«Je n’ai pas peur des grèves, si la centrale ouvrière le décide, qu’il en soit ainsi». C’est Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA qui a fait cette déclaration sur une chaîne de télévision privée, en réaction aux interrogations persistantes de l’animateur pour ce qui est de l’évolution des négociations sociales. La question qu’il posait et reposait était: «Et si l’UGTT allait jusqu’aux grèves, comment réagiriez-vous?»
Rappelons que la démarche de la présidente de l’UTICA était conciliante et qu’elle parlait du dialogue social avec une note optimiste. Le journaliste avait poussé le bouchon trop loin cherchant le buzz et Madame Bouchamaoui a dû intervenir pour clarifier: «le droit à la grève est un droit constitutionnel et si l’UGTT y recourt, personne ne pourrait l’en empêcher».
L’UGTT a commencé à battre les tambours de la guerre rappelant bien entendu et comme d’habitude l’histoire victorieuse de la centrale ouvrière et son rôle dans l’indépendance du pays ainsi que celui qu’elle a assuré pour protéger les masses laborieuses et soutenir les combats pour la liberté et la démocratie. Un disque rayé, reconnaissons-le. Les enjeux pour le pays sont beaucoup plus importants que les egos des uns et des autres et les temps des slogans «nous sommes la voix du peuple» et «nous sommes les plus forts» sont révolus. Le salut du peuple aujourd’hui se trouve dans le choix du dialogue constructif entre les deux centrales patronale et ouvrière et surtout dans le rétablissement des valeurs travail et productivité. Et puis il y a le prix Nobel qui devrait être reçu par le quartet au mois de décembre prochain à Oslo. Comment ceux qui n’ont pas réussi à faire la paix entre eux sur une question fondamentale telle que celle des négociations salariales peuvent-ils envisager d’y aller quand il y a péril en la demeure?
Aucun pays au monde n’a construit une démocratie sans sacrifices. Des fois, c’est des vies, d’autres, c’est un bouleversement politique qui a des répercussions socioéconomiques. Une logique que n’admet pas, depuis 2011, la sacrosainte centrale ouvrière inattaquable, irréprochable, parfaite, presque sacrée et omniprésente. Rien ne se fait sans son assentiment, sinon ce sont des menaces qui fusent depuis le bureau exécutif jusqu’aux bureaux régionaux pour mettre au pas autorités publiques et opérateurs privés. Personne ne s’indigne lorsque les secrétaires généraux adjoints de l’UGTT menacent de grèves, de représailles ou de sit-in, et parmi eux, il y en a qui vont jusqu’aux insultes. Quand vous critiquez, des «chuts chuts» fusent de partout pour vous intimer au silence.
Dans la Tunisie post 14 Janvier 2011, tout est permis sauf émettre la moindre critique à l’un des représentants du Vatican tunisien: l’UGTT. Ils sont les plus forts, du moins, ils le croient. Ils ont une niche populaire qu’ils sont en train de perdre sans même s’en rendre compte. Arrogance quand tu nous tiens!
«La loi des plus forts est toujours la meilleure»
Au lieu de tout faire pour préserver les emplois, on dépense toutes nos énergies à satisfaire aux egos des uns et des autres. Conséquences de la loi du plus fort: des milliers d’emplois qu’on a perdus depuis 2011; rien que pendant les 8 premiers mois de 2015, ce sont plus de 14.000 chômeurs de plus licenciés par des entreprises en difficultés ou qui ont carrément disparu dans la nature. Et une image du site Tunisie ternie pour des décennies chez les investisseurs étrangers.
Un exemple fort édifiant: JAL qui a décidé de fermer ses portes en juillet 2013 suite certes à des difficultés financières mais surtout à la pression sociale. Les syndicats ont attisé les tensions et les travailleurs galvanisés par les discours incendiaires d’une avocate défenseur des droits de l’Homme ont suivi le mouvement.
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Khalil Ghariani, chargé du dossier social à l’UTICA, expliquait à l’époque: «Les motifs de départ ne se limitent pas uniquement aux conflits dans l’entreprise, le groupe perdait de l’argent depuis quelques années mais la pression sociale a porté le coup de grâce. Résultat: 4000 emplois de supprimés. Mais qui en a cure? Tant qu’à la Centrale ouvrière, on peut «mettre à terre les chefs d’entreprise», «vampires et suceurs de sang», ce n’est pas grave, après tout, on défend les «prolétaires», qui se retrouvent rapidement chômeurs. Une dame qui travaillait à JAL témoigne: «Je regrette ce qui s’est passé, je ferais tout pour retrouver mon travail et avoir les moyens de nourrir mes enfants».
Le secrétaire général de l’UGTT chargé du secteur privé qu’on prévenait des risques de chômage qu’il pouvait faire encourir aux travailleurs en plaçant la barre trop haut, lors des négociations sociales, aurait réagi en disant: «après tout, cela ne fera aucune différence, les travailleurs ont déjà faim, il n’y aura pas de grandes différences pour eux». Soutenu, par souci de corporatisme et le principe de «Onsor Akhaka dhaliman aw madhlouman» (Sois avec ton frère dans l’erreur ou dans la droiture) par ses confrères du BE de l’UGTT, il s’autorise tout. Que pèse la Tunisie dans la balance de l’allégeance à une organisation aussi noble soit-elle? Dans l’état actuel, rien et plus encore la noblesse d’une organisation, quels que soient son histoire et son historique, ne valent que par ses dirigeants. Malheureusement l’exercice d’une partie des dirigeants actuels de l’UGTT n’est pas pour préserver le positionnement d’une centrale ouvrière racée et qui a toujours été considérée comme le symbole du patriotisme jusqu’à ce que…
La paix sociale a un prix qu’il faut payer…
Face au monopole du travail syndicaliste par l’UGTT, nous trouvons d’autres syndicats plus «compréhensifs» par rapport à la situation de crise que traverse le pays. Ainsi, la CGTT publiait le 30 mars 2015 un communiqué où il était révélé «qu’elle dénonçait la détérioration du pouvoir d’achat des travailleurs (euses) et des couches sociales vulnérables…». Mais qu’elle considérait toutefois qu’une augmentation aléatoire des salaires n’empêchera pas cette détérioration à moins que le gouvernement n’y remédie à travers des négociations sociales globales et responsables auxquelles prendront part toutes les organisations syndicales sans exclusion pour éviter au pays l’inflation et l’endettement extérieur.
Pour la CGTT, tout doit non seulement passer par les négociations mais par une révision du code du travail, par la lutte contre l’inflation, une réforme fiscale et une amélioration des services sociaux dispensés aux salariés, secteurs privé et public confondus. Une logique qui n’a pas été suivie par le gouvernement et qui met aujourd’hui le pays en grandes difficultés sur le plan budgétaire.
Pour Ammar El Youmbaï, ministre des Affaires sociales, la paix sociale a un prix. Mais lequel? Serait-ce celui de la cession de l’hypothèque des biens de l’Etat titrisés sous forme de Sukuks islamiques?
Alors qu’il fallait neutraliser les prix par une politique plus coercitive pénalisant les pratiques des trafiquants, spéculateurs et divers intermédiaires, l’Etat a cédé comme toujours et aujourd’hui, c’est au secteur privé de céder. Augmenter les salaires, quoi de plus évident lorsque l’Etat a été précurseur? Mais peut-être que ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont les menaces, les chantages aux grèves, les déclarations pompeuses à propos de la «persécution et de l’exploitation des travailleurs» qui ne sont plus de mise dans un pays qui court à la dérive et l’exigence d’une augmentation des salaires à hauteur de 15%.
La Tunisie a perdu sa position de site compétitif face à des pays comme l’Estonie, la Hongrie, la Macédoine, l’Estonie et d’autres européens sans parler du Maroc, de l’Ethiopie, du Bangladesh, de l’Indonésie et d’autres. Mais dans les pays que nous venons de citer, les syndicats ne font pas la loi, ce sont les intérêts du pays qui prévalent.
Quant à l’UGTT, elle commence, quoiqu’on en pense, à perdre sa place privilégiée et sacrée dans la société tunisienne ainsi qu’une partie importante de ses partisans. Parmi eux, il y en a qui reconnaissent que l’organisation est en train de virer de bord mais n’osent pas le dire à haute voix. Nous l’avons écrit plus haut: on ne touche pas au Vatican des travailleurs en Tunisie.
Suite à la diffusion du communiqué de l’UTICA mardi 10 novembre, surprise par le report de Noureddine Tabboubi, secrétaire général adjoint de l’UGTT de la réunion prévue ce mercredi entre les deux organisations, le lecteur d’un journal électronique a commenté: «Après la dictature du président, nous voilà avec la dictature du peuple ou plutôt d’un syndicat. Un syndicat qui n’a jamais parlé de la valeur du travail ou incité et encouragé les travailleurs à respecter les horaires de travail, à assurer une qualité de travail et un bon rendement et surtout respecter la hiérarchie».
Rien à ajouter !