En proposant à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) un projet de loi pour la constitution d’une commission d’audit de l’endettement public, le groupe parlementaire du Front populaire(FP) relance le débat sur la dette tunisienne et surtout sur la dette odieuse. Il faut reconnaître que cette commission est vivement recommandée d’autant plus que le service de la dette est le premier poste du budget en Tunisie et constitue, par conséquent, un frein au développement.
Zoom sur la portée de cette initiative.
L’objectif déclaré du Front populaire ne vise pas seulement à appliquer les mécanismes de contrôle de la dette à tous les niveaux (parlementaire, gouvernemental…) mais surtout à dissuader tout retour aux «dettes odieuses», et à responsabiliser les mauvais gestionnaires de la dette publique devant le peuple.
Selon le député du FP, Fethi Chamekh, farouche opposant à l’endettement, la mission impartie à la future commission parlementaire sera d’examiner les accords de crédit et d’élaborer des rapports à cette fin. Ces rapports seront soumis chaque trimestre à l’ARP tandis que leurs conclusions et résultats seront publiés et soumis à l’appréciation de l’opinion publique.
Opportunité de l’initiative
Il faut dire que cette initiative tombe à point nommé lorsqu’on sait que l’endettement public ne cesse de s’accroître à un rythme effréné et d’atteindre des seuils inquiétants (52% du PIB d’après les projections de 2016 contre 38% du PIB en 2010). La situation est d’autant plus grave que le pays n’est pas en mesure de produire assez pour infléchir cette tendance haussière.
Pis, à moyen terme ce trend haussier de la dette risque de compromettre l’indépendance de décision du pays et l’avenir des générations futures, si le holà n’est pas lancé pour arrêter cette hémorragie déstabilisatrice.
Il s’agit aussi de demander des comptes à ceux qui ont recouru, du temps de la Troïka et avec l’actuel gouvernement, à cette solution de facilité, en l’occurrence l’endettement, pour masquer leur incompétence.
Responsabilité de la Troïka
Ces responsables qui n’ont pas exploité à bon escient l’argument du soulèvement du 14 janvier 2011 pour demander, à temps, comme cela est toléré internationalement lors de toute période de transition, la suspension, pendant deux à trois ans, du remboursement de la dette, une période nécessaire pour disposer du temps matériel requis pour pacifier et stabiliser le pays.
Ces mêmes responsables n’ont pas voulu auditer la dette publique tunisienne et en extraire la dette odieuse. Une dette que son théoricien, Alexander Sack, définit comme étant les prêts contractés par le pouvoir despotique non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat. Conséquence: cette dette est odieuse et n’est pas obligatoire pour la nation. C’est une dette de régime qui doit tomber avec sa chute.
Rappelons également que, selon le droit international, à la chute de dictatures, les créanciers, pour peu qu’ils disposent d’audits crédibles déterminant l’utilisation abusive de cette dette, ne peuvent exiger des remboursements que du despote déchu. Cette doctrine s’est appliquée à plusieurs reprises de l’Histoire des deux derniers siècles. C’est le cas de l’Islande et de l’Equateur, entre autres, qui avaient connu une situation similaire à celle de la Tunisie et qui avaient refusé de payer ce type de dette et obtenu gain de cause auprès de leurs créanciers.
Plus grave encore, les responsables de la Troïka n’ont pas daigné soutenir l’action menée par la société civile, particulièrement l’Association tunisienne pour la transparence financière,auprès du Parlement européen lequel avait plaidé pour un moratoire sur la dette tunisienne.
Nous avons encore à l’esprit les efforts déployés, à cette fin, par l’ancienne magistrate anti-corruption et Écologie Les Verts (EELV), la Franco-norvégienne, Eva Joly.
La loi sur l’audit de la dette, toujours lettre morte
Bien au contraire, ces responsables ont continué à s’endetter à un rythme accéléré non pas pour financer des investissements mais pour financer des dépenses de consommation. Et c’est là leur principale erreur. Jean Ziegler, écrivain suisse, professeur à l’Université de Genève et rapporteur du Comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, dit à ce propos: «ce n’est pas au moment où on est écrasé par la dette qu’il faudrait contracter une nouvelle».
Pour se donner bonne conscience, la Troïka avait promulgué, en 2013, sous la pression de l’opposition et de la société civile, une loi sur l’audit de la dette publique. Toutefois, cette loi est restée lettre morte et n’a jamais été mise en application ni du temps de la Troïka ni du temps de l’actuel gouvernement.
Sans commentaire…