Un Etat volontariste. C’est le format idéal. Levier, par excellence, d’activation des réformes! Simple interrogation du CJD ou suggestion directive ?
“Oh! Toi l’Etat, as-tu du cœur?“, disait en substance Khaled Zribi, président sortant du CJD, en rendant le tablier, à l’ouverture du Xème congrès du Centre. Ce congrès s’est tenu sous le thème choc: “Défis économiques! Et si l’Etat avait l’audace de ses réformes“. On ne sait trop s’il s’agit d’une simple interrogation, une sorte d’élan de cogito, ou d’une injonction à l’adresse du gouvernement Essid. Quoiqu’il en soit, cette apostrophe n’a pas été perçue comme la question qui fâche. Trois ministres ont répondu à l’appel comme pour dire aux JD “Message reçu“.
Ils se sont longuement expliqués sur le programme de réforme du gouvernement car par delà l’assistance ils s’adressaient à l’opinion publique. Ils ont, charmé les esprits mais n’ont pas emporté l’adhésion. Le malaise persiste. Gare, il y a un problème!
La révolution des œillets peut-elle inspirer la révolution du Jasmin ?
Khaled Zribi a passé la main à Wafa Laamiri à la tête du CJD, au terme de son unique mandat. C’est la tradition chez les JD. C’est l’occasion de rappeler qu’ils s’en servaient, sous Ben Ali, pour titiller un peu le régime en soulignant à chaque passation “La démocratie, un seul mandat, puis s’en va“. Et partant, il a fait sauter la baraque avec un thème, on ne peut plus provocateur. Et c’est en phase avec le crédo du Centre, car les JD ont fait le choix de l’effervescence. Et, ils s’y tiennent. Les JD, comme la grande majorité des opérateurs économiques, rongent leur frein. Ils reprennent le message ambiant, qui est sur toutes les lèvres: Le gouvernement ne va pas assez vite, mais où est donc son régime de croisière? On voit venir des réformes mais ça n’arrache pas.
C’est sous cette perspective que Khaled Zribi a invité l’ambassadeur du Portugal pour un exposé méthodologique sur la transition économique de son pays. Le Portugal, comme la Tunisie, a connu une révolution tranquille. Mais à la différence de la Tunisie, il a vite embrayé sur un vaste programme de réformes. Et cela a sauvé le pays. Un expert portugais était intervenu pendant le congrès, en duplex à partir de Lisbonne, un exposé live de ce vaste plan de refondation économique.
S’il faut reconnaître une certaine détermination à la réforme chez les dirigeants portugais de l’époque, il faut tout autant rappeler le rôle crucial de l’aide de l’UE. Le volontarisme de l’Etat était bien là. Un plan d’austérité avec des coupes budgétaires dans les dépenses, un plan de privatisation tous azimuts et une réforme de l’administration ont reconfiguré l’environnement d’affaires dans le pays. Mais c’est la manne européenne qui a fait le reste.
En comparaison, les facteurs d’inertie entre nos deux pays sont ressemblants. Mais comparaison n’est pas raison. Prenons l’exemple de l’administration tunisienne. Son hypertrophie, comme l’aura démontré l’expert Hafedh Ateb, n’est pas l’obstacle d’entre tous les obstacles. Il faut voir ailleurs. L’informel et le terrorisme compliquent davantage la donne. Puis l’influx des IDE n’est pas là. A croire que nos partenaires européens restent insensibles à nos priorités.
En y mettant les formes, Khaled Zribi a bien lifté son coup. Il a mis le doigt sur la lenteur réformatrice de la Tunisie, quatre ans après le 14 janvier en regard du Portugal, dans les années 70. Et ce retard est à l’origine d’un malaise dans le pays. Les JD le disent de manière franche et respectueuse. Ils n’en tirent pas moins la sonnette d’alarme. Quelle thérapie appliquer?
Accorder nos violons
Les trois ministres étaient bien gênés de voir, une fois encore, que l’opinion voit le gouvernement découplé de la réalité du pays. Les Tunisiens subissent toutes les contrariétés du grippage de la machine économique. Le gouvernement, pour sa part, se délecte de bien réformer. Ce n’est pas assez. Il faut trouver une recette instantanée, aux couleurs nationales pour faire vite comme le Portugal en son temps.
Les JD laissent bien entendre qu’il y a de la grogne dans l’air et qu’il y a risque de compromettre la fragile expérience démocratique si on ne met pas les bouchées doubles.
Les membres du gouvernement ne comprennent pas que l’opinion soit toujours dans l’expectative. En moins d’un an, la moisson n’est pas négligeable de même que l’a égrené le ministre des Finances. La loi des 3P est votée. Les banques publiques ont été recapitalisées. La loi sur la concurrence, également. La réforme fiscale progresse. Le dynamitage de l’informel est en cours, via la compression tarifaire avec des droits douaniers qui plafonnent à 20%. Le statut d’opérateur agréé est adopté. L’amnistie du change est en cours et la résolution de la question de la Caisse de compensation est imminente.
Les procédures parlementaires étant ce qu’elles sont, la vitesse d’adoption des lois peut paraître lente. Ce n’est pas tant le rythme lent de l’adoption des lois qui est en jeu, c’est toujours le déficit de dynamisme économique qui plombe la vision du Tunisien sur son présent qui ne s’améliore pas et sur son avenir qu’il ne visualise pas.
Il y a un constat d’immobilisme de la machine économique qui s’empare des esprits. Le plaidoyer du ministre des Finances n’a pas pu légitimer le retard à l’allumage de ses autres collègues.
Zied Lahdhari, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, en dépit d’un grand déploiement sur le terrain, d’une authentique réceptivité, n’a pas inversé la courbe du chômage même s’il a infléchi sa progression.
Yassine Brahim, venu directement de l’aéroport pour participer au Congrès, tant la question est importante, n’a pas convaincu sur sa démarche de conduire le changement. Sa disponibilité est reconnue de tous mais c’est l’efficacité de son ministère qui n’est pas perçue. La Note d’orientation du plan n’a pas fait tilt. Le Code des investissements ne soulève pas des montagnes d’enthousiasme. Tous les programmes de reconfiguration du dispositif national d’investissement n’ont fait refluer ni les investissements locaux ni étrangers. Son discours séduit mais point de résultats. Or, le gouvernement a une obligation de résultat. Et il est tenu d’une solidarité collective, c’est-à-dire que tous les ministères doivent synchroniser leurs efforts en vue d’une synergie nationale. Il faut garder à l’esprit que 71,7% des Tunisiens boudent et font la moue.
A l’heure des choix
Où aller, à présent? “Favoriser un écosystème performant et supprimer la bureaucratie d’Etat“. Cette solution a le tort d’être générique, nous le pensons. La Tunisie est à la croisée des chemins. Elle ne peut s’éterniser dans le statu quo. Il faut produire le déclic. La potion libérale portugaise -avec son cortège d’austérité budgétaire, de flexisécurité, de privatisations à tout va- doperait la reprise, à l’évidence. Cependant, elle saperait le modèle social tunisien, et le bon peuple n’en voudra pas. Il est à craindre que cette solution puisse nous être dictée de l’extérieur, si le gouvernement n’inverse pas la situation.
Un plan d’économie sociale et solidaire pourrait-il fournir l’appoint d’efficacité aux réformes du gouvernement? Cette solution présente l’avantage d’être plus proche de notre mental national. Elle semble bien adaptée à nos campagnes et à nos régions de l’intérieur. Ses recettes sont facilement implémentables et son retour sur investissement est rapide. C’est ce qu’on doit essayer à toute vitesse.
Toutefois, une chose semble acquise, à savoir que cette supplique du gouvernement Essid, qui réclame du temps, ne passe plus. Donner du temps au temps est un luxe que la Tunisie ne peut pas se permettre à l’heure actuelle. Comme le disait, non sans amertume, Napoléon Bonaparte à ses généraux: “Tout me demander, sauf du temps“.
Le gouvernement est engagé dans une course-poursuite entre sa vitesse de réformes et l’appel populaire de croissance qui va crecsendo. C’est une course contre la montre. Il doit accepter de vivre sous la tyrannie du chrono. Le temps lui est compté. Les JD viennent le lui rappeler à temps.