Il y a quelques années, le sénateur républicain John McCain n’avait pas hésité à parler d’Apple comme de «l’un des plus grands manipulateurs pour ne pas payer d’impôts.» Alors que le géant américain, plus grosse capitalisation mondiale, doit présenter ses résultats mardi soir, un rapport publié par l’organisation Citizens for Tax Justice révèle que, en 2014, la multinationale détenait une réserve de 181,1 milliards de dollars en dehors des États-Unis, notamment via trois filiales sitées dans des paradis fiscaux. Le groupe de Tim Cook devance General Electric (119 milliards) et Microsoft (108,3 milliards). Au total, selon le rapport, Apple a augmenté de 70 milliards de dollars sa réserve en un an, placée majoritairement en Irlande. Avec ces pratiques, le groupe a échappé à près de 60 milliards de dollars d’impôts et n’aurait payé que 2% d’impôts sur ses bénéfices.
Autre exemple marquant, celui de Microsoft qui possédait une dizaine de filiales dans des paradis fiscaux en 2007, rappelle ce rapport. Aujourd’hui, le groupe n’en annonce que cinq, mais a augmenté ses placements de 7,5 à 108,3 milliards de dollars. La société échappe désormais à 34,5 milliards de dollars d’impôts et n’en paie que 3% dans les paradis fiscaux. Une enquête du Wall Street Journal a montré que 90% de cet argent placé à l’étranger était réinvesti dans des actifs américains comme des bons du Trésor, ce qui permet à l’entreprise d’exploiter la stabilité financière américaine sans avoir à débourser le moindre centime en impôts.
Le constat global est encore plus significatif: entre 2008 et 2014, les 500 groupes américains les plus fortunés ont doublé leurs actifs dans les paradis fiscaux pour atteindre 2100 milliards de dollars au 31 décembre 2014, selon le rapport de Citizens for Tax Justice. Selon les estimations de l’organisation, 358 sociétés seraient concernées par ses pratiques, soit 72% des leaders du marché américain, dont 60% ont au minimum une filiale installée dans les Bermudes ou dans les Îles Caïmans. Dans la majorité du temps, les sociétés n’installent qu’une boîte aux lettres dans ces territoires. Selon l’OCDE, ces pratiques d’optimisation fiscale des multinationales feraient perdre entre 90 et 210 milliards d’euros aux États chaque année, soit entre 4 et 10% des revenus mondiaux de l’impôt sur les sociétés.
Rien qu’aux États-Unis, le rapport estime la fuite à 90 milliards de dollars chaque année. Bien que l’administration Obama a décidé depuis de nombreuses années de s’attaquer à ces pratiques, la puissance des lobbys permet encore à ce jour de faire pression pour bloquer toute action législative.
De son côté, la Commission européenne commence doucement à passer à la répression, un an après la révélation du scandale LuxLeaks. Le 21 octobre dernier, Bruxelles a mis à l’amende Fiat Finance and Trade, basée au Luxembourg, et Starbucks, domiciliée aux Pays-Bas. De premiers grains de sable dans le gigantesque système interne au sein des multinationales, notamment via le montage des «ruling tax»: un schéma qui permet, via les filiales d’un même groupe, de minimiser les impôts.
AFP