La baisse de 50 points de base du taux directeur par la Banque centrale de Tunisie passant ainsi de 4,75% à 4,25% est une décision de politique monétaire importante, sage et somme toute normale…mais incomplète. Bref, il n’y a pas de quoi fouetter un chat.
Il s’agit du non évènement de l’année. Oui, un non évènement car on ne doit pas faire les choses à moitié. S’occuper de l’offre de monnaie en abaissant les taux (BCT) n’aura d’effet que si la demande de monnaie (entreprise) est prête à saisir cette opportunité pour investir. Qui va prendre cette monnaie et pourquoi faire dans un contexte aussi incertain?
Pour saisir les enjeux de cette baisse, il faut la considérer par rapport au contexte international puis par rapport à l’environnement tunisien.
La Tunisie suit une tendance mondiale à l’assouplissement monétaire
La Tunisie ne fait que suivre une tendance mondiale à la baisse. Mais comparé au contexte mondial, cette baisse vient avec beaucoup de retard. Face à l’atonie de la croissance mondiale, les taux mondiaux ont partout baissé depuis au moins un an pour certaines Banques centrales, exceptée en Russie et au Brésil où l’inflation avoisine les 14%. Les taux (nominaux) sont même négatifs en Suède et en Suisse (respectivement -0,25% et 0,5%). Ils sont proches de zéro pour presque une dizaine de pays industriels. Ils sont de 0,05% pour le BCE (Europe) et 0,72% pour la FED (Etats-Unis).
Face à la faible croissance et à la faible inflation certaines Banques centrale ont même usées d’instruments monétaires non conventionnels. C’est ce qu’on appelle le «Quantitative Easing». Cette aisance monétaire dont la FED est devenue un champion –elle en est à son troisième «Q»- consiste à injecter de la liquidité dans l’économie presque en toute impunité. L’objectif est de refaire partir la machine économique «à tout prix». Offrir de l’argent aux investisseurs, tel est le credo de cette politique monétaire non conventionnelle. La BCE a tenté cette expérience cette année mais sans grande conviction car Monsieur DRAGHI –gouverneur de la BCE- n’a pas les coudées aussi franches que Madame YELLEN –présidente de la FED-, l’euro demeurant une monnaie périphérique comparé au dollar. Monsieur AYARI n’en est pas là. Il se cantonne aux instruments conventionnels: une simple et bonne baisse du taux directeur.
Une condition séduisante mais pas suffisante
Les économistes devraient se réjouir de cette baisse. Car toutes choses égales par ailleurs, elle devrait conduire, dans un contexte normal, à un retour des investissements. Mais nous ne sommes pas hélas dans le monde des «Bisounours». Les chefs d’entreprises s’appuient certes sur le taux d’intérêt dans leur décision d’investissement mais pas seulement. Ils sont sensibles aussi au climat des affaires. Rien n’est moins sûr que cette stratégie marche pour les raisons que l’on connaît bien et que les experts de tous poils répètent à longueur de journée dans tous les medias tunisiens: retour de la sécurité, de la confiance, de la bonne gouvernance…
Une baisse des taux dans le contexte actuel tunisien est donc une condition nécessaire mais pas suffisante pour renouer avec la croissance. La fonction demande de monnaie (demande de crédit pour l’investissement) est mal en point en Tunisie. Elle risque de ne pas aller mieux avec les perspectives d’une croissance du PIB proche de zéro et d’une croissance négative de la production industrielle. Sans parler de l’impact potentiellement négatif sur l’épargne de cette baisse du taux directeur.
Mais il y a peut-être une autre façon de voir les choses
La BCT ne serait-elle pas en train de nous préparer une thérapie de choc mais progressive pour favoriser la reprise de l’activité en Tunisie? Cette simple baisse de 50 points de base n’étant pas suffisante c’est peut-être juste l’annonce d’une seconde baisse prochaine du taux directeur à laquelle il faut s’attendre.
Une chose est sûre, la BCT fait ce qu’elle peut.
*Université de Lille – SKEMA Business School