Le lancement officiel des négociations sur un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre la Tunisie et l’Union européenne (UE) aura lieu mardi 13 octobre à Tunis. La commissaire européenne pour le Commerce extérieur, Cecilia Malmström est à Tunis, et tiendra, à cette occasion, une conférence de presse, à La Kasbah, selon la Délégation de la commission européenne (CE) à Tunis.
Toutefois, le premier round des négociations ne débutera, effectivement, que le 19 courant à Tunis, et se poursuivra jusqu’au 23 octobre.
Une délégation de négociateurs européens est attendue à Tunis, avec au programme une prise de contacts avec leurs homologues tunisiens et des discussions sur les modalités des négociations (organisation matérielle, lieux, ordre du jour), selon la directrice des relations extérieures au ministère du Commerce, Saida Hachicha.
La délégation européenne arrivera bien entendu avec un document de travail qui sera discuté lors de ces réunions, d’après Mme Hachicha.
Depuis 2013, une commission nationale des négociations a été constituée et a tenu trois réunions. Elle est présidée par le ministre du commerce et comprend plusieurs groupes de travail, a-t-elle rappelé, à l’Agence TAP.
Selon le site du ministère du commerce sur l’AlECA, cet accord qui «sera une partie intégrante de l’accord d’association», conclu entre les deux parties depuis 1995, couvrira 11 domaines, à savoir: la défense commerciale (sauvegarde, antidumping), la transparence, la concurrence, la douane et la facilitation des échanges.
Il portera également sur «des questions liées à l’énergie», les obstacles non tarifaires au commerce, le commerce et le développement durable, les droits de propriété intellectuelle, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les services et le droit d’établissement, les marchés publics.
Si pendant les négociations euro-tunisiennes qui ont précédé les accords de 1976 et 1995 ou encore le plan d’action élaboré en 2005, le débat sur les relations bilatérales est resté cloîtré dans des cercles fermés, la société civile tunisienne s’est invitée cette année fortement au débat. Une quinzaine d’associations tunisiennes se sont constituées en une coalition et revendiquent, depuis septembre, leur association aux négociations sur l’ALECA.
Cette coalition, composée notamment de la principale organisation syndicale (UGTT), de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), vient de publier une déclaration dans laquelle elle demande à être associée à un comité de pilotage chargé de superviser une étude d’impact de l’ALECA, précédée par une évaluation des impacts de l’accord signé en 1995.
Dans leur déclaration, les organisations signataires ont exprimé leurs appréhensions quant aux risques que pourrait présenter l’ALECA pour plusieurs volets et activités économiques. Elles craignent ainsi, un «accroissement des déficits budgétaires et extérieurs», une «déstabilisation du secteur agricole», «la mise en difficulté des petites et moyennes entreprises» et «un affaiblissement du pouvoir régulateur de l’Etat tunisien».
Pour l’économiste Sami Aouadi, un des animateurs de cette coalition, “l’UE cherche la libéralisation de certains secteurs économiques bénéficiant encore, en Tunisie, d’une protection partielle, et ce afin d’offrir des opportunités et de nouveaux marchés de ses propres entreprises enlisées dans des crises financières à répétition, depuis 2008». «Tout ce qui se passe en Italie, Espagne, Portugal et en Grèce depuis cette date, témoigne des difficultés que connaissent plusieurs secteurs de l’économie européenne», a-t-il dit.
Selon cet auteur d’études sur l’impact économique du premier accord d’association Tunisie/UE, la Tunisie doit se mettre d’accord sur un nouveau modèle de développement d’abord et œuvrer à avoir une politique active d’insertion ensuite. «Le monde ne se limite pas à l’UE, une entité en déclin, d’après plusieurs rapports sur la compétitivité dans le monde, et ce contrairement à l’essor d’autres marchés en Amérique latine et en Asie», a-t-il précisé, à l’agence TAP.
La contestation de la démarche adoptée, jusqu’ici, dans le partenariat euro-méditerranéen ne vient pas uniquement de la société civile tunisienne. A cet égard, la coalition de la société civile bénéficie dans le Parlement européen du soutien du groupe des sociaux démocrates, selon Lobna Jeribi, ancienne députée à l’ANC (Ettakattol) et responsable à l’association Solidar Tunisie, une des organisations initiatrices de la coalition.
La fondation Rosa Luxemburg, proche de la gauche allemande, vient d’exprimer, elle aussi, des critiques quant aux orientations libérales de la politique de l’UE vis-à-vis de ses voisins du sud. «L’UE continue à axer sa politique économique sur les principes du néo-libéralisme», estime le bureau de la fondation à Tunis, s’interrogeant sur la capacité d’une telle orientation à jeter les bases d’une «démocratisation réelle, c’est à dire un bien-être et une justice sociale».
D’autres économistes et acteurs économiques en Tunisie critiquent la démarche de la société civile tunisienne, estimant qu’elle manque de sérieux et est irréaliste. Le responsable de Comete engeneering et fondateur de l’association Action et développement solidaire (ADS), Radhi Meddeb, a affirmé, à l’agence TAP, que les appréhensions et interrogations exprimées par la société civile et des organisation nationales, telle que l’UGTT, «sont légitimes car le pays aborde un tournant majeur dans les relations économiques internationales du pays». Néanmoins, la demande d’évaluation des accords passés avec l’UE, proposée par la société civile, intervient trop tard et risque de prendre encore 2 ans, d’après lui. Le pays possède peu de marge de manœuvres et a besoin d’ouvrir de nouveaux marchés pour son économie, a-t-il dit.
Pour ce chef d’entreprise auteur et président de l’Institut de prospective du monde méditerranéen, l’IPEMED, l’UE constitue la sphère internationale suffisamment forte la plus proche de nous, ce qui pourrait faciliter l’insertion de l’économie tunisienne dans l’économie mondiale. Il a cité, à titre d’exemple, la récolte exceptionnelle d’huile d’olive, réalisée la saison précédente, affirmant qu’en dehors du quota autorisé par l’accord d’association, la Tunisie n’a pas pu écouler sur le marché européen que sous le régime de perfectionnement. Avec l’ALECA, elle obtient un accès libre au marché européen pour toute sa récolte, quelle que soit la quantité même si celle-ci atteint 500.000 tonnes, ce qui constitue une opportunité que les Tunisiens doivent saisir, a-t-il expliqué.
Cet accord permettrait, en outre, aux Tunisiens de participer aux programmes de recherche et de bénéficier de programmes de développement régionaux, selon ses dires.
Quant aux objectifs non réalisés par les accords précédents, Meddeb estime que les Tunisiens ont failli à leurs responsabilités et le tissu entreprenarial est habitué au confort de la protection.
Pour un autre économiste indépendant, ayant requis l’anonymat, les revendications de la société civile concernant la participation aux négociations ne sont pas sérieuses. Il estime que les rencontres organisées sur cette question y compris par l’UE font partie d’une mise en scène.