La Note d’orientation du Plan de développement 2016-2020 se voulait en rupture avec l’ancien modèle de développement. Elle l’a été dans la forme mais pas sur le fond, soutiennent les experts.
Mardi 6 octobre, Habib Essid s’est rendu à un grand oral à la salle de conférences du CERES. A l’ordre du jour, la question de l’heure, à savoir la Note d’orientation du Plan 2016-2020.
En se rendant au CERES, Habib Essid veut-il se dégager de l’emprise des partis, en recherchant un débat technique avec les experts?
Enfin, l’occasion pour Habib Essid de dire “Je“
Le chef du gouvernement agit sous la tyrannie du chrono. Il lui faut un plan d’ensemble qui donne une cohérence au train de réformes déjà engagées et celles à venir. Il s’agit de mettre en perspective le programme d’action du gouvernement. Avec la Note d’orientation, le gouvernement s’est donné l’état de grâce dont l’a privé l’agitation populaire dès son investiture. Mais ne voyant rien venir, l’opinion s’inquiète et le taxe d’immobilisme.
A présent, il lui faut monter au filet. De ce point de vue, la Note d’orientation semble vitale pour Habib Essid, sachant qu’elle l’expose à un double challenge. Il lui faut montrer comment il va s’y prendre pour remettre le pays en marche. Et, dans le même temps, il doit lever le voile sur le nouveau modèle économique. Il y va de son crédit personnel.
Le moment est venu pour lui de dire “Je“, et cela ne peut plus attendre. Il explique qu’il a usé d’un tour de force pour sortir un texte, lequel -en temps normal, aurait maturé deux ans- en presque six mois car il y a urgence. Les partis politiques ne l’entendaient pas de cette oreille.
En effet, les intérêts du chef du gouvernement et ceux des partis ne coïncident pas. Chaque parti cherche à inscrire, dans la Note, son empreinte propre de sorte à s’en prévaloir devant son électorat. Habib Essid, lui, doit sortir un texte cohérent et efficace pour s’en prévaloir devant l’opinion publique dans son ensemble.
Une naissance par césarienne
Sous la pression des partis, l’ouvrage a été remis plusieurs fois sur le métier. Jugeant que le bébé est arrivé à son terme, Habib Essid décide d’opérer une césarienne, selon ses propres propos. C’est lui qui a exigé que la cinquième mouture de la note soit retirée aux joutes politiques interminables lesquelles ont fini par tourner à vide, et lui-même est convaincu que cela n’enrichira pas davantage le texte. Va bien pour l’esprit critique, dira-t-il, car c’est le sel de la démocratie et tant pis pour l’esprit de critique, frondeur et au bout du compte ravageur.
Le temps presse, Habib Essid doit aller au charbon. C’est peut-être la raison pour laquelle il a accepté l’invitation de Ridha Chkoundali, DG du CERES. Il cherche à finaliser un programme concret, pratique et efficace. Et c’est un autre Habib Essid qu’on a découvert au CERES. Il a joué le coup en toute spontanéité face à cette assemblée d’économistes, tous rompus à la macroéconomie, réunis par Ridha Chkoundali.
Il laissera de côté son texte et improvisera totalement son intervention. Belle démonstration d’émancipation en matière de communication que signe le chef du gouvernement. Habib Essid a retrouvé une élocution claire et bien tranchée. Et d’abord, comment va-t-il se servir de l’avis des économistes?
Un verdict sans appel : Aucune trace du nouveau modèle économique dans la Note
Au CERES les économistes sont allés droit au but. La Note ne rompt pas avec le passé. La Note continue à confiner l’Etat dans un rôle d’Etat neutre, comme l’a fait l’ancien régime. C’est le code des investissements de 1993 qui a scellé ce choix castrant l’Etat du droit de réaliser des politiques sectorielles, se contentant de saupoudrer des incitations fiscales aux entreprises exportatrices et celles qui s’implantent dans les régions défavorisées. En pareille configuration, on fait de la croissance, quand c’est possible et pas de développement.
On connaît la suite: des injustices sociales, des déséquilibres entre les régions, du chômage et enfin le 14 janvier. C’est-à-dire qu’on continue à perpétuer un modèle de sous-traitance sans arrimer nos entreprises à la chaîne de valeur internationale et à la stimulation par la concurrence internationale.
Comment ils voient la Note actuelle? Elle contient une série d’objectifs génériques mais cela ne saurait cacher la carence d’une véritable politique sectorielle. Le chef du gouvernement souhaitait un examen de méthodologie. Mais les économistes l’ont rappelé à la nécessité de l’arithmétique. Combien d’emplois à créer? Quel taux de croissance? Quel taux d’inflation et autre solde extérieur? Que seront les déficits et comment les résorber? Comment le chef du gouvernement entend-il se servir de l’avis des économistes?
Le chef du gouvernement est tenu par une obligation de résultats
La Note d’orientation est le premier livrable qui porte, en toute démarcation, l’empreinte de Habib Essid. Cette fresque productive est appelée à impulser une dynamique de refondation économique. Habib Essid a la contrainte d’obtenir un large consensus politique, c’est le caprice de la démocratie. Nous considérons qu’elle doit d’abord et avant tout avoir la bénédiction des investisseurs.
Le chef du gouvernement voudrait qu’elle reste un cadre général. S’il veut séduire les investisseurs, il lui faudra un cadre chiffré. Et comme le lui rappelleront les économistes, tout en étant général, ce cadre doit définir avec précision le rôle de l’Etat mais également ses objectifs et ses attributions en matière économique.
Il n’y a pas de place pour un Etat stratège qui se contente de planifier de loin. Il faut un Etat qui mette la main à la pâte et qui trempe les mains dans le cambouis. Quand l’Etat promet d’insérer les centaines de milliers de chômeurs, il lui faut faire du lobbying à l’étranger et ramener la seule industrie structurante capable de changer la physionomie du pays.
On a laissé, sous l’ancien régime, filer le projet de délocalisation de Renault chez un pays voisin, guère mieux nanti que nous et guère mieux géré. Peugeot avait pris l’engagement de se délocalise en Tunisie en juin 2011, et Said Aidi l’avait annoncé personnellement lors de la cérémonie de présentation du livre de Cyril Grislain. Peugeot a viré de bord chez le même pays voisin.
On a perdu les voitures, ne peut-on se rabattre sur les véhicules industriels? Essayons d’attirer le montage des pick up et des camions. Nous pensons qu’en dehors de l’industrie auto, il n’y aura point de salut. Alentour tout le monde s’excite autour du projet “Tunisia Smart“ et de l’hypothétique conquête de l’espace africain. C’est du léger tout ça, de grâce arrêtons de construire des châteaux en Espagne car le réveil sera dur pour tous.
Mais où sont les “Quick-wins“?
Par ailleurs, cette Note quinquennale est de trop courte visée, elle doit être confortée par une perspective décennale. Le chef du gouvernement pensait en finir avec la Note alors que le travail ne fait que commencer.
Et en fin de parcours, Ridha Chkoundali lui a encore compliqué la mission. A supposer que toutes les rectifications suggérées par les économistes, l’ensemble ne repartira que si la confiance et la sécurité seront de retour. Ce sont là les quick-wins exigés par la communauté des investisseurs.
Habib Essid saura-t-il prendre son rendez-vous avec l’histoire et amener la coalition au pouvoir à doter le pays des conditions essentielles à l’émergence d’un nouveau modèle économique, véritable fenêtre sur l’avenir, pour notre pays? Nous pensons que c’est là le prix à payer pour la durée de son gouvernement.