Le remaniement du gouvernement tant attendu est enfin une réalité. Concocté apparemment par des architectes équilibristes, la nouvelle composition du gouvernement, avec une dizaine d’arrivées et le départ des secrétaires d’Etat, satisfait tous les lobbies au pouvoir et ne déçoit presque personne, même les partants lesquels, après avoir été chargés, une année durant, de toutes les missions de sacrifice, vont bénéficier de postes plus calmes et plus reposants.
Voici une première lecture de ce nouveau gouvernement de Habib Essid.
Les grands gagnants sont la présidence de la République, le parti Ennahdha et l’Union patriotique libre (UPL).
Avec la nomination de l’ancien conseiller du chef de l’Etat, Khemaies Jhinaoui, au poste de ministre des Affaires étrangères, la présidence va avoir enfin les mains libres pour gérer avec plus de sérénité et d’harmonie ce portefeuille sensible qui a été très critiqué pour son mauvais rendement avec Taieb Baccouche.
Ennahdha est le second gagnant avec le départ de son ennemi numéro un, Othman Battikh, qui avait eu le courage politique (et parfois sans l’appui déclaré du gouvernement) de limoger des imams prédicateurs takfiristes (Khadmi, Jaouadi, Belhassen…). Othman Battikh est remplacé par Mohamed Khalil qui avait démarré sa carrière en tant qu’attaché au cabinet du mufti de la République, en 1977.
Globalement, le gourou Rached Ghannouchi devrait jubiler avec la nomination de trois ministres qui lui sont très proches, en l’occurrence Omar Mansour, comme ministre de la Justice, Mongi Marzouk, ministre de l’Energie et des Mines, et surtout le nouveau think tank du chef du gouvernement, Nejmeddine Hamrouni au poste de conseiller auprès du chef du gouvernement chargé de la Veille et de la Prospective. Membre du parti Ennahdha et de son Conseil de la Choura, Hamrouni a été le conseiller auprès des trois chefs de gouvernement (Hamadi Jebali, Ali Laârayedh et Mehdi Jomâa). Sans commentaire.
L’Union patriotique libre (UPL) est le troisième gagnant avec la nomination de Mohsen Hassan au poste de ministre du Commerce même si son prédécesseur, Ridha Lahouel, était un bon ministre avec à son actif la réduction de l’inflation de 6% à 4,5%, sa lutte acharnée contre la hausse des prix et la contrebande et son plaidoyer pour l’importation de voitures moins chères de pays asiatiques.
Le ministère de l’Intérieur gagne en neutralité
Concernant les ministres de souveraineté, le changement inquiétant est peut-être la nomination d’un nahdhaoui à la tête de ce département sachant que Omar Mansour -qui avait brillé en tant que gouverneur de l’Ariana- avait été proposé par Ennahdha. Ce parti pourrait exploiter cette nomination pour enterrer certains dossiers brûlants dont l’implication de plusieurs de ses ministres au temps de la Troïka dans des affaires de terrorisme et d’attentats politiques et de corruption.
Le département de la Défense préserve son ministre indépendant, Horchani, tandis que le ministère de l’Intérieur est scindé (au grand bonheur des Tunisiens) en deux entités. Le ministère de l’Intérieur à la tête duquel Hédi Majdoub, un ancien de la boîte a été nommé, et le ministère des Affaires locales qui aura à sa tête Youssef Chahed.
Avec ces nouvelles nominations et structures, le département de l’Intérieur gagne en neutralité et en efficacité.
Autre élément important de ce remaniement, la suppression du poste de secrétaire d’Etat. Nous ne pouvons que saluer cette mesure en ce sens où il s’agit d’une pratique si chère à Ben Ali qui flanquait aux ministres des secrétaires d’Etat pour les espionner. Un seul regret, le départ avec cette mesure d’une personne si sympathique comme Majdoline Cherni.
Point d’orgue de ce remaniement, la nomination de Kamel Ayadi, ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, département totalement supprimé lors de la composition du premier gouvernement. Il s’agit d’une grande victoire pour la société civile locale et internationale qui a mis la pression sur le gouvernement pour qu’il accorde l’intérêt institutionnel requis à la lutte de la corruption qui ne cesse de s’intensifier dans le pays. Espérons que l’expert Kamel Ayadi aura la liberté d’action et les moyens nécessaires pour mener à terme sa mission.
Il sera aidé dans cette tâche par la nomination de Chawki Tabib au poste de président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption en remplacement de Samir Annabi qui n’a jamais bénéficié lui des moyens de son action.
Au rayon des perdants, c’est principalement la centrale syndicale qui perd en le départ de Ammar Youmbai, ancien ministre des Affaires sociales, un allié de taille. Il sera remplacé par un économiste et un droit-hommiste nidaiste, Mahmoud Ben Romdhane qui cède la place dans l’ancien gouvernement à Anis Ghedira nommé ministre du Transport.
Un gouvernement macho
A signaler également la nomination d’une seule femme, Sonia Mbarek, ministre de la Culture, qui récolte ainsi les fruits du bon travail qu’elle avait accompli à la tête du festival de Carthage.
Les autres nominations relèvent de la présidence du gouvernement. Il s’agit de Kamel Jendoubi, ministre chargé des Relations avec les Instances constitutionnelles, la Société civile et les Organisations des droits de l’Homme, Khaled Chouket, ministre chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement.
Quant aux partants, selon le communiqué, le chef du gouvernement a annoncé que les anciens membres du gouvernement et secrétaires d’Etat seront appelés à d’autres fonctions.
Des informations annoncent déjà la nomination de Najem Ghrassali, Othman Battikh, Latifa Lakdar et Touhami Abdouli aux postes respectifs d’ambassadeur de Tunisie au Maroc, de Mufti de la République, d’ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco et d’ambassadeur de Tunisie en Arabie saoudite.