Négociations sur l’ALECA : Laura Baeza tire à boulets rouges sur la presse tunisienne

C’est l’histoire d’un couac inédit. L’ambassadeur de l’Union européenne met la presse tunisienne à l’index. Le motif en est simple: la presse tunisienne considère que l’ALECA, sous sa forme actuelle, ne sera pas tout à fait un accord “gagnant-gagnant“.

Depuis Albert London, on sait que lorsque “la presse met la plume dans la plaie, là où ça fait mal“, elle est dans son rôle. Merci à la presse tunisienne de faire son métier.

laura-baeza-01-680.jpg

Laura Baeza, ambassadeur de l’UE en Tunisie, ne décolère pas contre la presse tunisienne. Qu’est-ce qui suscite l’ire de la diplomate? La presse tunisienne parlerait de l’ALECA sous un angle idéologique, parfois populiste et jamais de manière sereine et objective, détone Laura Baeza.

Elle a dézingué la profession, publiquement, à deux reprises. Une première fois, mardi 10 courant chez CERES, devant une assemblée d’économistes et de chercheurs. Et, la seconde, vendredi 13, lors du séminaire conjoint des Chambres mixtes de commerce et d’industrie de France, d’Allemagne, d’Italie et de Grande-Bretagne.

En réalité, la profession n’a fait que relayer l’appréciation plutôt mitigée, quant au bilan de l’accord de libre-échange de 1995. De même qu’elle se fait l’écho du large sentiment de crainte quant aux perspectives de l’ALECA. Il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat, à ce qu’on sache.

La presse dit oui à l’ALECA sous réserve de mieux négocier qu’en 1995.

L’élément nouveau dans le débat actuel vient de l’irruption de la société civile qui s’invite, avec droit et fracas, sur la scène publique. Et la société civile tient des propos qui n’ont été ni démentis ni contestés. Au rendez-vous du CERES, l’assistance évoquait des erreurs flagrantes des négociateurs de 1995, qui auraient pêché par précipitation. Et les responsables de l’administration, présents ce jour-là, ont encaissé le coup.

Le Maroc, qui a signé après nous, aurait profité de nos erreurs et a obtenu plus d’avantages que la Tunisie.

Au bout du compte, on peut considérer que la tonalité des articles de presse est critique. Mais l’ensemble des confrères ne sont pas dans le déni. Une nette majorité se forme en faveur de l’accord. La seule précaution est qu’il faut mieux négocier. On ne voit pas comment on peut s’offusquer de cette consigne.

L’ALECA, cheval de Troie des multinationales européennes…?

Certains confrères ont vu dans l’ALECA un subterfuge qui  camoufle l’assaut des grands groupes européens sur le marché tunisien. Là, il convient de relativiser. La presse ne dit pas expressément que les partenaires européens travaillent à la perte des entreprises tunisiennes. Mais il faut admettre qu’il y aura de la casse comme avec l’accord de 1995 où plusieurs centaines d’entreprises ont tout simplement été rayées de la carte.

Qu’est-ce qui nourrit ce sentiment de frayeur chez les observateurs tunisiens? C’est tout simplement l’asymétrie de standing entre les opérateurs des deux parties. Elles sont appelées à commercer ensemble, sans être à armes égales. C’est là une réalité tangible. Il se trouve que cette affirmation irrite l’ambassadeur et chef de la Délégation de l’Union européenne.

Mettons-nous, un instant, dans la peau de l’oléiculteur tunisien qui doit traiter, à conditions égales, avec le géant des oléagineux qu’est Unilever. Face à Kraft foods ou à Ferruzz, les fragiles PME tunisiennes peuvent, légitimement, avoir la peur au ventre. Et, c’est bien compréhensible.

L’ALECA déboucherait-elle sur une recolonisation économique de la Tunisie? C’est bien entendu, une attitude extrême, disons maximaliste. Laura Baeza fulmine contre cette attitude. Elle soutient que les multinationales européennes ne convoitent pas particulièrement le petit marché tunisien. Le propos ne résiste pas à la critique. Les mètres linéaires de la grande distribution tunisienne regorgent de produits européens. A titre d’exemple, le camembert français se vend à un prix très proche de son similaire tunisien. Qu’on le détaxe et on dira adieu au camembert local. Si donc on agite l’épouvantail de la recolonisation, c’est pour appeler les opérateurs locaux à négocier âprement car il s’agit de leur survie. Il n’y a pas à proprement parler une intention provocatrice ni malveillante de la part des confrères. Le pire n’est jamais sûr, dit la sagesse populaire, mais la raison recommande que l’on s’y prépare.  C’est donc un appel à précaution qu’une intention provocatrice ou malveillante.

Pour notre part, nous observons que le propos de l’ambassadeur n’est pas tout à fait diplomatique. Onze millions de consommateurs, c’est la dimension du marché belge, néerlandais ou irlandais. Il faut avoir une juste vision des choses.

Suivre l’exemple de l’Espagne…?

L’ambassadeur tempête contre la “frilosité“ de la société civile tunisienne. Et elle cite l’expérience de son pays natal, l’Espagne, qui s’est engagée dans l’UE avec courage et détermination. L’Espagne a délibérément cédé sa grande distribution, selon Laura Baeza, aux enseignes françaises, pourtant plus performantes. Et elle aurait lucidement investi ces fonds pour redresser la compétitivité de l’économie espagnole.

L’exemple est quelque peu biaisé. D’abord, au niveau de la méthode. L’Espagne a intégré l’Europe. Et elle a été généreusement accueillie au sein de la Communauté. Avec la Tunisie, il s’agit essentiellement de libre-échange. Cela tombe mal car le credo libéral qui nous a bercés avec l’idée que l’expansion du commerce international stimule la croissance ne s’est pas vérifié. Le libre-échange industriel nous a rapporté moins de 1% de croissance, selon un calcul fait par Afif Chelbi, ancien ministre tunisien de l’Industrie. C’est modeste!

Ensuite, il faut rappeler que l’Espagne est à l’abri des retombées de ses choix économiques discutables, protégée qu’elle est par le bouclier de l’euro qui est dopé par la performance du secteur exportateur allemand. Deux ans, plus tôt, l’Espagne essuyait l’éclatement d’une bulle immobilière.  Elle n’a pas été pénalisée dans sa monnaie, l’euro, et cela l’ambassadeur ne le dit pas. Le secteur bancaire a été généreusement perfusé par l’UE et l’Espagne n’a pas eu à mettre la main à la poche. Et cela aussi n’a pas été dit.

La Tunisie ne sera pas à égalité de traitement que l’Espagne, et c’est la presse qui le souligne. Heureusement qu’on fait notre travail!

L’ALECA ne doit pas être un miroir aux alouettes 

Nous faire miroiter de fabuleuses perspectives à l’export pour notre agriculture, ce n’est pas la voie idéale pour nous réconcilier avec l’esprit de l’ALECA. Les importations européennes de produits agricoles sont soumises à la tyrannie de la réglementation HACCP. Et nos exportateurs locaux nous apprennent que la réglementation HACCP n’est pas éditée sous forme d’un recueil unique. A chaque exportation, on court le risque d’une mauvaise surprise avec cette réglementation HACCP. Schoking!

Et, pourquoi donc l’UE ne nous ferait pas bénéficier des subsides de la Politique agricole commune (PAC) qui octroie d’innombrables largesses aux paysans européens? Dites-vous bien que les chantres du libéralisme que sont les USA et l’UE subventionnent leurs paysans. La règle doit être la même pour tous, n’est-ce pas? L’UE ferait-elle ce geste de bonne volonté? Et cela ferait avancer le dossier.

A bon entendeur…