurs à s’engager. Le ministre dégaine une série de mesures qui figureront dans la loi de finances de 2016. L’objectif final est d’arriver à faire reculer la contrebande dans ses retranchements traditionnels, c’est-à-dire les zones frontalières et le commerce d’appoint, comprenez sans les stup’ et les armes.
De 50% du PIB à l’heure actuelle, le ministre entend faire reculer l’informel à horizon de 2018 à 20%. A ce palier, la contrebande, soutient-il, ne pourra plus parasiter l’investissement privé ni même grever la dynamique économique du pays.
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Ce faisant, le ministre annonce qu’il taillera dans le vif. Il va sevrer l’Etat de rentrées importantes sacrifiant une part conséquente des contributions indirectes. Vlan, il supprime d’un coup le droit de consommation sur les produits importés. Il renonce également à une partie importante des droits de douanes en faisant plafonner les taux à 20%. Cet acte de sobriété fiscale ne sera pas sans retentissement sur l’équilibre du budget. C’est, à n’en pas douter, une refondation fiscale d’ampleur. Le ministre tient là un bon cap. Son choix est audacieux. Mais quid de son plan de vol?
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Le “Road Show“ du ministre des Finances
Slim Chaker vient d’achever un marathon qui l’a mis tour à tour avec les partenaires sociaux, puis les Chambres mixtes de commerce et d’industrie (France, Italie, Pays-Bas, Allemagne et Suisse) et enfin la société civile. Il leur a tenu le même langage. Un exposé rigoureux de ses mesures fiscales, désormais approuvées par le conseil des ministres.
Il entend les mettre à témoin que l’Etat est le premier à commencer à faire des sacrifices. Et ils sont importants. Ce plan de lutte s’adosse à un référentiel international. Beaucoup de pays en transition et en proie à l’avancée de l’informel ont recouru à pareille abstinence fiscale. Et d’ailleurs, il y a un semblant de consens mondial quant à l’efficacité de l’allégement fiscal et douanier.
En effet, ces deux mesures tuent dans l’œuf le différentiel de prix entre le commerce parallèle et le commerce organisé. En tarissant les possibilités de gain des contrebandiers, le ministre entend redonner la main aux opérateurs du secteur organisé. Comment ces derniers l’entendent-ils?
Mezza Voce
Le message du ministre est crypté. Si l’Etat fonce le premier, les investisseurs doivent venir en renfort. Il leur faut mettre la main à la poche et investir. En réalité, ce travail de synchronisation est incontournable. Le ministre ne le dit pas de manière explicite mais le laisse sous-entendre. Si l’Etat renonce délibérément à de précieuses recettes, le privé ne peut se dérober et se réfugier dans la frilosité et l’économie de rente.
L’avertissement est servi de manière feutrée, et beaucoup de partenaires semblent faire la sourde oreille tentant de grappiller des facilités qui n’ont rien à voir avec le moment ni la circonstance.
L’Etat se jette à l’eau, il ne faut pas qu’il se retrouve à sec. La messe est dite. La croissance doit suppléer les recettes sacrifiées à moins de mettre en péril les finances publiques.
Un pari retentissant
Le plan Chaker est solidement charpenté car il englobe, aussi, la modernisation de la douane de sorte à en faire un rempart actif et effectif contre les fraudes à l’import.
Malgré cette cohérence d’ensemble, nous avons relevé quelques failles qui méritent un réexamen. Baisser les droits sur les spiritueux de 650% à 50% et laisser en l’état les taxes sur le tabac laisse tout de même une niche consistante aux contrebandiers.
Il faut bien se rappeler que Mokhtar Ben Mokhtar, le redoutable caïd des “signataires par le sang“ alimente son trésor de guerre à partir d’une marque de tabac américaine et fort prisée du public.
Ce plan ne dit rien de la manière dont il faut régler le commerce, hors concessionnaires, des voitures. Il y a donc certaines porosités dans le plan Chaker, qu’il faudra bien colmater. Mais par-delà ces considérations, Slim Chaker en faisant son road show a les yeux rivés sur d’autres horizons. Il affinerait, selon nous, son argumentaire pour être en situation de bien défendre son projet devant l’ARP et aux diverses tribunes internationales où il aura à plaider devant les investisseurs internationaux, l’attractivité du site tunisien.
Slim Chaker s’avance et s’expose. Christine Lagarde lui a savonné la planche. Elle exige un budget 2016 dédié à la reprise de l’investissement. Lui, aborde le problème de biais. Instruit des limites de l’investissement public, il compresse la fiscalité pour mettre le secteur privé en situation de réagir face à une responsabilité historique. Où il se bouge et gagne la partie de la reprise économique et on parlera, à l’instar des Américains de la méthode Shaker. Il est facile d’imaginer la situation contraire.
A bon entendeur…
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