Au commencement des révélations faites, sur une chaîne de télévision privée, par deux avocats. Le premier, Imed Ben Halima, avait tenu un discours réducteur, accusateur et dévalorisant à l’endroit de l’armée nationale et du rôle négatif qu’elle aurait joué avant et après le soulèvement du 14 Janvier 2011. Le second, Mounir Ben Salha, avait déclaré que le soulèvement du 14 Janvier 2011 était loin d’être une révolution et que c’était tout juste un coup d’Etat «aérien» dans la mesure où l’ancien président déchu a été poussé à prendre l’avion et à quitter le pays. Pour lui, sans les nommer, les auteurs de ce coup d’Etat étaient au nombre de quatre. Il s’agirait probablement du Général Rachid Ammar, Mohamed Ghannouchi (Premier ministre), Ridha Grira (ministre de la Défense) et Ahmed Friaa (ministre de l’Intérieur).
Une semaine après ces déclarations, le Général Ammar, qui avait encadré le soulèvement du 14 Janvier 2011 jusqu’à l’organisation, le 23 octobre 2011, des élections de l’Assemblée constitutive et sa démission le 24 juin 2013, décide de sortir de son silence et de faire à son tour des révélations troublantes qui ont suscité de vives polémiques.
Le Général aurait été sollicité pour prendre le pouvoir
Intervenant le 5 novembre à l’émission “Al Yaoum Etthamen“ (le 8ème jour), le Général s’est inscrit en faux contre les propos de Imed Ben Halima et révélé que durant la période du soulèvement -qui va du 17 décembre au 8 mai 2011-, 337 victimes sont tombées dont 86 prisonniers, 14 agents de sécurité et 5 militaires. Il a reconnu que l’armée est responsable du décès de 32 personnes, pendant la période du couvre-feu sous l’état d’urgence.
Quant aux révélations de l’avocat Mounir Ben Salha, le Général Rachid Ammar n’a pas daigné ni les infirmer ni les confirmer. Il a préféré parler d’autres choses. Il a révélé que le 14 Janvier 2011, le trio civil qui était au pouvoir après le départ de Ben Ali -en l’occurrence Mohamed Ghannouchi, Ridha Grira et Ahmed Friaa- avait demandé à l’armée nationale de prendre le pouvoir pour barrer la route aux islamistes.
Il a ajouté qu’il avait refusé catégoriquement cette proposition et préféré voir le pays s’engager dans un processus démocratique irréversible. «Une sage décision dont on récolte aujourd’hui les fruits, et ce comparativement avec des autres pays qui ont connu des soulèvements similaires», a-t-il dit.
Le Général désavoué par d’anciens membres du Conseil de la sécurité
Réagissant à chaud à cette révélation du Général, l’ancien ministre de l’Intérieur, Ahmed Friaa, a désavoué l’ex-chef d’Etat-major des armées (CEMA). Pour lui, la réunion dont parle le général, à savoir celle du Conseil supérieur de la sécurité nationale, a été consacrée à discuter des articles 56 et 57 de l’ancienne Constitution et à convaincre Foued Mebazaa à assumer ses responsabilités à la tête du pays.
Lui emboîtant le pas le lendemain, l’ancien Premier ministre Mohammed Ghannouchi a contredit le Général et déclaré « qu’à aucun moment la réunion n’a porté sur une quelconque prise du pouvoir par l’armée».
Ghannouchi, qui intervenait sur les ondes de Radio Mosaïque, a révélé que Rachid Ammar était parmi les personnes présentes lors de cette réunion avec les ministres de la Défense, de l’Intérieur et le général Ahmed Chabir, ainsi que d’autres responsables sécuritaires.
Selon lui, cette réunion a été consacrée à l’examen de deux points. L’adaptation au nouveau contexte des articles 56 et 57 de la Constitution et la situation sécuritaire dans le pays.
Abstraction faite des révélations des uns et des démentis des autres, deux questions s’imposent.
D’abord, pourquoi, c’est un général à la retraite qui parle au nom du ministère de la Défense qui dispose de toutes les données sur cette période de notre Histoire et surtout d’un porte-parole officiel, Belhassen Oueslati?
Ensuite, pourquoi le Général Ammar hésite-t-il jusque-là, à révéler au public tout ce qu’il sait sur cette période?
Enfin, jusqu’à quand le Général va passer son temps à répondre aux allégations de ses adversaires?
Le Général Rachid Ammar serait-il la seule boîte noire?
Est-il besoin de rappeler que le Général Ammar a été, constamment, critiqué par des officiers de l’armée et des hommes politiques.
Le général Ahmed Chabir avait affirmé, dans l’émission ”Pour qui ose seulement“ sur la chaîne El Hiwar Ettounsi que «le général Ammar n’avait rien d’un révolutionnaire. «Il ne pouvait, d’après lui, rien refuser à l’ex-président Ben Ali et qu’il aurait même pu «brûler le pays» si ce dernier le lui avait demandé» avant d’ajouter que «Ben Ali n’a jamais donné des instructions en ce sens à l’armée nationale» et que le départ de Ben Ali a été précipité par un coup d’Etat fomenté par des parties tunisiennes avec l’appui d’une force étrangère, sans donner plus de précisions.
Mohamed Abbou, président du Courant Démocratique, avait critiqué sévèrement la démission du Général Rachid Ammar, le rendement de ce dernier et demandé son limogeage, ce qui fut fait d’ailleurs: «Il n’est pas logique, a-t-il-dit, qu’un responsable puisse garder son poste alors qu’il a échoué dans sa mission. Le nouveau promu devra donner un nouveau souffle à l’institution militaire».
Et la liste des critiques est longue. Une évidence: trop de zones d’ombre entachent le rôle qu’avait joué le Général durant la période du soulèvement et méritent d’être éclaircies.
Et c’est au Général Ammar de le faire à moins qu’il continue à se complaire dans son rôle d’éventuelle «éternelle boîte noire du soulèvement du 14 janvier 2011» ou à attendre, comme il l’avait dit dans une interview au journal Etttounsia, «le bon moment pour le faire». «Quand ils auront tous vidé leur sac, je parlerai», a-t-il promis.
Néanmoins, le Général risque d’être doublé par Ridha Grira qui avait révélé, en prison, à Zouheir Makhlouf, membre de l’Instance Vérité et Dignité, qu’il détenait lui aussi des secrets, que les documents y afférents sont bien protégés à l’étranger et qu’ils ne seront dévoilés au public qu‘après sa mort. Une course contre la montre en vue. Sans commentaire!