«La Tunisie risque de perdre 40% de ses entreprises, en cas d’application de l’Accord de libre- échange complet et approfondi (ALECA), qui va être bientôt négocié avec l’Union européenne». C’est en tout cas ce qu’affirme Abdelbasset Sammari, économiste et secrétaire général de l’association “Prospection et développement”, se référant à des données de la Banque mondiale.
Se basant sur ce constat, il a reproché à l’Union européenne, premier partenaire de la Tunisie, de n’avoir pas mené une étude sur les retombées de l’Accord d’association signé en 1995.
Lors d’une conférence de presse tenue lundi 12 octobre au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) par cette association en collaboration avec l’association ‘I watch”, Sammari a appelé l’élaboration «d’une étude approfondie sur l’impact de cet Accord sur l’économie nationale et la société tunisienne, avant de passer à l’application de l’ALECA».
Dans son intervention, Mahmoud Besrour, président de l’association “Prospection et Développement”, a rappelé qu’en 2012, lorsque la Troïka était au pouvoir, le gouvernement a proposé des négociations avec l’Union Européenne sur le projet d’Union douanière, ce qui a été refusé par la Commission européenne, laquelle s’est contentée d’accorder à la Tunisie le statut de partenaire avancé.
Selon lui, «après l’entrée en vigueur de l’Accord d’association, il y a 20 ans, nous avons constaté qu’il a contribué au démantèlement tarifaire pour les produits industriels, à la recrudescence du chômage, au déficit de la balance commerciale en faveur de l’Union européenne, à l’amplification de l’endettement ainsi qu’à l’évasion des capitaux», a-t-il souligné.
Les chiffres présentés par l’économiste Jamel Aouididi sont révélateurs. Ils montrent que la Tunisie a perdu 55% de son tissu industriel à cause du démantèlement tarifaire et plus de 500.000 postes d’emploi. Entre 1996 et 2008, la trésorerie générale de la Tunisie a perdu près de 24 milliards de dinars, soit 2 milliards de dinars par an, du fait du manque à gagner en matière de taxes douanières non appliquées sur les marchandises européennes.
D’après Aouididi, 85% des échanges commerciaux entre la Tunisie et l’Union européenne sont réalisés au profit de quatre pays européens: la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre, lesquels ont été «à l’origine de la colonisation de la Tunisie en 1881».
«L’ALECA va répéter le même scénario qu’en 1995, si cet accord n’est pas transparent et ne traite pas les deux parties sur un même pied d’égalité», a fait valoir Lassâad Dhaouadi, virulent économiste qui a, aussi, estimé que “le contenu de l’ALECA s’apparente à celui du traité du Bardo de l’année 1881”.
D’après lui, deux secteurs seront victimes de l’application de l’ALECA, en l’occurrence l’agriculture et les services. «Si l’Union européenne introduit dans notre pays le concept de l’agriculture intensive qui utilise massivement des produits chimiques dans diverses cultures, notre agriculture en subira le contrecoup non seulement sur le plan de la qualité des produits mais également au niveau de la situation financière et sociale des agriculteurs». N’importe quoi, car cela équivaut à dire que les Tunisiens mangent plus sain que les Européens.
Pour les services, Dhaouadi a accusé certains organismes nationaux, chargés depuis 1998 de la mise à niveau du secteur des services, comme le Conseil national des services, de ne pas avoir assumé leur mission de restructuration de cette filière, avançant que “certains membres du conseil, représentant les ministères de l’Industrie, du Commerce et du Développement de l’époque ont gaspillé l’argent dans la réalisation d’études fictives, ce qui s’apparente à un détournement de fonds, d’où la nécessité de la suppression de ces structures”.
Dhaouadi a évoqué la théorie du «complot» qui «commence le 13 octobre, avec le démarrage des négociations avec la Commission européenne».
Tous ces économistes ont été unanimes à s’accorder sur le fait que le libre-échange entre la Tunisie et l’Union européenne est “un mauvais choix” pour lequel a opté le régime de Ben Ali, depuis 1987. Ses effets continuent à se faire sentir dans les secteurs clés de l’économie nationale.
Cependant, ces économistes devraient nous dire d’un tel accord quelles auraient été les conséquences sur l’économie tunisienne. En tout cas, à notre connaissance, aucune étude n’a pu montrer cela.