En poste depuis un peu plus de huit mois, le président Béji Caïd Essebsi affronte, avec l’affaire du projet de loi pour la réconciliation économique et financière, sa première vraie grande crise et le premier test sérieux de sa capacité et, surtout, celle de son équipe, à préparer et à mettre en œuvre une stratégie pour atteindre un objectif auquel, visiblement, la présidence accorde beaucoup d’importance.
Après des «fuites» de son entourage, probablement destinées à préparer les esprits des Tunisiens à ce qui allait s’avérer par la suite un véritable électrochoc, c’est le président de la République lui-même qui s’est chargé de lancer officiellement le processus devant aboutir à la réconciliation nationale recherchée.
Le chef de l’Etat l’a fait dans son discours du 20 mars 2015, à l’occasion de la célébration de la Fête de l’indépendance. BCE y a appelé les Tunisiens à «aller de l’avant dans le sens de la réconciliation nationale, qui garantit le droit de tous et ouvre la voie à la contribution sérieuse à l’édification nationale grâce à la levée de tous les obstacles devant les hommes d’affaires», notamment ceux d’entre eux qui sont privés de leurs passeports et interdits de voyager, «afin qu’ils reprennent leurs activités après les accords nécessaires et les arbitrages des juristes».
Anticipant sur les réactions négatives à son initiative auxquelles il s’attendait sans nul doute, le président avait précisé que la réconciliation ne doit pas se faire aux dépens de la justice: «ceux qui ont commis des crimes et des abus doivent en répondre devant la justice». Il a enfin réitéré son attachement à la justice transitionnelle, tout en formulant le vœu qu’elle «ne se transforme pas en une justice sélective», car «le pays n’est plus en mesure de supporter ni les surenchères ni les rancunes».
Concocté à Carthage, le projet de loi sur la réconciliation économique et financière a été examiné et adopté par le conseil des ministres le 14 juillet 2015 et envoyé dans la foulée à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Mardi 8 septembre, le président de l’ARP, Mohamed Ennaceur, en a annoncé la transmission à la Commission de la législation générale pour examen. Sur fond d’une très grande controverse dans le pays à ce sujet.
La présidence de la République est-elle bien préparée pour défendre son projet, en convaincre les députés de l’ARP et, par- delà, les Tunisiens? A en juger à la lumière du discours jusqu’ici développé, on a l’impression que non. A ce jour, l’équipe du président n’a pas pu développer un argumentaire solide capable de désarmer les critiques des détracteurs du projet de loi de réconciliation économique et financière.
La première intervention en public d’un membre du staff présidentiel, en l’occurrence celle de Ridha Belhaj, a eu pour seul effet de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser davantage l’opposition au projet de loi. Le chef du cabinet présidentiel n’a en effet été guère inspiré en déclarant que l’opposition à cette initiative vient essentiellement de personnes «vaincues» aux dernières élections. Ce qui, en plus d’être maladroit, est, de surcroît, absolument faux pour bon nombre de figures politiques et de la société civile ayant critiqué le texte.
Trois jours plus tard, c’était au tour de Mohamed Taieb Ghozzi d’intervenir sur cette question. Intervenant le 22 août dernier, lors d’un débat sur le sujet organisé par le Centre pour l’étude de l’islam et la démocratie (CSID), le conseiller à la présidence de la République, chargé du suivi des dossiers personnels au département juridique, s’est en effet borné à rappeler le contenu du texte.
Pour «vendre» ce projet aux députés de l’ARP et aux Tunisiens d’une façon générale, il faudra être plus convaincant. Le staff du président a intérêt à préparer des arguments autrement plus convaincants et, surtout, être prêt à accepter une très large refonte du texte. Celle-ci devra concerner à la fois les modalités de mise en œuvre de la réconciliation économique et financière, c’est-à-dire sa gouvernance. Concrètement, il va falloir, en particulier, comme l’ont réclamé des personnalités politiques et de la société civile, trouver une formule qui permette au gouvernement de s’impliquer dans le processus mais sans en exclure l’Instance Vérité et Dignité (IVD), comme c’est le cas dans la version actuelle du texte; mais également introduire beaucoup plus de transparence sur le processus en renonçant au secret dont la présidence semble vouloir l’entourer.