Une évidence: la Tunisie connaît actuellement une crise multiforme qui risque, pour peu qu’elle ne soit pas contenue dans les meilleurs délais, de déstabiliser de nouveau le pays au grand bonheur de la “défunte“ Troïka qui n’attend que le bon moment pour récolter le fruit des grenades dégoupillées qu’elle avait laissées avant son départ au forceps du pouvoir.
Cette crise par excellence hautement politique présente le désavantage d’être structurelle et non conjoncturelle. L’actuel gouvernement de technocrates, plombé par l’absence d’un mouvement politique majoritaire qui le soutient, n’assume pas toute la responsabilité dans cette crise qui est en fait un legs de la Troïka, et surtout, des pratiques déstabilisatrices du parti majoritaire de l’époque, Ennahdha.
Ce parti d’obédience religieuse, après avoir déstructuré le pays au plan triple plan politique, diplomatique et socioéconomique, continue, aujourd’hui, à jouer un rôle déstabilisateur en dépit du changement de façade.
La lutte contre le terrorisme, une guerre totale
Ennahdha, qui n’a jamais eu à rendre compte de ses erreurs au pouvoir qui peuvent être érigées en actes de trahison d’Etat, notamment en ce qui concerne les attentats politiques et l’émergence du terrorisme, s’emploie, aujourd’hui, à se donner en spectacle l’évolution malheureuse du pays et à saborder toute stratégie envisagée par le gouvernement pour lutter avec efficience contre le terrorisme. Et pour cause.
Pour le professeur de science politique, Hatem Ben M’rad, «la lutte contre le terrorisme doit être une guerre totale: une guerre politique, sécuritaire, mais aussi économique et financière».
Selon lui, cette guerre suppose, concrètement, plusieurs décisions majeures: la fermeture provisoire des frontières avec les pays voisins, la fermeture provisoire des mosquées qui se sont avérées de véritables pépinières pour l’incubation des terroristes, la lutte avec fermeté contre la contrebande et ses corollaires, le commerce parallèle et la contrefaçon, et enfin, la dissuasion de l’entrée de l’argent sale dans le pays à travers un contrôle strict des transferts.
Pour lui, une telle politique ne peut être menée, en théorie, que par un gouvernement de guerre et non par un gouvernement de technocrates qui ne peut donner le meilleur de lui-même qu’en période pacifique et lorsque le pays sera débarrassé définitivement du terrorisme.
Les vétos d’Ennahdha
En Tunisie, cette politique ne peut pas actuellement voir le jour en raison des vétos d’Ennahdha, deuxième parti au Parlement, et éventuel parti majoritaire au cas où le parti de Nidaa Tounès se scinderait en plusieurs courants politiques, ce qui est fort probable au regard de l’évolution de la crise qui sévit au sein de ce parti.
C’est dans cette optique qu’il faudrait, peut-être, lire l’opposition d’Ennahdha au limogeage des imams prédicateurs takfiristes (cas des imams Jaouadi à Sfax, Khadmi à Tunis…), à l’aménagement d’une barrière physique sur la frontière tuniso-libyenne et à la diabolisation de ses alliés libyens les fréristes de Fajr libyen.
Pour consacrer avec succès ses vetos, Ennahdha compte sur trois atouts. Il y a d’abord ces «mines» qu’elle avait posées dans la Constitution avant son départ du pouvoir. Parmi ces mines, figure la mise en place d’un régime parlementaire. «Pour Ennahdha, estime Hatem M’rad, un régime parlementaire, c’est l’assurance d’avoir toujours son mot à dire, qu’elle soit au sein du pouvoir ou de l’opposition».
Le second atout n’est autre que la discipline et l’homogénéité de ses adhérents qu’Ali Larayedh, secrétaire général du parti Ennahdha, avait qualifiés de «gens aussi sûrs et fiables que les titres bleus délivrés par la Direction de la conservation foncière».
Vient enfin l’alliance d’Ennahdha avec une puissance régionale comme la Turquie -le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, était parmi les premiers à féliciter le président turc, Tayyip Recep Erdogan, après la victoire du parti islamo-conservateur l’AKP (Parti de la justice et du développement) aux récentes élections législatives turques et son corollaire, l’obtention de la majorité absolue au Parlement.
Le gourou Ghannouchi, accompagné par ses deux fils spirituels, Lotfi Zitoun et son gendre Rafik Abdessalem, a fait le déplacement à Istanbul, pour féliciter de vive voix Erdogan et se permettre le privilège d’effectuer avec le chef d’Etat turc la prière du vendredi (6 novembre 2015).
Moralité: par son attachement à la mouvance islamiste internationale, Ennahdha nourrit toujours des objectifs extranationaux.
Ennahdha demeure une menace
Cela pour dire au final que face aux guerres intestines que connaissent les dirigeants de Nidaa Tounès, face à la faiblesse de l’opposition qui continue à faire du surplace et face aux limites de manœuvre du gouvernement de technocrates d’Habib Essid, la menace d’un retour de la Troïka demeure une menace à prendre très au sérieux. La décision de l’ancien président provisoire de la République de former un nouveau parti «Harak Tounès Al-Irada» semble s’inscrire dans cette perspective.
On l’aura dit…