«Ce prix est venu au bon moment». C’est en ces termes que Hassine Abassi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a réagi à chaud à l’annonce de l’attribution au quartet du prix Nobel de la paix 2015 par la Svenska Akademien, l’Académie suédoise qui désigne tous les ans le récipiendaire du Nobel peace prize.
L’initiateur du dialogue national et membre du quatuor constitué de l’UGTT, l’UTICA, la LTDH et l’Ordre des avocats, ne pouvait pas si bien dire au regard des nouvelles menaces qui pèsent sur la Tunisie.
Au nombre de celles-ci, figurent le terrorisme, la résurgence du népotisme, la pauvreté, le chômage, la persistance des inégalités et des disparités régionales, et surtout la tendance fâcheuse du pouvoir à promulguer des lois scélérates visant à blanchir la corruption, s’agissant, ici, de la loi sur la réconciliation économique et financière initiée, unilatéralement et sans aucune concertation, par l’actuel président de la République.
Les menaces demeurent au nom de la légalité
Cette loi, pour peu qu’elle soit adoptée par le Parlement au nom de la légalité, risque de diviser le pays et de nous ramener à la période du mois d’août 2013, période au cours de laquelle le pays était menacé de guerre civile en raison des attentats politiques et du laxisme de la Troïka de l’époque vis-à-vis du terrorisme et de la contrebande. Et là aussi c’était au nom de la légalité.
Si rien n’est fait pour retirer ce texte, du moins pour le renégocier, le pays risque de traverser de nouvelles zones de turbulences. Le quartet, récipiendaire du Prix Nobel de la paix 2015 qui a eu le mérite d’encadrer, durant 56 réunions de 166 heures, les négociations entre 22 partis politiques et de mettre en orbite la jeune démocratie tunisienne avec comme corollaires l’adoption d’une Constitution et l’organisation avec succès d’élections générales, a toutes les chances de reprendre service avec en prime, cette fois-ci, une reconnaissance mondiale et un appui politique international de taille.
C’est dans cette perspective que la déclaration à chaud de Hassine Abassi, «ce prix vient au bon moment», me semble prendre sa pleine signification.
Le prix Nobel de la paix 2015 a ainsi pour sous-titres, certes un appui international pour la société civile tunisienne, mais surtout un rappel à l’ordre des alliés au pouvoir actuel, en l’occurrence les partis majoritaires au Parlement (Nidaa Tounès et Ennahdha -155 sièges sur un total de 217), lesquels devraient s’interdire d’adopter des lois impopulaires et d’omettre ce qui fait la spécificité tunisienne: la culture du consensus.
Le prix Nobel de la paix, un prix politique
Est-ce nécessaire de rappeler que le prix Nobel de la paix est un prix éminemment politique. Selon son initiateur, Alfred Nobel, ce prix récompense «la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix».
Pour le cas du prix Nobel de la paix 2015, il vient récompenser les quatre grosses pointures de la société civile tunisienne pour leur démarche politique et pour leur exploit d’avoir balisé une nouvelle voie favorisant une coexistence pacifique possible et pérenne entre des Tunisiens laïcs et islamistes, avec, toutefois, cette grande nuance: les Nobel semblent donner l’avantage aux laïcs en ce sens où ces derniers croient par définition à la liberté de conscience et à la liberté du culte alors que les islamistes sont plutôt pour l’exclusion.
Cette thèse est défendable en ce sens où les 136 organisations de la société civile tunisienne qui ont proposé, au mois de janvier dernier, la candidature du quartet pour l’obtention du Prix Nobel de la paix 2015, sont toutes laïques.
Une nouvelle voie est désormais balisée
Moralité: l’attribution du prix Nobel de la paix au quartet peut être interprétée comme un hymne à la laïcité tunisienne véhiculée non pas par les pouvoirs politiques enclins, génétiquement, à commettre tous les crimes au nom de la légalité, mais par une société civile dynamique, vigilante et combative.
Cela pour dire que ce prix intervient au bon moment. Il constitue un nouveau point de départ pour la relance de la jeune démocratie tunisienne, une mise en garde contre tout retour aux dictatures au nom de la légalité, et surtout une importante étape sur la voie de la séparation du politique de la religion. L’enjeu demeure, néanmoins, de conférer à cette distinction -non quantifiable- plus de visibilité, de la valoriser et de l’enraciner chez les jeunes générations. Tout un programme pour les agences de communication en attendant la remise du prix le 10 décembre prochain par le roi de Suède au quartet.