En 1990, à l’issue de trois mandats successifs à la tête de la Ligue des Etats arabes, Pr Chedly Klibi a jeté l’éponge pour n’avoir pu réformer l’organisation et son mode de gouvernance. Toutefois, il ne lâche pas prise et continue son combat.
Il y a plus de bougies que de gâteau, avait ironisé Ronald Reagan, à l’occasion de son anniversaire indiquant par-là qu’il avançait dans l’âge. Cette même boutade pourrait valoir pour la Ligue des Etats arabes, laquelle accumule les bougies et les déboires. La voilà qui se présente, avec un maigre bilan, pour célébrer ses 70 ans d’exercice. Et c’est dans le cadre de cet anniversaire que l’Organisation a honoré le Pr Chedly Klibi, son ancien secrétaire général de 1979 à 1990.
Dans son mot d’introduction, l’ancien SG constatait avec amertume que la Ligue a failli, dans l’ensemble, à sa mission qui consistait à donner une ligne de conduite défendable du point de vue du droit international et de l’histoire, à l’ensemble des pays arabes. Il observe que la voix des Arabes ne porte pas loin sur la scène internationale allant jusqu’à se demander si à l’heure actuelle, les arabes peuvent constituer une nation.
Faut-il passer la Ligue des Etats arabe par pertes et profits?
Le sort de la Ligue? Il ne s’en lave pas les mains
Pr Chedly Klibi est arrivé en politique, conquis par la voie bourguibienne. Et c’est par Bourguiba, après un brillant passage au ministère de la Culture, qu’il sera propulsé dans la haute diplomatie, en 1979 à la tête de la Ligue des Etats arabes. Celle-ci venait de se délocaliser du Caire -son siège originel- à Tunis. C’était à la suite d’une punition unanime infligée par les Etats arabes à l’Egypte pour avoir normalisé avec Israël dans le cadre des accords de Camp David.
Pr Chedly Klibi voulait rompre avec les années de braise où la Ligue, sous hégémonie de l’Egypte, portait les œillères du Nassérisme et du nationalisme arabe. Le moment dictait l’esprit de concertation entre Etats au sein de la Ligue, de sorte à ce que les décisions de l’Organisation soient empreintes de consensus. En somme, la voie bourguibienne.
Les deux doctrines sont opposées dans leur façon de gérer les conflits internationaux. La première est un va-t’en guerre. La seconde, lucide, recourt aux voies de la légalité internationale.
Quand bien même il a quitté la barre, pour n’avoir pas discipliné la gouvernance de l’Organisation, Pr Chedly Klibi n’en continue pas moins, par l’engagement intellectuel, à militer en faveur d’une cohésion arabe dont il ne désespère pas.
Faut-il couler la Ligue?
L’Organisation a eu un parcours chaotique. Il faut dire qu’elle est née par miracle. C’est Anthony Eden, Premier ministre anglais qui en avait suggéré la création en 1943. Elle vit le jour en 1945 en même temps que l’ONU. Elle fut mise sur pied alors que seuls la Syrie et le Liban étaient indépendants, ce qui l’a obligée à fonctionner avec un quorum minimal. Les Etats arabes, encore colonisés, souhaitaient l’utiliser comme leur fer de lance sur la scène internationale pour faire avancer leur lutte pour l’indépendance. Mais l’Organisation fut rapidement happée par le conflit israélo-arabe dès 1948, tournant le dos aux mouvements de lutte pour l’indépendance.
Se réfugiant dans le déni d’Israël, elle fit rater à la partie palestinienne l’occasion de créer son propre Etat. Plus tard, elle ne sut pas prendre en mains l’invasion de l’Irak par l’Amérique en 2003. Trop axée sur la politique, elle a négligé le développement des économies arabes, retardant leur insertion dans la scène internationale. Mais au bout du compte, l’organisation est-elle ce fruit mûr qui va lui-même précipiter sa chute?
La reconversion à la real politique
La Ligue des Etats arabes aura eu un avantage minime mais déterminant, celui de prouver qu’elle ne peut se faire sur la simple appartenance ethnique. A présent, les Arabes cherchent à s’inscrire dans des alliances politiques cohérentes dictées par la convergence des intérêts régionaux.
L’Organisation semble rapprocher le monde arabe de son environnement méditerranéen et de son voisinage africain, qui sont ses milieux naturels. Et en l’occurrence, elle peut susciter une autre dynamique de real politique. De toute façon, c’est par son obsession belliqueuse qu’elle a aidé la résistance palestinienne à se prendre en mains et à arriver à la solution de “la terre contre la paix“, qui recueille un large consensus international et qui semble imparable.
Réussira-t-elle, à l’heure actuelle qu’elle est en conflit avec Daech, à rallier ses voisins méditerranéens et africains à faire cause commune contre l’EI (Etat islamique)? Nous pensons que c’est le prix de sa survie.