Le FAMEX III (Fonds d’accès aux marchés extérieurs) vient d’entrer en vigueur au CEPEX. Parmi les priorités du ministère du Commerce, encourager les PME/PMI afin qu’ils puissent participer aux Salons internationaux, relancer les exportations tunisiennes mises à mal ces dernières années à cause de la succession des gouvernements et des changements des ministres.
Le ministère ambitionne également de créer une ligne de produits artisanaux destinés aussi bien au marché local qu’à l’exportation et puisant dans toutes les régions du pays. A la disposition des opérateurs intéressés des mécanismes d’encouragement et de soutien, tels le FAMEX et FOPRODEX.
Entretien avec Ridha Lahouel, ministre du Commerce.
WMC : Etre ministre du Commerce ne se limite pas au contrôle des prix, il y a également la politique et les stratégies commerciales avec les autres pays, la conquête de nouveaux marchés pour la Tunisie et le développement du commerce extérieur. A ce jour, nous avons l’impression que vous avez axé tous vos efforts sur le marché national. Qu’en est-il de vos autres missions?
Ridha Lahouel : Nommé ministre du Commerce depuis le 5 janvier 2015, ma mission principale consistait à baisser les prix et à approvisionner le pays en produits de consommation courante pour éviter toute pénurie. Ceci dans un premier temps. En un deuxième temps, je devais veiller à réduire le déficit commercial de notre pays.
Pour ce qui est du premier point, vous avez certainement remarqué que l’approvisionnement du marché local tout au long du mois de ramadan s’est déroulé de manière normale et il n’y a pas eu de mauvaises surprises à ce niveau. Pareil pour la rentrée scolaire, il n’y a pas eu d’insuffisance ou de défection pour ce qui est des articles scolaires, qu’il s’agisse des livres ou des cahiers. Et nous avons continué sur cette lancée lors de la grande fête religieuse (l’aïd el Kabîr).
Comme vous le savez, il y a eu un approvisionnement normal du marché et la demande a été satisfaire sans aucun recours à l’importation. C’est une première depuis des années, nous avons, par contre, importé de la viande rouge vendue à 17 dinars tunisiens pour le mouton et entre 13 et 15 dinars pour le bœuf.
Vous estimez donc que vous avez réussi votre mission?
Notre voulions protéger le consommateur de tous les abus et d’où qu’ils viennent. Nous y avons travaillé jour et nuit. Les opérations de contrôle ont été continues et illimitées. 600 agents de contrôle économique ont travaillé à longueur de jour sans aucun repos. Notre objectif principal était de réduire le taux d’inflation qui a reculé à 4,2% au mois de juillet, alors qu’il était de 5% au mois de juin. 4,2% est assez sérieux comme indicateur et nous espérons le réduire davantage, mais au moins pour le citoyen, la situation a été normale et il n’y a pas eu de réclamation au niveau des prix.
Quels sont les produits qui ont fait l’objet de grandes opérations de contrôle et où la spéculation a été importante?
Nombre de produits ont été saisis, telles les pommes de terre, les olives, etc. Les zones où il y a le plus grand nombre des contrevenants sont la Manouba, l’Ariana et Nabeul; beaucoup de produits ont été saisis, dont ceux périmés.
Il n’est quand même pas normal que l’on puisse trouver des produits périmés dans les grandes surfaces où il existe une obligation de traçabilité pour tous les produits, notamment alimentaires, qui représentent la principale partie de leur chiffre d’affaires. Que faites-vous pour parer à ces défaillances?
Le développement des grandes surfaces et des hypermarchés dans notre pays visait à parer à l’une des principales préoccupations des consommateurs, à savoir le rapport qualité/prix mais également la qualité des produits ainsi que l’assurance d’une meilleure traçabilité des produits. Pour nous, tout ce qui peut œuvrer à l’information du consommateur sur les ingrédients, les conditions de fabrication, de stockage et de transport des produits qui lui sont destinés est important.
Les grandes surfaces doivent respecter les normes et les standards internationaux en la matière. Il faut qu’elles appliquent les règlementations en vigueur pour ce qui est de la régulation des prix. Ce n’est pas aussi évident que nous le pensons, 87% des prix des produits écoulés sur le marché national sont libres. Il n’empêche, nous avons eu nombre de réunions avec les directeurs des grandes surfaces, nous nous orientons vers une meilleure politique des prix ainsi qu’une traçabilité plus fiable des produits commercialisés dans les hypermarchés et principalement alimentaires.
Que fait l’Office du commerce pour contrôler la qualité des produits tunisiens à l’exportation et ceux étrangers à l’importation?
Il est grand temps de tout revoir à l’Office du commerce. Le service chargé du contrôle technique en matière d’importation et d’exportation doit être réorganisé. Il faut également réviser les systèmes de gestion au niveau des services de douane et ceux du ministère du Transport. Il y a une très grande pression au niveau des quais du port de Radès et le risque que les produits périssent en attendant la levée des conteneurs.
Bien entendu, il faudrait également faciliter la réglementation en matière d’importation. Pour ma part, j’estime que ma responsabilité est importante pour ce qui est du contrôle des produits principalement alimentaires et de consommation courante à leur entrée au pays. Ce que les gens ne savent pas, c’est que même certains tissus et chaussures peuvent être dangereux pour la santé. Il faut par conséquent être très vigilant dès qu’il s’agit de s’approvisionner dans les circuits des marchés parallèles.
Qu’en est-il de la maîtrise du déficit commercial?
Au début du mois d’août 2015, le déficit commercial a baissé de 8,9% à peu près en comparaison avec les 9 premiers mois de 2014. Il était à 17% au départ. La grande récolte de l’huile d’olive et la progression significative de son exportation surtout vers l’Espagne ainsi que la croissance des exportations des dattes ont relativement pallié au recul des exportations du phosphate et des produits phosphatés, dans lesquels nous n’avons pas enregistré d’activités exportatrices au cours de cette année.
Il y a aussi eu une régression au niveau de l’importation de certains produits laquelle, heureusement pour nous, n’a pas été nuisible à la dynamique économique du pays, les PME/PMI n’en ayant pas souffert plus qu’il n’en faut.
Nous sommes plus optimistes pour ce qui est de combler une partie du déficit commercial cette année puisque la production du phosphate a repris et nous espérons avoir de meilleurs résultats et surtout récupérer les marchés que nous avons perdus, telles la Pologne et l’Inde. Nous avons déjà entamé des discussions avec nos partenaires classiques et nous avons déjà eu des accords de principe avec l’Inde, pays demandeur en phosphate tunisien qu’il considère comme concurrentiel au niveau du rapport qualité/prix. La qualité du phosphate tunisien est rarissime de par le monde.
Qu’en est-il du marché des vêtements usagés monopolisés à ce jour par des lobbys qui ne veulent pas laisser les jeunes promoteurs y accéder? Le gouvernement compte-t-il libéraliser ce marché d’autant plus qu’il peut être créateur d’emplois et que les nouveaux opérateurs sont prêts à s’acquitter des taxes que la loi impose? Cela peut donc engranger des rentrées d’argent supplémentaires au budget de l’Etat…
La restructuration du secteur des vêtements usagés aura lieu. Cette activité sera réglementée. Je ne sais pas si vous le savez mais nous avons organisé plusieurs réunions la concernant et le dossier sera soumis au chef du gouvernement. Nous espérons qu’un CMR lui sera consacré et surtout arriver à une formule permettant aux jeunes d’y accéder.
Cela ne se fera pas aisément car nous sommes en butte à deux positions, ceux qui veulent continuer selon le mode de gestion classique du secteur et ceux qui veulent lui offrir d’autres perspectives, l’ouvrir à d’autres acteurs et l’industrialiser encore plus. Je suis dans la logique de la deuxième orientation. Personnellement, j’approuve totalement le principe d’intégrer les jeunes dans le secteur, simplifier les procédures. Un projet doit être soumis dans ce sens au conseil des ministres.
Pour précision, le secteur de la friperie dépend de 5 ministères: Commerce, Intérieur, Industrie, Finances et Affaires sociales. Vous voyez, ce n’est pas une tâche aisée.
Que comptez-vous faire pour lutter contre le commerce parallèle, monsieur le ministre, aujourd’hui qu’il a dépassé les 60%, selon nombre d’experts?
Les dispositions prises dans le cadre de la loi des finances et en premier lieu la baisse des droits de douane sur des milliers de produits sont le meilleur moyen de lutter contre le commerce parallèle.
Il faut aussi lutter contre la contrebande et les mafias qui la dirigent. Si le consommateur peut acheter les produits et les biens de consommation à des prix accessibles, il choisira le circuit formel plutôt que celui parallèle d’autant plus qu’il aura la garantie de la qualité et surtout celle de la santé.
Nous ne pouvons pas évaluer les degrés de dangerosité des produits venus d’ailleurs, et malgré tous nos efforts, il y en a beaucoup qui passent à travers les mailles des filets de contrôle. Donc baisse des droits de douane, simplification des procédures et plus de contrôle permettront de limiter les dégâts et l’impact du commerce parallèle sur l’économie du pays.
Savez-vous que le circuit parallèle de voitures fournit le marché local à hauteur de 60% de ses besoins? C’est trop pour l’Etat et pour les concessionnaires qui opèrent dans le cadre formel et légal. Il y a généralement un cahier de charges qui règlemente le commerce des voitures anciennes et des pièces de rechange. Faites donc un tour dans les kiosques ou dans les ronds-points, vous trouverez une grande activité de vente et d’achat de voitures et même des lieux où l’on vend des pièces de rechanges en toute illégalité.
Dans un secteur déjà codifié, on ne peut opérer que dans des showrooms sous l’égide de concessionnaires offrant un service après-vente et la possibilité de se procurer des pièces de rechange en cas de besoin. Nous comptons bien mettre un terme aux mauvaises pratiques. Nous avons tenu des réunions avec les importateurs des voitures pour mettre au point un cahier de charges rigoureux qui ne permettra plus cette anarchie dans un marché qui devrait figurer parmi les plus organisés.
Il n’y a pas que les voitures qui sont écoulées sur le marché parallèle…
Il y a aussi tous les équipements électroménagers, qui passent par les frontières hors circuits légaux. Nous comptons créer une zone franche à Ben Guerdane pour contrôler le plus efficacement possible le fléau de la contrebande. Nous avons beaucoup avancé sur ce projet, le terrain a déjà été sélectionné, nous avons envoyé une demande au ministère des Domaines de l’Etat pour le réserver. Ce qu’il faut maintenant, c’est tout juste la mise en place du mode de gestion. Il est préférable que cela s’inscrive dans le cadre du partenariat public/privé.
Nous voudrions aussi que les personnes qui vivent de ces activités puissent en profiter mais dans un cadre formel et légal cette fois-ci. Il faut que tout le monde y contribue car il est de notre devoir de lutter contre le fléau du commerce parallèle et des étals et implantations anarchiques.
J’ai été gouverneur à Bizerte, et j’ai travaillé sur les commerces anarchiques, certains résidents ont été acculés à vendre leurs propriétés et déménager. Il n’était pas facile d’y mettre un terme. Aujourd’hui, le gouvernorat de l’Ariana est nettoyé, c’est ce qui vient de se passer dans le souk de Bizerte et ça a marché. Le gouvernorat de l’Ariana sans étals anarchiques, c’est magnifique et un grand Bravo au gouverneur d’y avoir mis fin.
La dynamisation des échanges commerciaux avec l’Algérie permettrait peut-être de limiter le commerce transfrontalier illégal mais il paraît qu’il y a des difficultés à rendre ces échanges plus fluides.
Quand j’ai été nommé au poste de ministre, j’ai relevé qu’il y avait un certain blocage au niveau des échanges commerciaux avec l’Algérie. Il y avait des opérateurs tunisiens qui ne pouvaient pas exporter leurs produits. L’Algérie est un pays ami qui a aussi des problèmes internes qu’il doit gérer surtout après la baisse du prix de pétrole. J’en ai discuté avec mon homologue algérien et nous avons parlé du fait que si blocage de produits il doit y avoir, il ne doit pas concerner les produits tunisiens car notre pays passe par des difficultés et doit être soutenu par son plus proche voisin.
Nos partenaires de toujours ont été compréhensifs, et aujourd’hui, nous coordonnons quotidiennement avec le ministre du Commerce algérien pour faciliter les échanges entre les deux pays. 95% des importations tunisiennes de l’Algérie se rapportent aux hydrocarbures, et en ce qui nous concerne, nous exportons tout genre de produits.
Nous ne pouvons quand même pas ignorer l’affaire Athmani et l’écoulement des produits Rouïba sur le marché tunisien, ce qui a été à l’origine d’un malaise dans les relations tuniso-algériennes.
L’affaire Rouïba a été résolue. Ce qu’on nous demandait était que les produits algériens soient taxés au même niveau que les produits nationaux. La Haute commission mixte tuniso- algérienne se tiendra les 25 et 26 octobre. Nous comptons avancer plus dans les négociations.
Seriez-vous accompagnés par des opérateurs privés lors de votre déplacement en Algérie?
Bien évidemment, nous serons accompagnés par des opérateurs privés, les membres des commissions mixtes et les experts.
Nous avons aussi un projet pour une mission en Iran. Notre délégation sera formée des ministres de l’Industrie, du Tourisme et de l’Artisanat et, bien entendu, j’y participerai en tant que ministre du Commerce.
Pourquoi l’Iran?
J’en ai eu l’idée après avoir vu le président et les membres de la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-iranienne. Je les ai reçus à mon bureau et nous avons discuté des perspectives des échanges avec l’Iran. Suite à cette rencontre et avec l’accord du chef du gouvernement, décision fut prise pour partir en mission en Iran.
Il n’y a pas que l’Iran, nous allons bouger dans toutes les directions. Au mois de décembre se tient le sommet de Nairobi (Kenya), avec pour thème principal : les échanges commerciaux et l’exportation.
Nous avons également entamé les négociations avec l’Union européenne; négociations que nous voulons mener d’égal à égal, et nous ne nous engagerons avec l’UE que dans le cadre de la préservation de nos intérêts nationaux.
L’Europe veut la libération du secteur des services mais nous nous confrontons au problème du visa. Il va falloir le résoudre, la libre circulation des personnes est très importante pour nous, donc nous négocierons sur la base d’égal à égal.
Qu’en est-il du développement des échanges commerciaux avec l’Afrique?
Le président-directeur général du CEPEX (Aziza Hatira, ndlr) a été tout récemment en visite de travail en Côte d’Ivoire pour établir des contacts et chercher des opportunités d’investissements. Ceci étant, si nous réussissons à développer et accroître plus nos échanges avec l’Algérie, de larges possibilités seront offertes aux opérateurs tunisiens. Nous avons toujours eu des relations privilégiées avec notre voisin de l’Ouest.
Nous avons également effectué une visite au Kenya et au Maroc.