Trop de libertés tuent la liberté. Liberté ! Liberté de faire quoi, avec qui, comment et où? Liberté de parler, de s’exprimer et de s’adonner à tout ce que nous offre la vie de beau, de bien, de meilleur ou celle de détruire ce qui fût bâtît avec beaucoup d’amour et d’abnégation par les fondateurs de la Tunisie moderne?.
Où nous situons-nous par rapport aux Tahar Haddad, Mohamed Ali El Hammi, Farhat Hached, Bourguiba, Hédi Nouira, Mahmoud El Messadi, Chedly Klibi, Radhia Haddad, Majida Boulila, Bchira Mrad et des centaines d’autres?
Qu’avons-nous gardé d’un héritage légué par des hommes et des femmes qui se sont battus becs et ongles pour faire de la Tunisie la pionnière du monde arabo-musulman, qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, de l’émancipation des femmes ou encore de la culture?
Les dernières années de Bourguiba avaient annoncé la couleur. Ce grand monsieur, leader incontesté de la Tunisie du 20ème siècle, entouré d’une cour vorace, intéressée et ambitieuse, s’est laissé manipuler pour, in fine, céder le pouvoir, pour des «raisons médicales» à un militaire, fin stratège, mais dénué de culture sauf celle des renseignements.
Conséquence, pendant 23 ans, l’ascenseur social a laissé place au népotisme et passe-droits, sauf en ce qui concerne les hautes compétences léguées par l’ère Bourguiba et qui ont maintenu l’Etat en état! Quant à l’enseignement et la culture, eh bien, ils n’ont pas échappé à une volonté manifeste de “médiocriser” le peuple.
Conséquences: les Tunisiens d’aujourd’hui ont déclenché la vague des révolutions colorées sans avoir auparavant procédé à la révolution la plus importante: celle culturelle. Ce qui explique le mauvais usage que l’on fait aujourd’hui de toutes les libertés qui s’offrent à nous: celles de penser, de s’exprimer, d’agir et de s’engager.
Pourquoi ignorons-nous avec autant nos devoirs, nos obligations envers la nation, envers notre pays? Pourquoi la compétence est-elle devenue synonyme de clientélisme et la richesse de corruption? Pourquoi, depuis 2011, s’est-on acharné sur les méritants, les penseurs et les nantis? Est-ce dans la continuation d’un virage amorcé depuis des années où le misérabilisme et la précarité aussi bien intellectuelles que sociale, l’opportunisme, la voracité et les ambitions démesurées et non méritées sont devenus les règles à suivre?
Oui le régime Ben Ali s’est attaqué au principe de la méritocratie mais ce qui arrive depuis 2011 en Tunisie est pire que tout ce qu’a traversé le pays depuis des décennies. Les maîtres mots de certains nouveaux arrivants sur la scène publique, qu’ils soient syndicalistes ou politiciens, ceux qui étaient à peine visibles à l’ère Ben Ali, sont: «partageons l’ignorance et la misère et faisons en sorte que ceux qui réussissent, qui ont gravi l’échelle sociale par force de travail ou ceux qui ont fait fructifier des fortunes héritées soient sanctionnés! Fumer un cigare est devenu l’arme du crime des «riches» qui sucent le sang et la sueur des pauvres! On se croirait dans le roman de Victor Hugo, «Les Misérables».
La liberté ne consiste pas à dire ce qu’on veut mais à vivre ce qu’on dit!
La lutte des classes, faute de celle ethnique, inter-communautaire, ou entre différentes tendances religieuses, est aujourd’hui l’arme fatale utilisée par les uns et les autres pour mettre à mal le pays.
La redevance, on n’en parle pas. Et pourtant, c’est ce qui conviendrait le mieux au pays. Accuser les autres de tous les maux et exiger qu’ils payent leurs impôts et appliquent la loi est dans l’ordre des choses, si ce n’est qu’il serait bien de voir nos politiciens -députés, ministres, hauts fonctionnaires et syndicalistes- déclarer leurs biens avant toute prise de responsabilités! Depuis l’indépendance, l’ascenseur social a bien fonctionné et les millionnaires ou les milliardaires d’aujourd’hui n’étaient pas tous issus de familles fortunées. Les plus grandes fortunes de la Tunisie se sont construites dans la Tunisie postcoloniale.
Alors pourquoi, au nom de la liberté et d’une volonté d’égalitarisme primaire et même immoral, on ne respecte pas les droits et la volonté de certains d’entre nous à se réaliser par eux-mêmes, à rêver de devenir riches, illustres, ministres ou présidents? Pourquoi s’acharne-t-on à briser l’élan de nos jeunes et les priver de se projeter dans un avenir meilleur?
Pourquoi se complaire dans les discours populistes vulgaires et indignes d’une Tunisie qui avait toujours consacré une grande partie de son budget à l’éducation et l’alphabétisation au service d’une économie que l’on voulait celle du savoir? Pourquoi la place publique est-elle «colonisée» par autant d’ignares et d’opportunistes?
Est-ce une liberté que celle “absolue” qui peut menacer la sécurité de l’Etat, détruire la vie des gens, envahir leurs espaces privés? Peut-on appeler liberté que celle où l’on défend avec férocité la consommation des stupéfiants (toutes proportions gardées), les droits des terroristes assassins, mais que l’on ignore dès qu’il s’agit du droit au travail, à la différence, à l’innovation, à la créativité et à la libre initiative?
La liberté vécue par un pan de la société tunisienne est irresponsable et illimitée, c’est la liberté des “intellectuellement indigents”. Elle est loin de celle dont nous rêvions. Celle des philosophes comme Descartes qui considère que «La liberté n’est au fond pas dans ce qu’on fait, mais dans la manière dont on le fait… celle de l’homme qui se reconnaît dans sa vie, qui approuve l’histoire du monde et des évènements. Celle qui consiste souvent à “changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde“». Ou encore la liberté de Sartre et Kierkegaard qui estiment que: «l’homme devient libre lorsqu’il substitue une attitude active à une situation subie, lorsqu’il prend parti à l’égard des évènements de son temps… lorsque l’homme réalise son destin en œuvrant au lieu de le subir».
Chez nous, la liberté se traduirait plutôt par changer l’ordre du monde pour qu’il serve nos propres désirs! C’est ce qui explique que nous vivons aujourd’hui dans la Tunisie de tous les dérapages.
Grands temps de renverser la tendance pour recadrer les «Bani hilel» des temps modernes et laisser place aux plus méritants, aux ambitieux, aux bâtisseurs pour qu’ils reconstruisent la Tunisie renvoyée 40 ans en arrière à cause de la «révolution» bouazizienne. Car dans la Tunisie post-14 janvier, le leitmotiv est le suivant: partageons misère et ignorance et massacrons penseurs et investisseurs.