Selon le Pnud, les revenus et les conditions de vie s’améliorent dans le monde, mais les femmes sont payées 25% de moins que les hommes.
Genève, décembre 1990. Deux économistes de renommée mondiale, le Pakistanais Mahbub ul Haq et l’Indien Amartya Sen, qui sera nobelisé en 1998, présentent le premier rapport sur le développement humain sous l’égide du Pnud (Programme des nations unies pour le développement). Dans les pays du Sud en développement, dans les pays du Nord industrialisés, économistes et politiques découvrent une nouvelle approche du développement.
Cette question, longtemps disputée entre droite et gauche, n’est plus une simple affaire de revenu ou de niveau de PIB d’un pays… Le développement est désormais considéré comme un processus bien plus complexe qui élargit l’éventail des possibilités offertes à chaque être humain, en s’intéressant à la richesse des vies au lieu de se limiter à la richesse des pays. Le monde découvre «l’indicateur de développement humain», ce fameux IDH qui se fonde sur un mélange de trois critères : le PNB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation. Il sera ajusté plus tard par le niveau des inégalités entre sexes ou la participation des femmes à la vie politique.
Chaque année, ou presque, un nouveau élément structurant vient s’ajouter à l’IDH. Cette année, place au travail, qui a toujours été mesuré, et donc conceptualisé, en termes économiques plutôt qu’en termes de développement humain. L’édition 2015 du Rapport sur le développement humain, présenté lundi en Ethiopie, transcende cette convention en établissant un lien direct entre le travail et la richesse des vies humaines.
Progrès
Certes, le rapport 2015 intitulé «Le travail au service du développement humain» souligne la nécessité d’un travail équitable et décent pour tous. Mais avant d’encourager les gouvernements à prendre cette voix, les experts du Pnud soulignent les nombreux progrès faits en matière de développement humain. Ainsi, l’IDH mondial a augmenté de plus d’un quart et celui des pays les moins développés de plus de la moitié. Cette évolution est plus ou moins constante dans le temps et d’une région à l’autre.
Le nombre de personnes vivant dans un cadre peu propice au développement humain a diminué, étant passé de 3 milliards en 1990 à un peu plus d’un milliard en 2014. L’espérance de vie à la naissance est en constante augmentation. Davantage d’enfants sont scolarisés, et un plus grand nombre de personnes ont accès à l’eau propre et à l’assainissement de base. Ce progrès va de pair avec l’augmentation des revenus et se traduit par les niveaux de vie les plus élevés de l’histoire de l’humanité.
Baisse de moitié de la mortalité infantile
Vision candide du monde ? Pas du tout. Sans aller jusqu’à employer les images du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, pour qui «85 milliardaires dans un autobus représenteraient une fortune équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité, c’est-à-dire 3 milliards d’êtres humains», le Pnud partage ce diagnostic. Mais il souligne aussi «qu’entre 1900 et 2015, la pauvreté de revenu dans les régions en développement a baissé de plus de deux tiers. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté extrême, à l’échelle mondiale, a chuté de 1,9 milliard à 836 millions. Le taux de mortalité infantile a diminué de plus de moitié et les décès d’enfants de moins de cinq ans ont baissé de 12,7 à 6 millions».
Ce faisant, le Pnud encourage les gouvernements à dépasser la notion d’emplois pour considérer les nombreux types de travail qui existent, occupant environ la moitié des 7,3 milliards de Terriens. Près d’un milliard d’agriculteurs assurent plus de 80 % de la production alimentaire de la planète et améliorent ainsi la nutrition et la santé. «A l’échelle mondiale, 80 millions de travailleurs des secteurs de la santé et de l’éducation ont renforcé les capacités humaines», souligne le Pnud. Plus d’un milliard de travailleurs dans le secteur des services a contribué au progrès humain. En Chine et en Inde, 23 millions d’emplois dans la filière des énergies propres améliorent la viabilité environnementale.
Les femmes payées 25 % de moins
Ce petit tour d’horizon permet d’appuyer la thèse du Pnud selon laquelle «le travail a une valeur sociétale au-delà des gains des travailleurs individuels» : «Le travail de soins à des personnes âgées et handicapées les aide à entretenir leurs capacités. Le travail des artistes, des musiciens et des écrivains enrichit la vie d’autres êtres humains. Chaque année, plus de 970 millions de bénévoles viennent en aide aux familles et aux communautés, construisent des réseaux sociaux et contribuent à la cohésion sociale. À l’échelle mondiale, le salaire des femmes est de 24 % inférieur à celui des hommes, 25 % seulement des postes d’administration et de direction d’entreprises sont occupés par des femmes, tandis que 32 % des entreprises n’ont pas de femmes cadres supérieurs […].»
Ces inégalités entre hommes et femmes s’inscrivent dans un monde où les femmes occupent près de 55 % des emplois totaux. Les femmes ont moins de chances d’être payées : «Sur quatre heures de travail non rémunéré, les femmes en font trois», note le Pnud.
«Pour réduire cette inégalité, les sociétés ont besoin de nouvelles politiques publiques. La garantie d’une égalité des salaires, l’octroi de congés parentaux rémunérés et la lutte contre le harcèlement et les normes sociales qui excluent tant de femmes du travail rémunéré figurent parmi les changements requis», écrivent les experts de l’agence onusienne.
Creusement des inégalités
La mondialisation et les changements technologiques produisent un monde du travail de plus en plus polarisé. «Les temps actuels n’ont jamais été aussi favorables aux travailleurs hautement qualifiés. Par contre, il ne fait pas bon ne pas avoir de qualifications en ce moment. Ce constat ne fait que creuser les inégalités», explique l’auteur du rapport, Selim Jahan.
Le rapport souligne les rôles pivots que le travail peut jouer dans la réalisation des Objectifs de développement durable adoptés en septembre sous l’égide du Pnud pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, et faire face au changement climatique. Avec la croissance verte, de nouveaux emplois seront créés et d’autres disparaîtront. Dans l’idéal, ces changements devraient être soutenus par des systèmes de protection sociale et des filets de sécurité
AFP