Salah Arfaoui, ministre de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, est un pur produit maison. Avant de présider aux destinées du ministère, il a occupé le poste de PDG de l’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine (ARRU). Il a également supervisé la réalisation du port de pêche de Bizerte, du port commercial de Zarzis et d’autres grands projets. Il fut directeur général des services aériens et maritimes et directeur général des bâtiments civils au ministère de l’Equipement.
Compte tenu de différentes missions qu’il a menées au sein de son ministère d’adoption, nous ne pouvons pas dire que cet ingénieur civil et maritime diplômé au Japon en 1988 ne maîtrise pas ses dossiers.
Entretien
WMC : On parle beaucoup, on réalise peu. Qu’en est-il du ministère de l’Equipement, avez-vous une stratégie? Une vision?
Salah Arfaoui: Le ministère de l’Equipement et de l’Habitat a toujours tracé des stratégies depuis les années 70. Nous avons toujours opéré ainsi. La route X, par exemple, a été programmée depuis les années 70 par feu Mokhtar Laatiri qui a figuré parmi les meilleurs ingénieurs des ponts et chaussées.
Nous avons toujours anticipé. Le traçage de nos routes sur le Grand Tunis a été élaboré de manière structurante pour précéder le tracé de la circulation sur tout le territoire national.
Parfois, nous réussissons, parfois non. Mais généralement nous nous projetons sur les 15 à 20 années à venir. Cette fois-ci, nous avons mis en place un plan d’action qui s’étale sur 30 ans. Malheureusement c’est très court et j’ai rectifié le tir en baptisant le projet «Tunis 2050». L’étude sera confiée à un bureau spécialisé dans les domaines du trafic et de l’urbanisme pour savoir comment deviendra le Grand Tunis et prévoir l’évolution du trafic afin d’y répondre par un réseau routier adéquat. Ce trafic ne fait qu’augmenter et souvent de manière imprévisible.
Parallèlement, nous comptons lancer une autre étude en matière d’urbanisme pour voir comment deviendra le Grand Tunis en 2050. Nous nous sommes donc basés sur la stratégie 2030 conçue par mon prédécesseur, pour essayer de corriger et changer au besoin selon l’évolution des choses.
Lire notre article : Tunisie – Hédi Larbi: «L’AFH ne peut plus détenir le monopole de la gestion des réserves foncières»
Vous comptez donc revoir certains points dans l’étude établie lors du passage de Hédi Larbi au ministère de l’Equipement, et pour ce qui est de l’immédiat à titre d’exemple savoir l’état du réseau routier au cours des 5 dernières années?
Nous introduirons de nouvelles composantes à l’étude. Ce que nous ambitionnons c’est de mettre en place une vision stratégique à long terme en direction des décideurs politiques et des acteurs de la ville. A ce jour nos approches ont été trop centralisées et non participatives. Nous voulons arriver à optimiser l’espace urbain dans le respect de l’environnement et éviter les constructions chaotiques.
Dans l’étude élaborée en 2014 par le ministère, on ne parle pas, à titre d’exemple, des ponts et chaussées, mais plutôt de l’urbanisme d’une façon générale. Le plus urgent pour nous a été de faire le point de la situation au bout de cinq ans. Nous en avons vu de toutes les couleurs, les constructions anarchiques évaluées aujourd’hui à 37%. C’est catastrophique.
Le plus urgent pour nous a été donc de revoir et réétudier la politique de l’habitat. Tout au long des cinq dernières décennies, notre politique urbanistique a été avantageuse sur nombre d’aspects avec des inconvénients bien entendu. Parmi les avantages, le nombre de ménages qui possèdent leurs propres logements. Il y en a d’autres qui ne sont pas aussi chanceux, faute de moyens.
Les constructions anarchiques sont la résultante de la difficulté à avoir les autorisations nécessaires pour construire convenablement et conformément aux normes en vigueur des logements décents.
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Qu’en est-il des plans d’aménagement des villes? Sont-ils respectés ou l’anarchie aurait-elle été généralisée ces dernières années?
Le plan d’urbanisme ou d’aménagement de Tunis-ville ou de l’Arianna date de 15 ans. Il n’a pas été révisé. Nous y œuvrons depuis 15 ans et n’avons pas encore réussi à y arriver. Il y a tant d’intervenants dans notre domaine et notre réglementation est tellement lourde que nous avons décidé de prendre, en tant qu’administration centrale, certaines décisions dans l’attente du changement de la réglementation.
Nous avons mis en place une équipe spéciale d’évaluation de la situation urbanistique de l’Arianna, et une autre en direction de Tunis-ville. J’espère qu’au mois de juin ou juillet 2016, l’Arianna sera dotée d’un plan d’aménagement décrété. Celui de Tunis sera achevé à la fin de 2016. Et ce n’est pas une tâche aisée que d’élaborer un plan d’aménagement. Car pour être révisé, ce plan nécessite entre 3 et 20 ans. C’est pour cela que nous sommes décidés à revoir nos façons de procéder à la révision des plans d’aménagement.
Nous sommes aujourd’hui en mesure de limiter la durée de temps consacré à la révision d’un plan d’aménagement à deux années pour les grandes cités et 3 pour les grandes villes. Auparavant, lorsque nous révisions un plan d’aménagement, nous nous basions sur des plans aériens, une fois le plan est révisé, les photos aériennes ne sont plus valables, donc le plan d’aménagement est mort-né.
En quoi les plans d’aménagement pourraient-ils aider à améliorer la politique urbaine dans notre pays?
Ils nous permettent d’anticiper. Ils répondent à des questions telles que: comment nous allons construire? Comment la ville s’étendra? Qu’est-ce qu’il faut prévoir comme zones industrielles, Comme espaces de loisirs, zones vertes, zones d’équipements, etc.? Tout est basé sur le plan d’aménagement de la ville. Nous y prévoyons également les zones vertes à aménager à l’intérieur des lotissements habitables. Nous avons souffert de voir que les zones vertes prévues dans des lotissements habitables ont changé de vocation. En tant que ministère, nous y sommes toujours opposés, malheureusement il y a eu des zones qui ont perdu leurs vocations.
Qui est responsable de cela?
Il n’y a pas un seul responsable. Il y a un contexte, il y a plusieurs intervenants qui n’ont pas fait le nécessaire pour arrêter ce fléau. Aujourd’hui il ne s’agit pas de revenir en arrière ou de désigner un coupable. Tout le monde est responsable, il faut plutôt aller de l’avant, regarder vers l’avenir et essayer de rectifier ce que nous vivons aujourd’hui.
Ne pas déterminer les responsabilités, est-ce la meilleure manière de remédier à la situation catastrophique dans laquelle se trouvent certaines villes? Comment mettre fin aux constructions anarchiques et au changement des vocations des espaces verts?
D’après moi, le délai correct, pour attribuer un lotissement est de 3 à 6 mois maximum à partir du jour où il formule sa demande. Pour la construction, je crois qu’il faut deux mois au maximum pour que le citoyen ait son autorisation de bâtir, quitte à ce qu’elle soit corrigée en cours de construction. Généralement le citoyen respecte les conditions qu’on lui a imposées pour le bien de la communauté.
3 à 6 mois, vous ne trouvez pas que c’est trop long pour une autorisation de construire?
Il y a 20 ans, nous avons publié une note circulaire stipulant que l’autorisation de bâtir ne peut pas dépasser les 15 jours. C’est très théorique. Parce que nous tenons à sauvegarder l’identité architecturale de nos villes, et nous n’arrivons pas à convaincre les bénéficiaires des autorisations de construire de respecter les cahiers de charges qui vont avec le respect des spécificités urbanistiques des villes et des villages.
Chaque ville, chaque cité doit garder ses caractéristiques architecturales. Comme c’est le cas de Sidi Bousaid. On en parle partout dans le monde. On apprécie le fait qu’on ait conservé son cachet. De même pour Tozeur, Douz, Nefta, Tataouine ou d’autres régions à moindre degrés. Mais l’essentiel est qu’on a réussi à préserver l’empreinte architecturale de certaines villes ou cités tunisiennes.
Pendant des décennies, l’AFH a joué un rôle important dans le management des terrains destinés à l’habitation, qu’il s’agisse de logements populaires ou de cités résidentielles dans le cadre de la cession de terrains à des particuliers. Pourquoi n’est-elle plus aussi présente aujourd’hui?
En fait, il y a lieu de remercier l’AFH, d’abord, parce que c’est l’une des entreprises qui a beaucoup fait pour les Tunisiens. Les plus belles cités et les meilleurs lotissements de la Tunisie ont été ceux exécutés par l’AFH. Il est vrai qu’aujourd’hui, elle n’a pas pu répondre à toutes les demandes parce qu’elle en est encore à étudier des demandes datant de 1994 et 1995. Elle est le seul lotisseur public et sa vocation est d’encourager en premier lieu les promoteurs privés à investir dans les lotissements à usage d’habitation sociale.
Nous avons déjà démarré ce programme. Plusieurs lotissements ont été confiés à des lotisseurs privés, et parallèlement, nous avons encouragé les lotisseurs publics en l’occurrence l’ARRU (Agence de rénovation et de la réhabilitation urbaine). Elle est pour le moment en possession de 4 ou 5 lotissements, et d’autres agences planchent sur les projets.
Nous avons encouragé aussi bien les sociétés étatiques que privées, et nous continuons à le faire pour que les classes sociales modestes puissent posséder leurs propres logements.
Vous pensez que les privés pourraient gagner en investissant dans les logements sociaux à des prix accessibles pour les citoyens et rentables pour eux?
J’ai confiance. Les privés pourront toujours réaliser leurs équilibres financiers. Ils vont acquérir des terrains pour les aménager et bien sûr vendre. Notre rôle, à nous, en tant qu’Etat, c’est de trouver le moyen pour minimiser au maximum le prix de vente du mettre carré du lotissement social. Et c’est là où intervient la nouvelle règlementation que nous cherchons à mettre en place.
Le FOPROLOS (Fonds de promotion du logement social, NDLR), dont nous n’avons pas usé à cause de sa réglementation sévère et difficile, doit évoluer dans le bon sens à commencer par l’augmentation du plafond des prêts. Il faut faire en sorte que, grâce à ces fonds, les citoyens puissent avoir leurs propres logements sans avoir à subir des conditions handicapantes.
Hédi El Arbi, votre prédécesseur à la tête de ce ministère, avait proposé une taxe sur les lotissements situés dans les zones résidentielles pour approvisionner le fonds destiné aux logements sociaux…
C’est une idée que j’ai proposée moi-même il y a une année, et ce n’est pas une taxe. C’est une péréquation à l’intérieur du lotissement lui-même. Il y a quelques lots destinés à des personnes ou des citoyens plus aisés que d’autres. Ce que nous ambitionnons de faire, c’est d’attribuer des prix différents. Ce qu’il faut c’est concevoir une péréquation appropriée pour pouvoir trouver la formule idéale qui nous permette de déterminer les prix adéquats s’agissant de lotissements à Sidi Bouzid ou à Siliana, par exemple, ou encore à Carthage. Car, par la formule mise en place, vous allez faire supporter à un citoyen des charges qu’il ne devrait pas assumer, il faut donc trouver la réglementation appropriée pour une solution qui ne lèse personne.
J’espère que cette réglementation sera révisée et présentée au gouvernement et à l’ARP aussi vite que possible pour débloquer les fonds nécessaires à la Banque de l’habitat et les fonds nécessaires pour financer les logements sociaux.
Lorsque le citoyen n’a pas les moyens d’apporter un cautionnement, ou un fonds propre, ou alors qu’il n’a pas de travail, il va falloir aussi trouver le moyen de le faire profiter des logements sociaux.
Qu’en est-il du réseau routier?
Il relève du département ponts et chaussées. Ce sont les routes et les pistes agricoles et également les autoroutes. Malheureusement, nous avons trouvé plus de 85 chantiers pratiquement à l’arrêt. D’autres avancent avec un rythme inacceptable. Notre priorité a été de redynamiser le marché et de reprendre les travaux. Nous y avons réussi à 90%.
Aujourd’hui, seulement 13 projets sont en suspens sur les 85 à l’arrêt. Ce sont des entraves d’ordre foncier difficiles à résoudre et qui nécessitent plus de temps (lire Infrastructures: La plaie de la Tunisie c’est le foncier). Nous avons malheureusement, nous aussi, des programmes qui ont été annoncés depuis 3 ou 4 ans et qui n’ont pas vu le jour. Plusieurs d’entre eux sont situés dans le Grand Tunis. Le chef du gouvernement en a visité 8 ou 9 grands projets qui démarrent bientôt. Ce sont de grands ouvrages, des échangeurs, des routes très importantes et structurantes pour la Tunisie, en général, et pour le Grand Tunis, en particulier.
Il y a aussi nombre de grands projets sur tout le territoire qui ont été annoncés mais les bailleurs de fonds avaient failli… Ce problème est aujourd’hui résolu, les fonds ont été débloqués et nous redémarrons fort heureusement.
De quels projets parlez-vous?
Plusieurs échangeurs, sur le Grand Tunis : à Ezouhour, sortie ouest, la route de Raoued qui est dans un état lamentable, une route qui va lier la GP9 à travers l’aéroport vers la GP10, c’est-à-dire la route de La Soukra, ce qui va alléger le trafic). Il y a aussi des tunnels et des réaménagements devant l’aéroport que nous comptons démarrer incessamment.
Le plus grand problème de la Tunisie est le réseau routier et cela ne concerne pas que les grandes capitales, il s’agit également de l’intérieur du pays et des petits patelins.
Nous avons mis en place deux programmes. Les plus anciens sont en train d’être suivis de près et les travaux reprennent.
Nos programmes revêtent deux paramètres: la modernisation et l’aménagement des routes. Malheureusement nous n’en sommes aujourd’hui qu’à 6.000 sur les 18.000 Km de routes à construire. Nous sommes au tiers des routes qui répondent aux normes et à ce que nous ambitionnons.
Chaque année, il y a un quota, et heureusement pour nous, nous venons de signer deux conventions de crédit (le premier s’élève à environ 325 millions de dinars, le second à 470 millions de dinars), accordés tous les deux par la Banque mondial et le FADES.
Nous avons également contracté d’autres GP4: Fahs, Siliana, et la MC 133 à l’entrée de Jbel Oust vers Zaghouan. Le FADES, que nous venons de signer, sera consacré à la restauration de de 630 km de routes et de 630 km de pistes que nous comptons réaliser très prochainement en deux tranches. Le Koweït va nous accompagner pour la X20, c’est la voie périphérique de Tunis, qui va continuer à partir de Mnihla.
Nous comptons continuer sur notre lancée cette année, bien évidemment nous avons un programme MR1. C’est le programme de modernisation routière N°1 qui date d’environ 3 ou 4 ans sur lequel il reste trois projets.
La GP1 Tunis-Ben Arous est également dans notre ligne de mire, qu’il s’agisse de la modernisation ou de la sécurisation routière sur tout le carrefour.
La GP9 est un grand échangeur, et nous allons le renforcer par un autre échangeur pour faciliter la fluidité de la circulation et il n’y aura aucun feu.
Nous sommes décidés à étendre notre plan de modernisation des routes par un programme qui s’appelle MR2 –ou Modernisation routière n°2, où toutes nos réalisations seront axées sur Sfax, 8 carrefours y seront aménagés et à Nabeul aussi.
Nous sommes conscients que notre mission n’est pas des plus faciles au vu de la complexité des problèmes que nous gérons au quotidien, qu’il s’agisse de l’immobilier, des ponts et chaussés, de l’urbanisation ou encore du foncier, mais nous sommes décidés à aller de l’avant. Nous considérons qu’il relève de notre responsabilité de les gérer au mieux pour servir les intérêts de nos concitoyens et doter le pays d’un réseau routier plus fluide qui soit un atout pour la dynamique économique du pays. Nous nous y attellerons comme il se doit.