Cinq ans après le soulèvement du 14 janvier 2011, les hauts responsables du pays se sont rendu compte que des dizaines d’associations sont suspectées de financer le terrorisme. Pis, plombés par une certaine irresponsabilité, ces mêmes responsables font preuve d’un immobilisme scandaleux, ne font que constater les faits et ne proposent aucune stratégie urgente pour y remédier.
Gros plan sur un dossier brûlant.
Effectivement, comme par enchantement, de hauts responsables en charge de ce dossier (actuels et anciens) se bousculent, ces jours-ci, sur les plateaux de télévision et de radio, et multiplient les déclarations au reste des médias, pour rappeler aux Tunisiens ce que ces derniers savaient depuis longtemps, à savoir l’implication d’organisations non gouvernementales (ONG) takfisristes dans le financement de groupes terroristes.
Des gouverneurs de la Banque centrale qui n’ont rien vu
La déclaration la plus récente sur ce dossier est à l’actif de Chedly Ayari, actuel gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Il a indiqué sur les ondes de radio Mosaïque que «la Banque centrale étudie -bien étudie- les mesures concernant le contrôle des sources de financement des associations et le suivi de la loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent».
Ainsi,après deux ans et demi d’exercice à la tête de la BCT, Chedly Ayari prend conscience que le contrôle financier des associations relève, entre autres, des attributions de son institution.
Pour sa part, dans son intervention surla chaîne publique El Watania 1, son prédécesseur, Mustapha Kamel Ennabli, a été plus précis sur ce contrôle.
Selon lui, «en vertu de la loi qui régit ces ONG, celles-ci sont habilitées à recevoir des donations de l’extérieur et à rendre publics les montants au-delà de 100.000 dinars et à en informer le gouvernement de l’affectation de montants… Seulement, cette loi n’a jamais été appliquée.
Plus grave encore, le transfert de fonds étrangers au profit des associations se fait, le plus souvent, par le canal des banques de la place lesquelles sont tenues, en principe, d’informer la Banque centrale de Tunisie chaque fois qu’elles doutent d’une transaction financière et de la destination de fonds.
Une fois informée, la BCT peut alors saisir la justice pour vérifier la traçabilité des fonds transférés. Mais apparemment, ces banques ne l’ont jamais fait» (lire notre article: Financement du terrorisme : Les cinq failles de la législation tunisienne, selon Mustapha Kamel Ennabli).
Conséquence: en lisant entre les lignes, on peut déduire que les deux derniers gouverneurs de la BCT étaient bien au courant de l’ensemble des transactions qui ont eu lieu au profit des associations mais avaient fermé les yeux sur les abus.
Seule une association a été dissoute
Au plan institutionnel,Kamel Jendoubi, ministre chargé des Relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, a déclaré sur la chaîne publique El Watania1 que sur une soixantaine de dossiers d’associations suspectées de financer le terrorisme soumis à la justice, seule une association a été dissoute par décision de justice. Selon nos informations, il s’agit de la “Ligue des milices protectrices de la révolution“. Le reste court toujours.
Dans une déclaration précédente, Kamel Jendoubi avait révélé que le gouvernement a établi une liste de 157 associations soupçonnées d’avoir des liens avec des groupes terroristes et takfiristes. Sur ce total,80 ont vu leurs activités suspendues tandis que 83 autres ont été averties et appelées à régulariser leur situation.
Interpellé sur la lenteur dans le traitement du dossier des associations complices du terrorisme, le ministre l’a imputée au manque du personnel dans son département, à leur sous-équipement et à la loi même sur les associations (Loi 88-2011) laquelle ne permet la dissolution de ces ONG que sur décision de justice.
Rappelons que la procédure de la sanction commence par des mises en garde, invitant l’association concernée à régulariser sa situation. On passe ensuite à la suspension des activités, puis, le cas échéant, à la dissolution définitive par décision judiciaire. Et c’est là où le bât blesse, la procédure prend beaucoup de temps.
Pour rassurer, il a révélé qu’un comité spécialisé dans les associations au financement suspect présentera un rapport au chef du gouvernement, Habib Essid. Il a ajouté que suite à cela, les mesures nécessaires seront prises dans les semaines à venir.
L’Etat ne dispose d’aucune base de données sur ces associations
De son côté, le directeur général du Centre d’information, de formation, d’études et de documentation sur les associations (IFEDA), Nabil Ajroud, a fait, ces jours-ci, des révélations accablantes sur la non-maîtrise par le gouvernement du délicat dossier des associations. Selon lui, sur un total de 18.143 associations actives en Tunisie, seules 8.000 ont un identifiant fiscal (statistiques septembre 2015). Il a ajouté, à l’agence TAP, que «l’Etat ne dispose d’aucune base de données sur ces associations, ni d’informations sur leurs sources de financement».
De son côté, Fadhila Gargouri, juge à la Cour des comptes, a révélé qu’«aucune structure publique ne détient des informations précises sur le volume de financement public accordé aux associations subventionnées». Que dire alors des associations indépendantes qui n’ont pas besoin d’aide de l’Etat?
Moralité: tout indique que le monde associatif est un monde opaque où n’importe qui peut faire n’importe quoi. Quant aux responsables en charge du dossier qui sont, de juré, des décideurs, ils ont tout intérêt à cesser de promettre, de suggérer des mesures ou de tenir des discours démagogiques alors que le traitement de ces dossiers est d’une extrême urgence. Désormais, l’heure est grave et chaque partie doit assumer ses responsabilités et prendre des décisions.
Abstraction faite de cette tendance assassine à traîner des pieds avant de prendre des décisions fermes pour lutter contre le financement du terrorisme et gérer au mieux les activités associatives, il serait, néanmoins, sage d’éviter de diaboliser, outre mesure, les associations et de ne pas faire l’amalgame. Car sur des milliers d’associations, estime Kamel Jendoubi, seules des dizaines semblent avoir un lien avec la corruption et le terrorisme. Dont acte.