Le projet du nouveau code des investissements en cours de préparation par le ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, pour le moins controversé, a suscité des critiques virulentes de nombre d’experts économiques et même de la part des représentants du parti majoritaire au gouvernement.
Chokri Ben Amara du parti Nidaa estime, alors qu’il s’exprimait sur les ondes de radio Cap FM, samedi 10 octobre 2015, que ce code est inapproprié au contexte actuel par lequel passe la Tunisie et même lourd de conséquences sur les équilibres économiques de notre pays: «Depuis mai dernier, nous n’arrêtons pas d’entendre parler de différentes versions du code mais nous n’avons rien reçu de définitif à ce jour, et pire encore nous ne sommes pas consultés sur les changements, si changements il y a, tout comme nous n’avons pas l’impression que nos observations sont prises en compte alors que ce code est déterminent pour la relance économique du pays».
La Tunisie peut-elle, en l’état actuel des choses, se payer le risque de supprimer le régime totalement exportateur?
«Pour le présent projet du code d’investissement, l’exportation n’est plus un objectif, le régime totalement exportateur -existant depuis plus de 43 ans-, est supprimé; cela va bien au-delà de la taxation à 10% déjà contestée (et qui ne rapportera en 2015 que 65 millions de dinars, chiffre insignifiant au regard des enjeux). Le mot exportation n’a pas été mentionné une seule fois dans ce projet de code. Est-ce normal?»
C’est grâce à la «loi 72», promulguée du temps de feu Hédi Nouira, que la Tunisie a pu attirer les Investissements directs étrangers (IDE) en grand nombre. Ce qui a permis de créer des centaines de milliers d’emplois.
Le FOPRODI, premier fonds d’investissement à capital-risque du monde arabo-africain, a également vu le jour durant les années 70 permettant la création d’un important tissu de PME-PMI. «A chaque fois que l’on demandait la suppression du régime offshore instauré par la loi 72 pour une considération purement idéologique qui est de prôner une politique abolissant toute distorsion des règles du marché, elle a été écartée, car une telle mesure ferait déborder le verre de l’hésitation des entreprises exportatrices à se maintenir en Tunisie», témoigne un ancien ministre figurant parmi les plus brillants du temps de Ben Ali, qui ajoute que «quand on prend une décision de politique économique, on doit toujours le faire au vu de l’appréciation de ses effets positifs et négatifs pour le pays, et ce sans a priori dogmatique. Les répercussions de la suppression du régime offshore en termes de pertes d’emplois se chiffreraient en dizaines de milliers d’emplois». Serait-on en train de jouer à la roulette russe avec le gagne-pain de près de 400.000 employés, soit les 2/3 de l’emploi industriel total? Rien n’urge, estiment les experts. «Il y a tellement d’autres réformes plus urgentes à faire que précisément celle-là, et qui auraient des impacts socioéconomiques et budgétaires d’une toute autre ampleur!»
Un code ultra libéral, la Tunisie en a-t-elle besoin?
Contrairement à l’ancien code qui ciblait les activités productives (agriculture, industrie, NTIC, tourisme), le nouveau code couvre toutes les activités prévues dans la Nomenclature tunisienne des activités sans exception, y compris les Hydrocarbures, mines, services financiers, commerce de distribution … (voir page 18 du document). Ce qui crée un mastodonte juridique.
Yassine Brahim, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, l’avait affirmé, tout récemment, dans une interview qu’il a accordée à WMC.
Lire : Yassine Brahim : «Nous sommes encore un pays non attractif en IDE»
Il plaide dans la Note d’orientation stratégique qui a inspiré les mesures décrétées dans le code des investissements pour «consacrer la liberté d’investir. Les autorisations préalables à l’investissement n’y sont plus mentionnées, même pour les activités de services ou la participation étrangère majoritaire est soumise à l’approbation du CSI (Conseil supérieur de l’investissement). La Note (page 19) précise cependant que ce principe n’est pas absolu et que certaines activités demeurent soumises à la législation en vigueur les régissant prévoyant une autorisation, un cahier des charges ou autres».
Il s’agit, comme précisé par le ministre, des secteurs stratégiques tels ceux énergétiques ou encore financiers dont les risques de dérapages peuvent totalement bouleverser les fondamentaux économiques du pays, ce qui n’est pas précisé avec beaucoup d’exactitude.
En fait, estiment nombre d’économistes, ce code pèche par trop d’ambiguïté!
Trop d’instances mais avec quelle efficience?
Une «Instance tunisienne d’investissement» ayant son siège social à Tunis et des représentations régionales. Le budget de cette instance est rattaché au budget du ministère chargé de l’Investissement qui s’arrogera les prérogatives de toutes les structures existantes actuellement et notamment l’APII, l’APIA, le CEPEX, l’ONTT aux niveaux central et régional.
Lire : Tunisie – Code d’investissement: Création d’un Conseil et d’une agence de l’investissement
Une autre sous forme de Fonds prévue par l’article 17 qui prévoit la création d’une instance publique indépendante dénommée «Fonds tunisien d’investissement» et sera chargée de la gestion des ressources financières allouées à l’exécution de la politique et des stratégies de l’Etat en matière de promotion de l’investissement. Par sa création, elle supprimera les lois portant création du FOPRODI, du FOSDA, du FONAPRA, du FODEC, du FODECCAP et du Fonds de mise à niveau du secteur touristique. «Le nouveau fonds intervient sur la base de programmes annuels arrêtés en fonction des priorités de développement et de l’investissement, à travers l’octroi des primes d’investissement prévues par le code d’investissement, la souscription dans des FCPR, la souscription dans des fonds de garantie et la mise à la disposition des banques de lignes de crédit».
Des instances qui ne répondent pas à un état d’urgence
La création de ces nouvelles instances prévues par le nouveau code d’investissement nécessiterait combien de temps? A-t-on anticipé, s’interrogent les experts économiques rodés aux rouages administratifs du pays, les complications du redéploiement du personnel? Les conflits d’attribution? La dilution des responsabilités? «Le schéma prévisible sera ou une superposition de structures centrales et régionales ou une fusion par absorption des structures existantes par la nouvelle instance. Il faut s’attendre à des problèmes sociaux. Les cultures d’entreprises ne sont pas les mêmes, la gestion des ressources humaines sera le problème numéro un de la nouvelle institution à créer et le restera longtemps et cela sera évidemment au détriment du travail pour lequel cette institution a été créée. Il y aura des problèmes de choix et de désignation de responsables dans chaque service, chaque direction et chaque région».
En conclusion, l’objectif de simplification des procédures et de raccourcissement des délais recherché par le projet du code ne sera pas atteint. Au contraire, on va tout droit vers une complication des procédures et des conflits d’attribution entre les structures d’appui.
«Les mécanismes d’intervention du FOPRODI en faveur des nouveaux promoteurs et de la PME (dotation, participations et primes) ont été supprimés par le projet du code d’investissement. Quels sont les nouveaux mécanismes d’intervention prévus pour l’encouragement des investissements des nouveaux promoteurs et des PME? Il n’y a aucune indication à ce sujet… Quel sera le sort des structures et des mécanismes de mise à niveau? Les fonds et les incitations supprimées seront-ils remplacés? Par quoi et comment?».
Autant de questions que se posent des planificateurs qui ont planché pendant des décennies sur la politique économique du pays et qui estiment qu’il ne s’agit pas d’une réforme mais d’une construction théorique aberrante, impossible à mettre en œuvre.
Lire : Economie: La Tunisie aura son nouveau code de l’investissement avant le 15 mai 2015
Lire : Economie: La Tunisie aura son (nouveau) code d’investissement en novembre
«A se demander pourquoi tout ce chambardement (abrogation du régime offshore, création d’une nouvelle structure d’appui, d’un nouveau fonds……), notamment en cette période de baisse des investissements. Les institutions d’appui et les mécanismes d’incitations sont-ils à ce point irréformables pour faire table rase et reprendre tout à zéro? Ne serait-il pas mieux de capitaliser toute l’expérience acquise et de travailler à:
– optimiser le système d’incitations en fonction des nouvelles orientations du pays,
– améliorer les procédures et les délais de traitement des dossiers,
– donner plus de moyens aux institutions d’appui dans les régions.
Il revient aujourd’hui au ministre, qui détient entre ses mains les rennes de la relance des investissements en Tunisie, du rétablissement de la confiance des opérateurs nationaux et internationaux dans le système et de l’instauration d’un mode de gouvernance simple, transparent et fluide, à répondre à ces interrogations qui deviennent de plus en plus angoissantes alors que la version finale du projet de loi sur l’investissement n’a pas encore été soumise à l’approbation du Conseil des ministres et n’a même pas été adoptée par les équipes économiques des partis au pouvoir.