Selon le dernier rapport de la Banque centrale de Tunisie, l’indice général de la production industrielle dans notre pays a poursuivi sa baisse durant les neufs premiers mois de l’année 2015 à un rythme plus accéléré. Soit à hauteur de -1,7% contre -1,2% pour la même période l’année précédente.
C’est la détérioration de la production minière et le fléchissement de la production énergétique conjuguée à une stagnation de la production dans les industries manufacturières qui en sont la cause.
Les industries mécaniques et électriques ainsi que les secteurs du textile, habillement, cuirs et chaussures ont également connu un fléchissement.
Zakaria Hamad, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, n’est pas inquiet outre mesure. Pour lui, la vision de son département est claire, il s’agirait tout juste d’appréhender les problèmes existants sans les compliquer davantage. «Nous sommes là pour apporter des solutions et non pour crier au drame à chaque fois qu’un obstacle se dresse sur notre route».
Entretien.
WMC : Vous parlez d’une vision claire, pourriez-vous la définir?
Zakaria Hamad : Bien évidemment. En fait, nous travaillons sur 3 axes stratégiques. Le premier concerne les offres de services. Nous avons des programmes pour renforcer nos capacités en termes d’infrastructures industrielles, d’infrastructures qualité et d’infrastructures technologiques. Nous œuvrons dans ce cadre à développer l’investissement, d’une manière générale et donc l’entreprenariat.
Le deuxième axe est celui de la taxation de la valeur ajoutée concernant les secteurs historiques, tels l’agroalimentaire, le textile/habillement ainsi que les industries mécaniques et électriques. Ces secteurs pèsent lourd et représentent plus de 70% de nos exportations. Nous avons mis en place un programme de développement en direction de ces secteurs-là à travers l’augmentation de la valeur ajoutée générée et surtout à travers la mise en œuvre des technopôles. Nous avons démarré ce programme en 2008 par la mise en place des technopôles spécialisés dans ces domaines-là.
Il y a le technopôle de l’agroalimentaire sis à Rouidet, celui des industries mécaniques et électriques situé à Sousse, et celui du textile et de l’habillement implanté à Monastir El Fejja.
Notre action se résume à développer davantage l’investissement dans ces secteurs considérés comme étant les trois piliers de l’industrie tunisienne et travailler sur la valeur ajoutée. Ce qui se traduit sur le terrain par la création d’un écosystème favorable à l’innovation autour d’eux. Les technopôles assurent le rôle d’interface pour tout ce qui est développement, recherche, formation professionnelle et formation académique conjugué au savoir-faire et à l’industrie.
Est-ce que les technopoles mettent à profit tout ce dont elles sont dotées sur le plan de la logistique?
Ce n’est malheureusement pas le cas. J’estime que nous avons perdu au moins 3 à 4 ans de l’exploitation de leur potentiel comme il se doit. Les technopoles ne fonctionnent pas au rythme escompté. J’ai été moi-même le responsable d’une technopole (dans l’agroalimentaire), donc je connais très bien la problématique. Nous n’avons pas réussi à finaliser la mise en place de toutes les composantes des technopoles. C’est ce qui explique que, dès ma nomination à la tête du département de l’Industrie, l’achèvement de toutes les composantes permettant la réalisation de technopoles de haut niveau a figuré parmi mes priorités.
Nous verrons très bientôt que le démarrage des centres de ressources technologiques sera une constituante principale dans ces technopoles. C’est là où l’on procède à la réalisation des recherches appliquées et où on fait le contrôle qualité. Un contrôle qui touche tous les secteurs cités plus haut.
Le troisième axe que nous avons attaqué et qui est capital pour la Tunisie, aujourd’hui, c’est comment booster l’investissement dans les créneaux porteurs parmi lesquels figure l’aéronautique. Une stratégie pour la relance de ce secteur a été adoptée par le gouvernement. Nous sommes persuadés que le redémarrage de l’investissement dans les activités aéronautiques est bien réel et offre nombre d’avantages au pays.
Nous estimons que notre pays représente un site privilégié pour l’essor de l’industrie aéronautique et qu’il nous revient à nous d’éclairer la vision des investisseurs à ce propos, de les rassurer quant à la justesse de leurs choix et de leur offrir l’environnement adéquat au développement de leurs activités.
Et pourtant, il existe des entreprises privées nationales qui opèrent dans le secteur aéronautique, qui sont très avancées et performantes mais n’arrivent pas à se positionner à l’international. Que faites-vous pour les aider à conquérir l’international?
Vous avez raison, la conquête de l’international n’est pas aisée, mais je dirais que notre objectif à nous est comment structurer une filière davantage, parce que l’aéronautique fonctionne en chaînes de valeurs. S’il n’y a pas de maillon structurant, tels que les grands donneurs d’ordre, à l’instar d’Airbus, nous ne pouvons pas le développer.
Nous avons convaincu Aérolia, aujourd’hui rebaptisée Stella, de s’installer en Tunisie. Elle a eu un effet d’entraînement, et la firme a amené avec elle non seulement ses fournisseurs mais nous voyons aujourd’hui que la Tunisie est devenue un centre pilote au niveau des recherches dans l’aéronautiques grâce justement à Stella. C’est un secteur porteur qui crée, mine de rien, 1.000 emplois par an et notre objectif est d’arriver à en créer 1.800 sur les 5 prochaines années.
Pour développer le secteur de l’aéronautique à l’échelle nationale, il faut qu’il se fraye un chemin à l’international. Derrière les efforts promotionnels des opérateurs privés, partout dans le monde nous trouvons un Etat sur lequel ils peuvent compter. Qu’en est-il de la Tunisie?
Commençons par le début. Nous sommes en train de conforter la place du secteur aéronautique dans notre pays. Nous sommes en train d’étendre le parc qui existe déjà pour l’élever de 20 à 50 hectares, et arriver, dans quelques années, à 150. Et là, il va falloir améliorer notre offre de service en aménageant les zones industrielles dans les règles de l’art.
Il est bien entendu intéressant d’en informer les investisseurs potentiels. La décision a été prise pour soutenir ce genre de projet par une participation de 10% à l’investissement. Pour les projets déjà en place, ils bénéficieront de tous les programmes de mise à niveau.
Nous avons également pris des mesures pour ce qui est de l’accélération de la création d’un centre d’excellence dans les métiers de l’aéronautique. Il verra le jour au cours du premier trimestre 2016.
Est-ce que les entreprises tunisiennes pourront former leurs personnels dans ce centre ou comme ce fut le cas à l’époque pour Aérolia, les investisseurs étrangers seront les seuls à en profiter?
Il est évident que les opérateurs tunisiens pourraient y former leurs employés au même titre que ceux étrangers. La Tunisie est aussi connue pour la qualité de ses prestations et les compétences de ses ressources humaines. Nous avons mis en place tout un plan de communication pour promouvoir le secteur et attirer davantage des entreprises structurantes dans cette filière.
Nous avons décidé d’alléger le contrôle douanier sur certains matériaux utilisés dans la filière aéronautique. Il y a des entreprises qui font le montage des composants aéronavals, il faut par conséquent faciliter le mécanisme de transfert des pièces d’une entreprise à une autre.
Qu’en est-il de la promotion du secteur à l’international? Comptez-vous organiser des Salons pour montrer le savoir-faire tunisien en la matière?
Nous avons mis en place un programme de participation aux salons internationaux. J’ai été moi-même au Salon du Bourget en France, et j’ai discuté avec nombre d’investisseurs. Cela a été très bénéfique pour nous. Je ne vous cache pas: un Salon de l’aéronautique en Tunisie nécessite du temps pour le préparer, convaincre les investisseurs et les professionnels et énormément de moyens, cela ne se fera pas pour demain.
Sinon pour les autres secteurs, nous organisons régulièrement des Salons spécialisés comme l’agro-alimentaire, le textile ou les nouvelles énergies. Mais nous focalisons aujourd’hui nos efforts surtout sur la participation tunisienne à l’étranger.
Que faites-vous justement pour accompagner les nationaux à l’étranger?
C’est la FIPA qui encadre les investisseurs étrangers en Tunisie, le CEPEX s’occupe de l’exportation. Nous avons les structures qu’il faut pour assurer l’encadrement des investisseurs dans les deux sens.
Il y a déjà un problème à l’échelle nationale: les investisseurs locaux refusent d’investir en Tunisie.
Pour ce cas précis, il n’y a pas un problème de communication et de confiance. Il faut rétablir la confiance entre les centres de décision et les opérateurs privés. Il faut reconnaître que tout n’est pas rose mais tout n’est pas gris non plus. La machine ne tourne pas à plein régime mais la cadence s’améliore de jour en jour. Il y a des indicateurs qui parlent d’eux-mêmes. A titre d’exemple, peu de gens savent que l’investissement direct étranger dans le secteur des industries manufacturières a progressé de 8,2% pour les 8 premiers mois de l’année 2015 en comparaison avec 2014. Et c’est le signe que les investisseurs étrangers ont pris la décision d’investir en Tunisie.
Un autre exemple qui a rapport avec le secteur de l’énergie où les IDE se sont développés de 34,2% par rapport à la même période de l’année dernière.
Concernant l’investissement local, vous avez raison, il va falloir le booster. Toujours est-il que les intentions ont progressé et dépassé au mois d’août celles déclarées à la même période de l’année dernière. Nous en étions à -8% par rapport aux 7 premiers mois de 2014, et nous sommes devenus à +0,5% par rapport aux 8 premiers mois cette année.
Il y a un autre indicateur qui est très important c’est l’investissement dans le cadre de la mise à niveau, qui est un programme très important. Les montants approuvés durant les 8 premiers mois 2015 s’élèvent à 536 millions de dinars, soit plus de 30% par rapport à l’année précédente. Elle concerne nombre d’activités: les extensions, le renouvellement des équipements, la rénovation et le développement technologiques.
Sur les 8 premiers mois de 2015, nous avons relevé une progression dans les industries manufacturières et l’énergie. Nous avons observé des intentions d’investissement sur le plan national, et une progression importante pour ce qui est de la mise à niveau. C’est palpable.
A mon avis, le secteur de l’industrie finira l’année sur le plan de la croissance à une progression de plus de 1%, c’est une évolution minime mais la machine continue à tourner, et moi je dirais que 2016 sera l’année des grandes réformes. 2017 sera l’année de la grande relance industrielle et quand je dis relance, c’est 5% de croissance.
Et qu’en est-il du secteur textile qui accuse une chute libre dans notre pays?
C’est un secteur important. Mais avant de parler du secteur du textile, je veux vous donner un chiffre, qui est important, c’est que les exportations tunisiennes des produits manufacturiers ont progressé de 8,2% par rapport à 2014. Cette progression est due surtout au développement de nos exportations en huile d’olive mais pas uniquement. On prétend que nos exportations ont progressé parce que nous avons eu une récolte importante en huile d’olive et dattes, mais il y a aussi le secteur des industries mécaniques et électriques qui est le plus important secteur à l’exportation. Il pèse 40% de nos exportations et s’est développé à hauteur de 3% cette année et encore nous n’avons pas les derniers chiffres.
Il y a aussi le secteur de matériaux de construction, céramique et verre qui a réalisé de bonnes performances grâce à l’augmentation des exportations du ciment, et puis il y a les industries diverses qui ont progressé avec deux chiffres.
C’est qu’il y a des secteurs qui ont souffert, tels le textile qui a régressé au mois d’août de 6% par rapport à 2014, et celui de l’industrie chimique. C’est facile à expliquer car l’appareil de production du phosphate s’est arrêté pendant pas mal de temps. Maintenant la machine est en train de tourner mais il va falloir accélérer la cadence et réaliser des performances.
Il y a votre responsabilité dans le développement des activités industrielles mais est-ce que vous intervenez lorsqu’il y a des crises d’ordre social dans les entreprises publiques ou privées pour que la machine productive ne soit pas bloquée?
Bien sûr que j’interviens quand cela s’impose. Mais j’ai essayé cette fois-ci de structurer l’approche pour 2016 en ce qui concerne le secteur industriel. En fait, mon but est de convaincre les grandes entreprises, surtout celles qui agissent dans le domaine du phosphate et du pétrole, à intervenir davantage pour améliorer leur environnement à travers la mise en place d’un programme de responsabilité sociétale et environnementale.
Nous avons conçu 3 programmes. Deux sont déjà fonctionnels et un autre en cours de réalisation. Le premier programme est financé par les entreprises pétrolières implantées à Tataouine. C’est un programme triennal dont le coût global est de 11 millions de dinars. Et cette fois-ci, nous avons changé d’approche, nous avons fait appel à des bureaux d’études qui sont restés sur place pendant une année et ont identifié les besoins et les problèmes des régions concernées pour leur apporter les solutions adéquates et efficientes.
De quelles régions s’agit-il?
Il s’agit de Tataouine, Gafsa et Kébili. Nous voulons y développer l’esprit entrepreneurial en accordant des microcrédits, crédits BTS et autres mais aussi en renforçant les capacités des directions régionales, de l’agriculture, l’environnement, l’équipement et la santé. Il s’agit d’offrir les moyens nécessaires aux porteurs de projets pour agir au niveau de ces secteurs et y trouver l’encadrement nécessaire et la réceptivité de la part des administrations publiques.
C’est un programme multidimensionnel et intégré, qui ne concerne pas seulement la création ou le développement des entreprises mais aussi et surtout l’aspect quotidien de la vie des citoyens et nous allons surtout focaliser sur le concret et utile pour les habitants.
A suivre Partie II