L’horreur : des terroristes décapitent Soltani Mabrouk, un jeune berger orphelin de 16 ans. La tragédie a eu lieu au douar Slatnia localisé aux confins du mont Mghila dans la délégation de Jelma (gouvernorat de Sidi Bouzid). Le seul tort commis par la victime réside dans son courage d’avoir refusé à ces sangsues armés jusqu’aux dents de voler ses brebis. Comble de l’ignominie de ces semeurs de la terreur, ils chargent Hamed, son petit cousin de 14 ans, de livrer la tête du jeune berger à sa mère.
Ce drame intervient après l’assassinat de deux personnes, aux confins de monts à Kasserine. Il s’agit de Salah Ferjaoui, originaire de Zaouiet Ammar (31 août 2015) et du berger Nejib Guesmi (13 octobre 2015) retrouvé mort au pied du mont Semmama.
De toute évidence, il s’agit d’une évolution macabre des tactiques des terroristes qui ont épargné, jusque là, les civils. Est-il besoin de rappeler que des terroristes retranchés dans les monts de Ouergha et de Touriref (gouvernorat du Kef) et même de Semmama (Kasserine) étaient descendus, des dizaines de fois, des montagnes pour s’approvisionner en denrées alimentaires auprès des communautés résidant dans des douars jouxtant ces hauteurs sans nuire aux civils.
Absence de stratégie pour protéger les douars
Ce qui est surprenant, c’est l’inexistence de stratégies pour protéger ses populations vulnérables et sans défense et, surtout, l’absence dans ces zones montagneuses des forces de sécurité qui ne se manifestent que pour présenter leurs condoléances ou pour constater les dégâts.
Le retard qu’ont mis ces forces pour intervenir dans la zone de Slatnia après la décapitation du jeune berger est, le moins qu’on puisse dire, scandaleuse.
Une chose est sûre, avec la décapitation de Mabrouk Soltani qui a ému toute la population, la donne va changer au centre-ouest et au nord-ouest du pays. Il y a un véritable risque de voir les communautés de ces contrées enclavées émigrer vers des zones plus sûres et plus sécurisées. Le risque est réel si rien n’est fait aux fins de sédentariser ces communautés de l’arrière pays et de les protéger contre les terroristes et voleurs de bétail. La démarche à suivre est simple. Il s’agit de réunir en leur faveur les conditions minimales d’une vie digne et décente (accès à l’eau potable, électricité, dispensaires, écoles, routes, poste de gendarmerie…).
Il y va, hélas, de leur survie et de la haute sécurité du pays. Selon leurs témoignages, ils ne se considèrent pas comme des Tunisiens ou plutôt le pouvoir en place ne les considère pas comme tels.
L’urgence de tirer les enseignements
Quelque part, ils ont raison. Sinon comment expliquer que depuis leur soulèvement, un certain 14 janvier 2011, pour protester contre le déséquilibre régional, rien n’ait été fait pour les régions frontalières qui constituent, pourtant, la première ligne de défense contre le terrorisme?
Comment expliquer cette incapacité du gouvernement à mettre en œuvre en leur faveur des investissements publics de 10 milliards de dinars, solde non exécuté des budgets de développement des cinq derniers exercices?
L’enjeu est, désormais, de taille. Ces communautés risquent de se radicaliser et leurs jeunes, à défaut d’encadrement et de l’absence de possibilités d’accéder, dans leurs douars, à un emploi et à des sources de revenu décents peuvent être tentés par l’adhésion à des courants destructeurs et déstabilisateurs.
Pour mémoire, le terroriste Seifeddine Rezgui, qui a tué de sang froid une quarantaine de touristes et mis à genoux toute l’économie du pays, est originaire de l’arrière du pays, plus exactement de Gaafour (gouvernorat de Siliana au nord-ouest).
Il est cité dans ces contrées par des gens simples d’esprit comme un héros. Ils estiment que par une simple rafale de Kalachnikov, il a rappelé aux gens du littoral que le confort et les privilèges dans lequel ils ont toujours évolué ne sont pas pérennes. Ces gens illettrés et privés de toutes les commodités de la vie ajoutent que «ce terroriste-héros» a corrigé, en quelque sorte, par un acte d’une extrême barbarie, une situation socio-économique déséquilibrée qu’une dizaine de plans de développement n’ont pas pu faire, depuis l’accès du pays à l’indépendance.
Par delà ces appréciations qui peuvent a priori déranger, l’enseignement à tirer des drames qui ont eu lieu dans les zones frontalières est d’engager des actions de développement intégrées devant rassurer leurs habitants et consolider le front national contre le terrorisme et la pauvreté. Il y va de la responsabilité de ce gouvernement.